Le début de la fin

Il s’appelait Edwin L. Drake. Son nom ne vous dit probablement pas grand-chose, et pourtant ce natif de New York aura probablement été, à son insu, l’auteur d’un des plus grands crimes jamais commis envers l’humanité. Et pour cause : le 27 août 1859, Drake aura extrait pour la première fois du pétrole par forage, à une vingtaine de mètres de profondeur. Alors bien sûr, le pétrole était connu depuis longtemps (en fait depuis l’Antiquité). Bien sûr aussi, s’il ne l’avait pas fait, quelqu’un d’autre s’en serait chargé. Toujours est-il que sa découverte aura marqué le début de l’exploitation industrielle du précieux or noir, dont nous payons aujourd’hui le prix. Évidemment, ni Drake ni aucun de ses contemporains ne pouvaient alors imaginer un instant que les émissions de CO2 issues de cette combustion fossile causeraient un jour un mal irréparable à la planète. Reste que le monde, entendez par là les industriels, savait cependant quand même une chose : le pétrole, bien qu’abondant à l’époque, n’est pas une ressource renouvelable à l’échelle d’une civilisation et, donc, un jour arriverait forcément où il viendrait à manquer.

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Pas moins de 160 ans plus tard, c’est quasi chose faite. Seize décennies auront donc suffi à assécher nos principales réserves. Quoi que, pour être exact, l’on devrait plutôt parler d’un peu moins d’un siècle, époque à laquelle l’exploitation pétrolière a commencé à prendre une tout autre ampleur. Ainsi, dans les années 1970, non seulement nous étions conscients que les gisements finiraient par se tarir, mais nous suspections aussi déjà très sérieusement que cette course effrénée à l’exploitation, et donc à la consommation, de pétrole risquait dans un avenir plus ou moins rapproché de dérégler la machine climatique. Et c’est hélas ce qui est en train de se produire.

La sempiternelle question qui se pose est donc de savoir pourquoi nous n’avons rien fait. En premier lieu, l’on pourrait évoquer le déni : déni des politiques et déni des industriels, bien sûr, qui se refusaient à devoir raccourcir la taille de leurs portefeuilles. Mais aussi déni de la population qui, encore aujourd’hui, ne peut se résoudre à accepter les menaces à venir brandies par la communauté scientifique si nous continuons sur cette voie. À vrai dire, tout cela est un peu logique, psychologiquement parlant : entre le message rassurant des politiques, qui nous assurent que nous trouverons en temps et lieu une solution à tous ces problèmes, et que nous pouvons donc compter sur une croissance infinie – sans altérer donc notre train de vie actuel –, et ceux qui nous préviennent que ce faisant, nous courrons à la catastrophe, le commun des mortels choisira évidemment plutôt de suivre les pourvoyeurs de bonnes nouvelles.

S’il n’en fallait qu’une preuve, nous pourrions citer le cas des dernières élections européennes, avec la victoire de nombreux nationalistes libéraux et autres isolationnistes. L’astrophysicien et écologiste Aurélien Barrau, dans un récent Tweet, aura très bien résumé la situation : « Donc, on a expliqué, en long et en large, que nous étions en danger existentiel, que la vie sur Terre était en train de se mourir (…) Mais non. Juste un peu plus d’une personne sur dix a jugé que la fin du monde était une thématique prioritaire. Mieux valait voter contre l’immigration et la Bourse. Ça, ce sont des choses sérieuses. Ça c’est important ! » Qu’Aurélien se rassure – mais à moitié seulement –, car nos réserves en pétrole atteignent leur point limite et, de facto, nous obligeront très bientôt à changer de paradigme sociétal. Reste, et c’est bien là le problème, qu’il sera alors sans doute trop tard que pour enrayer la cascade de catastrophes planétaires annoncées (environnementale, économique, sociale et migratoire, entre autres).

Car c’est un fait, nous aurons bientôt épuisé tout ce que la Terre aura accepté, bien malgré elle, de nous offrir gracieusement tout au long de ces dernières décennies. D’ici quelques années, le robinet d’or noir ne coulera tout simplement plus. Et cela, ce n’est pas l’affirmation de quelconque écologiste farfelu, mais bien celle émanant de la source la plus fiable possible en la matière, à savoir l’Agence internationale de l’énergie elle-même. Son dernier rapport, paru en mai dernier, est d’ailleurs sans équivoque : la production d’or noir accusera une probable baisse dès les années 2020, autrement dit demain. Mais l’agence va plus loin, affirmant que les investissements traditionnels dans l’énergie ne sont plus suffisants « pour maintenir les habitudes de consommation actuelles ». Et malgré cela, au lieu de fermer le robinet, on l’ouvre davantage. Allez comprendre ! En résumé : après avoir mis au monde une société axée sur le tout carbone, allumant ainsi la mèche de la bombe environnementale, nous nous retrouvons à l’aube d’un monde de pénuries, auquel nous ne sommes bien sûr aucunement préparés. Autant dire que les décennies à venir promettent d’être extrêmement difficiles. En tout cas, nous ne pourrons dire que nous n’avons pas été prévenus. Une bien maigre consolation, non ?

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