— Alors, tu as été finalement remboursée pour le climatiseur que tu as payé, mais qu’on ne t’a pas livré ?
— Oui, toi. Le département de comptabilité a terminé ses congés, comme les directeurs, et on a fini par me rembourser, mais avant j’ai dû téléphoner plusieurs fois et menacer…
—… de téléphoner à la police, je parie ?
— Tu vas croire toi-même ! J’ai menacé d’aller raconter toute l’histoire aux radios privées età la presse.
— Tu as raison. Ils ont plus peur de la presse que de la police. A cause de la mauvaise publicité.
— En tout cas, j’ai dit à tout le monde de ne pas aller acheter dans ce magasin-là.
— Et quand est-ce qu’ils t’ont rendu ton argent ?
— Mercredi dernier, je crois.
— Avec une lettre d’excuses ?
— Sans rien du tout. Le chèque seulement. Ils sont vraiment en dessous de tout dans ce magasin-là, je te dis !
— C’est terrible ces vendeurs de magasin, toi. Il n’y a plus de service dans ce pays.
— Mais c’est pas la faute des vendeurs, toi.
— Ne me dis pas que tu les défends après tout ce qu’ils t’ont fait subir, sans compter ta marraine obligée de dormir avec vous dans ta chambre à coucher.
— Je n’ai absolument pas oublié, crois-moi, d’autant plus que mon bonhomme n’a pratiquement pas dormi pendant le séjour de ma marraine.
— Pourquoi ? Je ne savais pas que ton bonhomme avait des insomnies, moi. Il faut qu’il boive une bonne tisane allant d’aller au lit…
— Tu ne vas pas commencer avec tes histoires de tisane bonne femme, foutour va !
— Mais qu’est-ce que j’ai fait ? je voulais seulement donner un conseil contre les insomnies.
— Mon bonhomme n’a pas d’insomnies. Lui, comme il met sa tête sur son oreiller il dort. Le premier soir quand elle est venue dormir dans notre chambre, ma marraine lui a demandé s’il ronflait. Du coup, il n’a pas dormi du tout, de peur de casser le sommeil de ma marraine en ronflant.
— C’est pas vrai. Le pauvre malheureux.
— Oui, toi. Heureusement qu’il était en congé. Comme ça il peut dormir dans la journée.
— Tout ça à cause d’un vendeur de magasin qui n’a pas fait son travail !
— Mais je viens de te dire que ce n’est pas le vendeur.
— Si ce n’est pas le vendeur qui est responsable de la cacade qui t’es arrivée, alors ? Le gouvernement ? L’opposition ?
— C’est le système que les grands magasins ont mis au point pour réduire les coûts d’opération. Ils font du « contract out ».
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Avant les grands magasins faisaient tout eux-mêmes : la vente, la publicité, la comptabilité, le stockage et la livraison. Maintenant ils sous-traitent les opérations.
— Qu’est-ce que ça veut dire ca ?
— Qu’ils paient des petites compagnies pour faire le travail à leur place.
— Pourquoi ils font ça ?
— Pour dépenser moins et gagner plus. Ils n’ont plus besoin d’avoir des camions des vans, des garages, des mécaniciens et des chauffeurs.
— Mais pourquoi ça ne marche pas ?
— Peut-être parce que le système est mal organisé, que les contracteurs sous-traitent à leur tour, que la communication pas mal, je ne sais pas moi. Tout ce que je sais, c’est qu’en définitive c’est le client qui paye les pots cassés.
— Mais qu’est-ce qu’on peut faire contre ça ?
— Bien choisir le magasin où tu achètes tes affaires et boycotter et faire boycotter les magasins qui ne respectent pas les clients.
— En commençant par celui où tu as acheté ton climatiseur.
— Il est le premier à la tête du hit-parade des magasins à éviter ! En tout cas, iI y a au moins une leçon que j’ai tirée de tout ça.
— Ah bon, et quelle leçon ?
— Qu’on peut passer l’été à Maurice sans climatiseur. Qu’on est capable de vivre sans air conditionné.
— Qu’est-ce qui te prend de dire ça ? C’est pas possible, tu transpires, c’est mari désagréable toi.
— Certainement, mais on peut s’organiser, ouvrir les fenêtres pour laisser circuler l’air comme le faisaient nos parents. Et puis ton corps s’adapte à la chaleur et tu t’habitues.
— Mais un climatiseur c’est tellement facile. Tu n’as qu’à peser sur un bouton, toi.
— A condition qu’on te livre le climatiseur quand tu l’as acheté et que tu as déjà payé. Ce qui, je l’ai vécu, n’est pas le cas. Et puis, un climatiseur, ça fait monter ton compte de CEB sans que tu t’en rendes compte. Et je ne parle pas de la couche d’ozone.
— Aio, mama, ne me dis pas que tu es devenue écolo, parce qu’on ne t’a pas livré ton, climatiseur ! ?
— Et pourquoi pas ? En tout cas, ça m’a fait réfléchir sur certaines choses. Par exemple, sur notre dépendance sur les machines.
— Tu vois : la chaleur t’es montée à la tête. Si tu continues à dire des affaires comme ça, tu sais ce qui va arriver ?
— Dis-moi ce qui va arriver ?
— Tu vas finir par remercier le grand magasin de ne pas t’avoir livré ton climatiseur !
J.C A