« Aujourd’hui, MariDeal.mu et Priceguru génèrent plus de 400 000 visites par mois, 138 000 clients, et surtout nous avons créé un écosystème avec plus de 800 entreprises qui utilisent noss plates-formes pour promouvoir et vendre leur services ou produits ! » Grand, allure décontractée, pantalon chino et tennis aux pieds… Christopher Rainer ressemble plus à un hipster, look un rien anticonformiste, qu’à un patron conventionnel costard trois-pièces. Ce passionné des nouvelles technologies est en tout cas emblématique de cette fameuse génération Y, appelée aussi « e-génération ».Génération de geeks. « Mon outil de travail ? Principalement le smartphone », clame-t-il, assurant « n’avoir jamais eu de cartes de visite ».
Christopher Rainer est né en 1981, en Afrique du Sud. Père autrichien, architecte, mère mauricienne. Cinq ans plus tard, il rentre à Maurice avec son frère Nicholas et sa mère. Après des études universitaires en Australie, il est embauché comme Business Developper par le groupe textile Aquarelle. « Au bout d’un an, j’ai intégré en Inde la start-up Laguna Clothing, une joint-venture entre le groupe mauricien et l’Italien Tessitura Monti. C’était l’entreprise la plus rentable du groupe ! »
Christopher Rainer ouvre un bureau de ventes à Paris puis un autre à New York. Lors de son séjour dans la « grosse pomme », il découvre l’impact des nouvelles filières liées à Internet. « J’ai été l’un des premiers à lister mon appartement sur Airbnb (plate-forme communautaire payante de location et de réservation de logements). Ce fut une bonne source de revenu complémentaire ! », s’amuse ce passionné de surf qui a même été semi-pro. Bref, il ne se voit pas faire carrière dans le textile.
L’impact d’Internet sur la génération Y
Il rentre à Maurice et intègre en 2013 le groupe hôtelier Sun. « En charge des marchés régionaux, j’ai compris la force d’Internet : 80 % des réservations s’y faisaient ! Je dévore alors beaucoup de livres de tutoriel en ligne. C’est ainsi que l’idée m’est venue de créer MariDeal parce que les clients mauriciens représentaient 6 % des nuitées globales et qu’aucune structure ne leur était dédiée. »
Une agence de voyages à part entière
Mais la crise est passée par là et les hôteliers mauriciens ont (enfin) compris que leur offre est périssable : « Au lieu d’avoir des chambres vides, il vaut mieux les vendre moins cher. » Christopher Rainer lance, avec son partenaire Alex Samuelson – un Américain marié à une Mauricienne – MariDeal.mu. Ils y investissent trois millions de roupies (75 000 euros). « La plate-forme regroupe toutes les offres de chambres d’hôtel, de spas et de restaurants que nos partenaires proposent exclusivement aux Mauriciens, aux expatriés et aux travailleurs étrangers basés dans notre pays. » Certaines promotions de dernière minute peuvent aller jusqu’à 40 % de réduction ! Il est possible de réserver par téléphone dans les cinq agences Marideal ou en ligne sur le site (pour le paiment online, un pro-logiciel ultra-sécurisé prend le relais). L’entreprise devient un acteur incontournable du marché hôtelier et plusieurs groupes commencent à lui sous-traiter leur centrale de réservation sur le marché local. « En clair, si un Mauricien appelle pour réserver, le groupe l’oriente vers nous », précise avec fierté Christopher Rainer.
D’autres services sont créés dans la foulée. « Comme nous vendions des séjours à Rodrigues, il était logique de proposer des vols. Nos agences, depuis peu certifiées IATA (Association internationale du transport aérien), émettent des billets d’avion. » Marideal est donc devenue une agence de voyages.
« Toujours à Rodrigues, certains habitants nous ont contactés pour louer leur véhicule. Nous avons répondu banco mais il fallait qu’ils s’enregistrent comme tour-opérateurs. Voici des activités et donc des emplois que nous avons créés ! »
Et l’entreprise vient de lancer, il y a six mois, le site mauritiustraveller.com qui cible, cette fois, la clientèle étrangère visitant l’île. « Nous leur offrons la possibilité de réserver en ligne leurs activités, excursions, location de voiture… »
Marideal, dont la principale cible est la classe moyenne, assure ses revenus en prenant une commission sur la vente des services proposés. Son chiffre d’affaires n’a cessé de croître pour atteindre 34 millions de roupies (850 000 euros) en 2016. Surfant sur ce succès et s’appuyant sur son expérience de création de software, Christopher Rainer décide de relever un autre challenge : le commerce en ligne. C’est ainsi qu’il lance Price Guru en 2014, avec Yannick Ayacanou.
Price Guru, un autre challenge
Si, dans le commerce traditionnel le client va à la marchandise, dans le commerce électronique, c’est l’inverse. « Je dois avouer que le challenge est autrement plus difficile ! Mais c’est exaltant pour nos 102 salariés. » Price Guru propose, entre-autres, des produits électroniques, de l’électroménager et des accessoires de mode. Le site permet de souscrire directement en ligne à une demande de crédit. Lors du paiement à la livraison, les agents de Price Guru effectuent toutes les opérations en scannant via un terminal (qui utilise un software conçu et développé en interne) les documents importants.
« En étant intégré verticalement, Price Guru réalise la promesse du commerce électronique : une commande en quelques clics et surtout une livraison rapide de l’entrepôt au domicile. Même Amazon ne fait pas cela, c’est ce qu’on appelle le last mile ! » En cas de problème avec l’appareil, le client peut demander à Price Guru, via son compte en ligne, de le récupérer à son domicile. « Et ça, c’est unique à Maurice ! », fait valoir notre homme.
Devant ce succès, d’autres sites ont vu le jour. « Mais le plus important dans le business, ce n’est pas l’investissement ni les ressources, c’est le timing ! Être les premiers, les first movers, nous donne un avantage considérable sur nos concurrents. » La preuve, l’entreprise envisage de se déployer dès 2019 dans la région et dans certains pays d’Afrique de l’Est en direct ou à travers des partenariats. Demain le monde ?
questions…
« L’économie digitale va continuer à croître »
Que représente pour vous cette nomination au Tecoma Award ?
Au-delà du plaisir que cela peut procurer, je trouve que c’est un beau concept que de mettre en avant cinq profils d’entrepreneurs et de raconter leur histoire. En effet, le but est de comprendre le parcours de chaque entrepreneur, qui a connu des succès, des difficultés, qui s’est spécialisé dans un domaine différent, et je pense que cela pourra inspirer des jeunes à devenir entrepreneur. Car il faut bien dire que lorsqu’on décide d’entreprendre, c’est choisir d’aller vers l’inconnu et de prendre des risques. En vérité, c’est cette passion commune pour l’entrepreneuriat qui nous lie tous. Donc, cette nomination encouragera, je l’espère, d’autres à faire le saut.
Marideal.mu, priceguru… vous surfez sur la vague du succès depuis quelques années. Quelle est votre recette ?
Je dirai qu’il faut avoir le flair, avoir un concept solide qui ait une valeur ajoutée. Le tout, ce n’est pas de juste lancer un service ou un produit. Il faut avoir fait suffisamment d’études pour savoir quelle serait cette valeur ajoutée qui avantagera le consommateur. Quand on a lancé Marideal, en 2013, c’était vraiment l’élément de “timing” qui a fait que ça a marché, au-delà de l’élément de l’investissement. En somme, il faut avoir la bonne idée au bon moment, parce qu’on peut avoir la bonne idée mais la lancer au mauvais moment. Donc oui, le “timing”, c’est la clé de la réussite. Il faut aussi avouer qu’avec Marideal, on était les premiers, on avait donc le “First-mover advantage” dans un monde hyperconnecté et en pleine révolution informatique. Marideal a aussi répondu à une demande qui n’était pas satisfaite. C’est une réalité, il y a de moins en moins de plages publiques à Maurice et quand les gens veulent aller à la plage, ils réservent une journée à l’hôtel. Alors que tous les acteurs hôteliers se concentraient à 99,9% sur les touristes étrangers, on fait un “paradigm shift” en ciblant un marché domestique et comme ça, on a créé cette valeur ajoutée. Et ça a fonctionné.
Vous parlez d’une économie traditionnelle évoluant vers une économie digitale. L’e-commerce à Maurice, c’est donc parti pour durer ?
Absolument. Surtout quand on regarde la tendance sur les années à venir et que l’on se rend compte à quel point les gens ont adopté la technologie. C’est un phénomène de société extrêmement puissant. On a une identité digitale sans le savoir et, d’ailleurs, les gens prennent cela pour acquis. On est en train de partager toutes nos expériences en ligne et l’économie digitale va continuer de croître. Et la question qu’on se pose, c’est “what’s next” ? Et “what’s next”, c’est l’intelligence artificielle, sans aucun doute. C’est la prochaine révolution. Dans le cas d’Uber à Maurice, moi, je souhaiterais que l’écosystème mauricien se développe, que les entreprises technologiques mauriciennes voient le jour, parce que des géants de la technologie informatique étrangers vont venir positionner leurs services à Maurice. Ce qui est bien, mais j’aurai aimé que la société mauricienne puisse développer sa propre technologie et offrir son savoir-faire.