José Legris, le fils de Michel Legris, figure emblématique de la chanson mauricienne, fabrique des instruments de sega tipik comme la ravanne, la maravanne et le triangle. Comme son père, il s’est fait connaître grâce à ses ravannes traditionnelles. Au fil du temps, il a su les raffiner pour une meilleure résonance…
Le ségatier a accueilli Scope dans son atelier à Plaine des Roches, Rivière du Rempart.
Peaux de cabri séchées, feuilles de plywood, clous et pots de colle sont éparpillés dans la cour de José Legris à Plaine des Roches. La fabrication de ravannes, c’est toute sa vie. C’est l’un des instruments qu’il affectionne depuis l’enfance. Comme son père, il en joue. Le ségatier fabrique aussi d’autres instruments de sega tipik comme la maravanne et le triangle.
“Ces trois instruments m’inspirent beaucoup”, confie le fils de Michel Legris en ouvrant la barrique remplie d’eau et de produit dans un coin de sa cour pour désinfecter la peau de cabri. Il exécute l’une des premières étapes de la fabrication. Le ravannier de 52 ans confectionne des ravannes de 34, 24, 22, 20, 18, 16, 14 et 12 pouces. “La taille d’une ravanne varie selon l’utilisation. Par exemple, celles de 34 pouces sont utilisées comme décoration; celles de 16 pouces sont idéales pour les enfants”, dit-il, tout en enfilant un tablier pour éviter que les restes de la peau entachent ses vêtements.
Huit jours pour dix ravannes.
De ses mains, l’artisan manipule la peau de cabri sur une table. Il nettoie cette peau visqueuse à l’aide d’un couteau. Une peau qu’il achète chez le boucher ou avec ses amis. “La peau est souvent couverte de sang, de graisse et de poils. Je la laisse tremper dans une barrique d’eau pendant cinq heures. La graisse et le sang se dissolvent. L’eau doit être changée à plusieurs reprises.” Il laisse sécher la peau au soleil pendant deux jours. “Pour traiter la peau, il me faut au moins une semaine. Je traite plusieurs peaux en même temps. Entre-temps, je construis les cercles et, s’il le faut, j’applique du vernis.” Il faut compter huit jours pour réaliser environ dix ravannes.
“Adolescent, je concevais des ravannes pour me faire des sous. Je touchais un peu à la menuiserie. Je pouvais donc mieux les concevoir.” Grâce à son savoir-faire, il a su améliorer la qualité de ses ravannes afin d’obtenir un meilleur son. “Avant, il fallait chauffer la peau de la ravanne. Mes modèles ne nécessitent pas autant de chauffage avant chaque utilisation. Il faut uniquement les chauffer en hiver ou lorsqu’il fait très froid.” Il se fait aider par son épouse Christiane et quelquefois par ses enfants après les heures de classes ou lorsqu’ils ont le temps.
Du plywood pour les cercles.
La concurrence avec les ravannes synthétiques est rude. Le musicien adopte des techniques spécifiques pour traiter la peau de la ravanne, à l’instar de la pression appliquée pour tendre la peau sur le cadre. La résonance des ravannes synthétiques n’égale pas celles faites en peau de cabri. “Beaucoup de personnes préfèrent acheter des ravannes synthétiques car elles ne nécessitent pas de chauffage. Lorsque j’ai senti que la ravanne traditionnelle perdait de sa valeur, j’ai commencé à m’y mettre sérieusement”, souligne l’auteur de deux albums de sega tipik, Destin (1996) et Séga dan zil (2009). “Je n’ai pas sorti beaucoup d’albums. Je me suis plutôt concentré sur la conception de ravannes”, précise-t-il, en étalant la peau nettoyée sur une planche en bois pour la laisser sécher.
Plus tard, le ravannier se livre à une autre étape de la fabrication. Il utilise des feuilles de plywood pour construire les cercles. Le support en bois prendra ensuite sa forme définitive dans un cercle en métal. José Legris connaît tous les rudiments de cet instrument. Le matin, il s’applique au nettoyage de la peau; le soir, il construit les supports en bois. Le cadre est facile à réaliser. Il découpe les feuilles de plywood et les fait tremper dans l’eau. Le bois doit être travaillé pour en faire le cercle de la ravanne. “Avan, mo ti pe konstrir li avek dibwa lakol. Maintenant, je le fais avec des feuilles de plywood. Il faut les faire tremper pour les rendre manipulables”, explique-t-il, le marteau à la main. Il les fait ensuite sécher au soleil sur sa terrasse qui lui sert aussi d’atelier.
“Nous avons l’esprit créatif”.
Le cinquantenaire raconte comment il a appris le métier de son père. “J’ai appris à construire des ravannes à l’âge de 8 ans. C’est mon père qui me l’a enseigné. Enfant, je l’aidais car il était parfois débordé. J’étais tout le temps avec lui.” Son père lui a transmis ce savoir. “C’est dans le sang. Nous avons l’esprit créatif.” Le ravannier s’est mis à fabriquer des ravannes en 2012 en quittant le poste qu’il occupait sur la propriété sucrière de Mon Loisir. “Comme je savais déjà fabriquer des ravannes, j’ai voulu en faire mon métier.”
La ravanne commence à prendre forme sous nos yeux. José Legris badigeonne la colle autour du cercle et utilise plusieurs clous pour fixer la peau au cercle. “Il faut enlever les clous une fois que c’est sec pour agrafer la peau au cadre.” Il fabrique vingt ravannes par mois. “La demande est en baisse. Cela dépend des mois. Je peux me faire Rs 2,000, Rs 10,000 ou Rs 15,000.”
José Legris vend ses ravannes à des particuliers, des hôtels et des magasins. “C’est un métier très dur. Je le fais parce que je suis passionné. Mais je ne veux pas que mes enfants reprennent mon business. Ils s’y intéressent mais je veux qu’ils poursuivent leurs études d’abord”, dit-il, en fixant plusieurs petites cymbales autour de la ravanne à l’aide d’une perceuse. “Mes ravannes durent longtemps. La durée dépend également de la colle utilisée durant la conception.”