Dans cette famille d’Olivia, quatre générations vivent sous le même toit dans des conditions de grande précarité, sans eau et sans électricité. À l’heure des grands chantiers et des beaux discours, la grande pauvreté reste enracinée. C’est ce que viendra rappeler la Journée mondiale du refus de la misère, commémorée le 17 octobre.
Ce soir, grâce à Rs 100 de karkas poul, Géraldine compte préparer “enn kari avek dal ek diri”. Un dîner qu’elle partagera avec sa mère, ses quatre enfants, ses deux gendres et ses trois petits-enfants. Scope s’est rendu à Olivia où vit cette famille de quatre générations dans deux petites pièces exiguës d’une bicoque en tôle. Le soir venu, c’est à lueur de quelques bougies – “si on arrive à en acheter”, qu’ils s’éclairent. Ou sinon, comme pour le bain, ils se mettent à l’extérieur pour profiter au maximum des derniers rayons de soleil avant de se coucher. Géraldine et toute sa tribu possèdent uniquement deux lits, un matelas, une table pliable, une chaise en plastique, une petite étagère et une armoire. Le coin cuisine est annexé à la bicoque. Pour faire leurs besoins, ils se rendent chez leurs voisins.
“Nou finn ne ladan”.
Cette situation de précarité, Géraldine la vit depuis son enfance. À 44 ans, elle ne nous cache pas n’avoir le moindre espoir que ses petits-enfants puissent se sortir de ce cercle infernal. “La misère n’est pas que dans son assiette et son habitat. Le plus dur, c’est l’humiliation, la stigmatisation et l’exclusion de la société.” L’une de ses filles ajoute : “Nou finn ne ladan, nou finn abitie ar sa lavi-la ek bann-la (en regardant les enfants sur le pas de la porte), zot osi zot pou fini par abitie. Pena swa de tout fason.”
Sur le lit, la plus âgée, Thérèse, 81 ans, et le petit dernier d’à peine deux mois sont unis par le sang et par le même destin. Celui de la misère où le quotidien se résume à survivre. Au réveil, une tasse de thé pour chacun et quelques biscuits, en attendant le déjeuner composé des restes de la veille. Chez cette famille, les seuls revenus sont une pension de vieillesse et ce que les deux hommes rapportent des petits boulots décrochés aléatoirement. Un montant dérisoire qui sert à se payer quelques conserves, du riz et du pain. À peine de quoi faire des provisions pour tout le mois avec les dix bouches à nourrir. Il faut donc compter sur la générosité et les colis alimentaires des associations caritatives.
Ni rêve ni projet.
Sur le palier, quatre petits jouent au loto. Loin de se soucier de n’avoir pas été à l’école ce vendredi, ils sont déjà en mode week-end. “Zot inn gagn difikilte pou leve gramatin”, tente de s’excuser leur grand-mère. Avant de nous avouer finalement : “Zot pa pe reisi aprann. Sans compter qu’ils refusent d’aller à l’école à cause des moqueries de leurs petits camarades sur leurs vêtements.” Ni elle ni les autres adultes vivant sous ce toit n’ont complété leur scolarité.
Cela fait plus de vingt-cinq ans que Géraldine s’est installée sur ce Crown land dans cette région avoisinant le village de Bel Air. Par peur d’être évacuée, elle n’a jamais entrepris des démarches pour régulariser sa situation. Cependant, “mo finn deside pou al fer bann papie”, surtout pour se connecter au réseau d’électricité et s’offrir un téléviseur. “Il y a trop de problèmes de drogue et de violences dans le quartier. Mo nepli anvi mo bann ti-zanfan zwe deor.” Ceci lui permettra également de laisser au moins ses deux pièces en héritage à ses enfants et petits-enfants. “Je n’ai pas pu leur sortir de la misère. C’est un lourd fardeau que je porterai jusqu’à mon dernier souffle. Kan ou ladan ki ou kone ki sa ete vremem. Surtout quand vous constatez l’écart qui ne cesse de se creuser entre les riches et les pauvres. Okenn rev ni proze nou pa kapav ena.”
Donovan, 8 ans :
“Caudan ? Bagatelle ? Ki ete sa ?”
S’il n’arrive pas à expliquer ce que veut dire vivre dans la misère, cela n’empêche pas Donovan de nous raconter, à sa façon, comment sa famille et lui nou bann dimounn pov. Pour ce petit âgé de 8 ans, alors que les garçons de son entourage possèdent des zouzou, il n’a même pas “enn ti balon foutbol”. En cette Journée Mondiale du refus de la misère, Donovan nous partage en toute innocence ses rêves, projets et autres espoirs d’enfant.
Noël est pour bientôt. Que vas-tu demander au Père Noël ?
Une bicyclette pour pouvoir faire le tour du quartier et pour me rendre à la boutique plus rapidement.
En quelle classe es-tu ? Aimes-tu l’école ?
Je suis en troisième. Oui, parce que j’y retrouve mes amis pour jouer.
Qu’apprends-tu à l’école ?
Lir, konte ek ekrir.
Quelle est ta matière préférée ?
(Haussement des épaules) Aucun en particulier parce que je n’aime pas faire mes devoirs. Miss donn nou tro boukou me mo prefer zwe dan lakour.
Quel métier souhaites-tu exercer quand tu seras grand ?
Travay dan biro.
Pour quelle raison ?
Pour avoir beaucoup d’argent et m’acheter une voiture. Le papa de mon ami en a un et il l’emmène souvent se promener.
Et toi, où as-tu l’habitude d’aller te promener ?
(Après quelques minutes de réflexion) Mo ti al laplaz Belmar. Mais j’aime bien me rendre à Flacq ou à Bel Air avec ma maman et on va manger au KFC. Je fais rarement des sorties car le bus coûte cher.
As-tu déjà entendu parler du centre commercial de Bagatelle ou du Caudan ?
Caudan ? Bagatelle ? Ki ete sa ?
Si on te donne de l’argent, qu’achèteras-tu en premier au magasin ?
Une paire de chaussures (il se ravise) enn televizion pou get ti-komik.
Es-tu heureux ?
Oui, parce que je suis entouré de ma famille. Nou kontan koze ek riye ansam.
De quoi as-tu peur ?
Kan bizin bengn deor dan mwar. Apre bann bebet ki mars lor nou aswar kan mo dormi lor matla avek mo granmer ek mo bann ti-kouzin.
Ceux qui tiennent la main aux pauvres
Ce qui devait être du bénévolat s’est finalement transformé en un travail à plein-temps. Cela fait trois qu’Ornella officie comme travailleuse sociale pour l’une des cellules d’accompagnement de Caritas. Chaque jour, elle reçoit, accompagne et conseille plusieurs familles vivant dans la pauvreté. Son constat est le suivant : “Année après année, je me retrouve avec des cas de plus en plus difficiles. Les fléaux de la drogue, de l’alcoolisme, des grossesses précoces, entre autres maux de la société, ne nous facilitent pas la tâche.” Elle précise que les médisances insinuant que ces familles préfèrent l’assistanat ou qu’elles ne font aucun effort pour s’en sortir ne reflètent pas la réalité du terrain.
Un avis que partage Priscille Noël, Chief Serving Officer à Lovebridge. “Pour 2017, nous avons constaté une baisse de l’échec scolaire chez nos bénéficiaires ainsi qu’une augmentation du nombre de personnes ayant trouvé un emploi stable. Nous sommes confiants de bâtir avec nos familles des bases solides pour un empowerment sur le long terme et briser ainsi le cycle vicieux de la pauvreté sur une génération.” Comme plusieurs autres ONG, Lovebridge lutte pour faire reculer la pauvreté.