Deux ans après son témoignage à Scope, nous retrouvons Ryan (nom fictif), trafiquant de drogue de 25 ans. À l’époque, il recrutait des enfants de 10 ans pour faire fructifier ses affaires. S’il se fait toujours aider par ses “jockeys” pour écouler sa marchandise, le dealer a mis en place d’autres modes d’opération. Loin de se sentir concerné par la publication du rapport de la Commission d’enquête sur la drogue, le dealer fidélise sa clientèle et fait prospérer son trafic.
Soigneusement rasé et coiffé, et bien apprêté en chemise, jeans et mocassins, Ryan, jeune trafiquant de drogue, se fond dans la masse. Aucun signe de son apparence ne laisse soupçonner qu’il est dans la vente de brown, subutex, gandia, drogues synthétiques et autres. Ce look clean et passe-partout est un élément important de son business. “La drogue, c’est mon métier”.
Bijoux en or et voitures rutilantes, très peu pour lui. “Sa pou bann frimer ek debitan, se ki pena laservel.” Lui fait profil bas : “Ce sont ceux qui en gagnent le plus qui en montrent le moins.” Il assure ses arrières en continuant à s’enrichir avec l’argent de la drogue.
“J’ai franchi des étapes”.
Ce n’est pas un novice que nous avons rencontré. Après avoir changé le lieu du rendez-vous plusieurs fois et nous avoir fait poiroter quelques heures, histoire de “bien verifie ki pena risk”, celui qui a gravi les échelons dans la vente de stupéfiants s’est exprimé sans détour. Mais avant de parler “affaires”, il ouvre un chapitre de son background familial.
Avant de se lancer dans ce business de drogue vers l’âge de 17 ans, son père, ses oncles, ses cousins et d’autres proches étaient consommateurs ou revendeurs.
Lors de ses confidences à Scope en 2016, celui qui nous avions surnommé Ryan disait : “Personne ne m’avait demandé mon avis. On me disait simplement d’aller déposer ou de récupérer des paquets. À force d’avoir dans son entourage des consommateurs ou des trafiquants de drogue, on finit par comprendre, sans poser de questions. À vrai dire, je n’ai jamais eu l’envie de faire autre chose vu tout ce que j’ai pu faire ou acquérir jusqu’ici.”
Au bout de huit ans de trafic, Ryan n’éprouve ni regret ni remords : “Mo bien konsian ki se enn larzan sal ek ki mo enn marsan lamor. Néanmoins, s’il n’y avait pas autant de demande, il n’y aurait pas eu de revendeurs. Faut pas tout nous mettre sur le dos.”
Pour mener son train de vie autour de la drogue, le dealer nous explique qu’il achète et revend dorénavant en grande quantité avec des fournisseurs pour des clients de plus en plus importants.
Il y a deux ans, il était en mode recrutement d’enfants d’à peine dix ans pour opérer aux abords des collèges, gares routières et autres lieux de rassemblement.
“J’ai franchi des étapes et mon réseau de contacts est maintenant bien installé. Dan mo karne ena dimounn ki travay dan lapolis, lafarmasi, dan bann gran biro.” Le trafiquant ajoute ne plus avoir besoin d’aller vers le client car “ce sont eux qui font appel à moi”.
Vendeur de drogue à plein-temps.
Son métier de vendeur de drogue est une activité presque à plein-temps. “J’utilise comme paravent un boulot comme gérant et responsable logistique d’une entreprise spécialisée en nourriture et vêtements.”
En réalité, il fait partie des fournisseurs de brown, subutex, gandia, drogues synthétiques et autres dans la région port-louisienne et dans le Sud. Ce qui équivaut à au moins 10 kg par mois et qui lui assure une somme allant jusqu’à Rs 400,000.
À 25 ans, Ryan a déjà dégagé des profits, ce qui lui a permis de racheter et de rénover trois maisons et bungalows, faire l’acquisition de plusieurs véhicules et de terres agricoles et se payer plusieurs séjours à l’étranger : “Pena okenn tras larzan ladrog dan labank. Tou an form de bien ki mo met lor diferan pret-nom mo bann fami.”
Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Ni les lois, ni les différentes opérations crackdown, ou la peur de se retrouver en prison. Concernant le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue, Ryan nous confie qu’il ne se sent nullement concerné ou inquiété :
“Quand je verrai les big boss sous les verrous, je commencerai à trembler. Ce n’est pas pour bientôt que cela risque d’arriver à Maurice. Seki misie-la finn dir dan rapor-la se zis enn ti parti la realite. Nou kapav enn ti-lil, me kwrar mwa kan mo dir zot ki ena bann dimounn bien inflian ki boukou plis inplike dan biznes ladrog. Ils détiennent les pouvoirs bien plus que le gouvernement, qu’ils gardent en otage en sponsorisant ses caisses.”
Nouveau mode d’opération.
En attendant, it’s business as usual pour le dealer. Et pas question de prendre des risques, sachant que ce milieu est fait “de jaloux et d’envieux”, confie notre interlocuteur. “Il faut surtout séparer le business et les amis. Même le cercle de proches doit être très restreint.”
Raison pour laquelle il récupère lui-même sa marchandise auprès des importateurs. Il a plusieurs endroits où cacher son stock. Entre autres, “dan bann lakaz ou stidio ki mo lwe, dans des coffres en pleine nature ou des voitures mises à la casse. Mais jamais où j’habite”.
Concernant les échanges entre lui et les usagers de drogue, les communications se font par téléphone portable, dont les cartes prépayées sont régulièrement changées.
Depuis quelques semaines, Ryan teste un nouveau mode d’opération pour les commandes de ses clients réguliers et fidèles. Cela se passe par mail et video chat, avec des échanges très codifiés.
La livraison s’effectue souvent sur les parkings des centres commerciaux, aux alentours des pubs et autres lieux de divertissement. Et “parfois sur leur lieu de travail ou chez eux directement”.
Puisque ses affaires progressent, Ryan n’envisage pas de changer de métier. “Après tout, c’est la loi, on connaît les règles du jeu. Au bout de quelques années, c’est devenu une habitude. Ça ne me gêne pas plus que ça. Mo’nn fini kalkil enn ta zafer ek mo pa krwar mo pou fini mizer.”