Disponible en ligne à la fin de ce mois, Karne Vwayaz du chanteur Jonathan Andy est un ambitieux projet musical qui explore de nouvelles avenues avec des textes poétiques. Cette traversée du chanteur révélé par Mo sel labri est une invitation à la découverte. Des influences et des instruments du Cap Vert, du Brésil, de la Libye et d’ailleurs couplés à la musique mauricienne ouvrent une grande fenêtre sur le monde. Un album incontournable attendu chez les disquaires en septembre.
La destination importe peu. Ce sont les courants et les vents qui décideront où mènera ce voyage qui coupe à travers des paysages se renouvelant à chaque étape. Dans ce panorama qui titille les émotions, les détails intriguent autant qu’ils interpellent. Dans ces grands espaces, les sentiments voguent entre joie, mélancolie, profondeur, légèreté et blues. Cette musique ne s’écoute pas en sourdine; elle se vit, comme lorsqu’on s’offre le temps d’apprécier les belles choses.
Le Karne Vwayaz de Jonathan Andy est autant un recueil qu’un album. Il s’écoute aussi bien pour sa musique que pour ses textes. Il s’adresse à ceux qui gardent l’esprit libre, ouvert aux découvertes et aux nouvelles rencontres. L’album de Jonathan Andy est intense. Un carnet crayonné de belles couleurs par un amoureux des mots, dont la voix rauque est portée par une musique riche qui va puiser des sons et des rythmes au-delà de la ligne de l’horizon, sans jamais se perdre ou chercher à trop en faire. Karne Vwayaz est un plaisir qui se partage pour sa chaleur et son ingéniosité. Malgré la profusion musicale du moment, cela faisait un bout de temps que l’on espérait de telles sensations.
Lakaz tol.
On devine la mélodie de la pluie sur la toiture en tôle de cette chaleureuse maison de Cité La Cure où Jonathan Andy nous reçoit. Pour Karne Vwayaz, bien que cela ne plaise pas trop à sa mère, il devient Zonatan. Quelques années après le succès de son single Mo sel labri, le chanteur reprend la route autrement. Pas par le reggae, comme d’aucuns auraient été tentés de le penser.
C’est un balie koko tapé contre le sol du studio qui imite le bruit de la pluie sur la tôle dans les bruitages qui accompagnent Lakaz tol. “Anmenn mwa lor ou flo / Oumem maestro mo lavi / Montre mwa ki lakor / Met nou lor diapazon”, dit le refrain de cette ballade rythmée aux accents de salsa, coécrite par Jonathan Andy et le poète et parolier Michel Ducasse. Le recueil Souf tapaz lavi (2014) de ce dernier offre aussi le poème kreol Blouz lizinn à Karne Vwayaz, les deux auteurs signant également Dan lonbraz.
Jonathan Andy a aussi emprunté des mots à Tahir Pirbhay pour Dan ou prezans : “Dan ou prezans mo santi mwa fier / Dan ou labsans mo resit ou nom / Dan ou bataz ena latirans / Si nou touse nou pou res kole.” C’est le poète Sedley Assonne qui lui a permis de terminer Granmer Talat. Cet hommage rappelle que “Granmer Talat enn gran mama depi Sagos / Lor bato Nordvaer li ti enn pasaze nofraze / Granmer Talat res zis ou nom lor enn ros / Dan simitier kot ou ape repoze.”
Miser sur les émotions.
Père, Ou zistwar, Bizness familial et Marmone sont les autres titres de l’album. Pour ce lecteur assidu qui avoue ne pas pouvoir vivre “sans ma dose de mots”, la qualité de l’écriture était primordiale. Dans la conversation, Jonathan Andy cite Aragon et raconte comment Demain dès l’aube de Victor Hugo l’a fait “tomber amoureux” de la poésie. “Je n’ai pas une voix particulièrement puissante. Je mise sur les émotions de ma voix à travers les textes”, confie le chanteur. Les textes de son album sont des poèmes qui dépeignent la vie en rythmes et en rimes. Des histoires parfois sombres : le tableau est peint sans artifice pour être apprécié au naturel, sans édulcorant.
“Pour accompagner une chanson à texte, la musique doit être discrète et riche en même temps, composée de plusieurs petits éléments pour donner sa valeur à chaque mot et à chaque phrase”, souligne Jonathan Andy. Ce sont le batteur Momo Manancourt et le bassiste et arrangeur Didier Baniaux qui sont au cœur de la musique de Karne Vwayaz. Ces deux professionnels aux parcours éloquents ont veillé à offrir à chaque morceau une identité et une autonomie afin que chaque chanson puisse voler vers les sommets.
Dans le processus de la construction de cet album, d’autres talents sont venus se greffer à ce projet qui ne pouvait que prendre du volume. Les guitares sont tenues par Sébastien Margéot, Maurice Antoinette et Steve Deville, et les percussions portent l’empreinte de Jean-Marie Lee Haw Hay. Yannick Gérie, Sarah LeBoeuf et la chanteuse indienne Ajitha Murday font partie des chœurs.
De Port-Louis au Cap Vert.
Mais Karne Vwayaz avait des ambitions encore plus grandes. Un concours de circonstances lui a permis de s’offrir la guitare et le cavaquinho du Brésilien Tuniko Goulart, qui a joué aux côtés de Cesária Évora. Kanazoé fait résonner son balafon du Burkina Faso alors que s’égrène le kayamb d’Olivier Araste de La Réunion. La trompette est celle de Gileno Santana, Brésilien vivant au Portugal, et le violon est joué par le Libyen Esam Agha, entendu par hasard dans le métro en Angleterre où il vit au noir. Se trouvant aux confluences de ce beau bouquet de cultures et d’influences, Karne Vwayaz fait la part belle au 6/8 du rythme mauricien, qui cohabite avec le blues et les autres rythmes du Cap Vert et d’ailleurs.
Le mastering de cet album a été confié à Tony Cousins, qui a travaillé avec plusieurs vedettes internationales au Metropolis Studio, par où sont aussi passés des albums des Beatles, de Sting, d’Adele, de Madonna, entre autres. Directeur et arrangeur musical, Shailend Hurry a déployé de grandes ressources afin que Karne Vwayaz ait une large envergure. Il a toujours pensé que la voix et le style de Jonathan Andy devraient aboutir à un projet d’une autre dimension. “Il m’a parachuté dans un monde qui m’était complètement inconnu”, avoue le chanteur.
“Pa ti kone kot pou ale”.
Au début, les deux hommes ont cru que le projet verrait le jour en six mois. Mais Karne Vwayaz avait ses propres ambitions. “Il a fait son propre voyage. Le carnet a accepté de nouvelles rencontres et en a rejeté d’autres.” Trois années ont été nécessaires pour qu’il aboutisse. “Quand nous sommes entrés en studio, nous n’avions aucune idée de ce que cela donnerait à la fin. Nou pa ti kone kot pou ale avek sa”, confie le chanteur.
Réalisé en collaboration avec Green Attitude Foundation et les Éditions Le Printemps, l’album sera accompagné d’un livre qui présentera les textes et les différentes étapes du projet. Jonathan Andy raconte qu’il avait le choix entre travailler sur un livre ou un album. Avec Karne Vwayaz, il réconcilie ses deux rêves. “J’aimerais que le public se saisisse de l’album comme il le ferait d’un livre. Chaque chanson est un nouveau chapitre. Ce livre parle de la vie, de la liberté, de la joie de vivre, de l’espoir.”
L’album sera en vente en ligne, le 31 juillet. Le coffret contenant le CD sera disponible en septembre. Une des craintes du chanteur est que le public n’adhère pas à la nouveauté qu’il présente. “Nos oreilles ne sont pas habituées aux nouveaux styles. Mais il ne faut pas que nous restions dans notre zone de confort et que nous ne prenions aucun risque.” Il garde la foi, en croyant dans la force du métissage mauricien : “Nou pep kolore. Karne Vwayaz, li kolore kouma nou pep.”
Ce timbre de voix
Un timbre de voix rauque qui épouse les contours de la mélodie dans un flot naturel. Jonathan Andy s’est fait remarquer il y a quelques années avec sa version de Mo sel labri. Une petite expérience concluante pour ce jeune homme, qui pouvait passer à une autre étape. Dans ce parcours, le soutien de son ami Mayeul Couturière a été précieux, alors que Jonathan Andy choisit la voie la moins facile pour avancer. Qu’importe, l’enfant de Résidence La Cure est un obstiné qui connaît le goût de l’effort et la satisfaction que procure le travail bien fait.
Des caractéristiques qui se sont davantage développées à la mort de son père, alors qu’il avait 18 ans. Jonathan Andy intègre le monde du travail par devoir, alors qu’il aurait peut-être choisi de poursuivre des études plus avancées. Mais quelque chose le dérange : “Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi d’autres écrivaient mieux que moi.” Afin de pallier ce qu’il considère une lacune, il lit davantage, empruntant des livres dans les bibliothèques pour ce qui sera son plus beau voyage.
Il découvre ainsi un autre monde. Chaque lecture terminée l’enrichit en connaissances et lui ouvre des portes vers d’autres chapitres de sa vie. Il prend goût à la littérature sous différentes formes. Après avoir exploré les contrées lointaines, il revient vers les côtes mauriciennes pour une autre exploration.
Sa première rencontre avec la littérature mauricienne se passe par Malcolm de Chazal. Jonathan Andy est conquis. Plusieurs autres auteurs l’interpellent. Il fait la connaissance de Michel Ducasse par le biais de Souf tapaz lavi, dont les textes le persuadent d’approcher le poète pour cette collaboration qui apparaît dans Karne Vwayaz.
Cet album, il l’a longtemps pensé. Jonathan Andy avait des choses à dire et a finalement choisi de le faire par la musique. La guitare, c’est “dan kwin lari avek bann kamouad” qu’il a appris à en jouer. Son oncle lui avait fait cadeau d’un instrument, sur lequel il s’obstinait à reprendre le générique de Mr Bean. Enfant de la chorale, il connaît ainsi un apprentissage lor koltar, avec ce fort désir de se perfectionner aussi bien en musique qu’au niveau des textes.
Il considère chacune de ses chansons comme le chapitre d’un livre car chacune a une histoire. Père provient d’un texte initialement écrit sur la tombe de son père. Blouz lizinn de Michel Ducasse l’a interpellé parce qu’il a aussi été travailleur d’usine. Afin de donner une âme à Granmer Talat, il a lu Le silence des Chagos de Shenaz Patel, entre autres, pour mieux comprendre le drame, et s’est fait inviter par Olivier Bancoult pour écouter parler les anciens.