Rajendra et Rajkumaree Cantiah sont laboureurs. Ils ont passé presque toute leur vie dans les champs à creuser, labourer la terre et couper les cannes. Décidés à changer le cours du destin, les deux se sont battus pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Leurs efforts ont fini par payer. Kaliraj, leur fils aîné, est aujourd’hui médecin.
“C’est une fierté pour nous d’avoir mené à bien notre rôle de parents. Kaliraj, l’un de nos trois enfants, est médecin. Vous vous rendez compte ? Zanfan labourer inn vinn dokter, sa travay bondie sa”, dit avec fierté Rajendra Cantiah en regardant son épouse Rajkumaree. La vie de cette famille n’a pas été simple. Pendant de longues années, mari et femme ont travaillé dans les champs, coupant des tiges de cannes à sucre, creusant la terre et arrachant les mauvaises herbes.
Cela leur a permis de gagner honnêtement leur vie, à la sueur de leur front. Avec beaucoup d’efforts et de persévérance, ils ont pu élever leurs trois enfants : Kaliraj, Shalonee et Kaviraj. “La vie était dure. Lapli soley, nou’nn tonbe leve pour l’avenir de nos enfants. Nous gagnions peu d’argent. Les enfants n’avaient pas d’argent de poche pour s’acheter des gâteaux à l’école”, raconte Rajkumaree, émue.
Coupeur de cannes à dix ans.
Coupeur de cannes depuis l’âge de dix ans, Rajendra Cantiah s’initie à ce métier faute d’argent. “À 10 ans, j’ai commencé à couper les cannes. Quelques années plus tard, alors que j’étais en Form 1, j’ai arrêté définitivement l’école. À l’époque, il fallait payer pour étudier au collège”, confie cet habitant de Brisée Verdière.
Pour sa part, Rajkumaree a arrêté l’école en seconde (Grade 2). “J’ai cessé d’aller à l’école à 7 ans pour aider ma mère qui travaillait comme femme laboureur. Je devais veiller sur ma petite sœur”, confie celle qui travaillait dans les champs de cannes pour aider son mari. “Quand j’ai commencé à travailler, mes enfants étaient encore très jeunes. J’avais uniquement deux enfants. Ils avaient environ 8 ans. Pou zot pa sorti deor kan mo ti pe al koup lerb, mo ti pe dir zot mo pou atas zot”, se rappelle-t-elle en riant.
Cessant momentanément de cultiver la terre, elle achète une vache et l’élève dans l’arrière-cour de leur maison. Une maison qui a requis plusieurs années de construction. “Enfant, Kaliraj allait vendre le lait dans le voisinage. J’ai arrêté d’élever la vache quand il est parti poursuivre ses études de médecine en Chine”, dit-elle avec émotion, assise face à son mari.
“Gran frer inn ed ti frer”.
Décidé à changer le cours des choses, Kaliraj Cantiah s’applique dans ses études en espérant un jour soulager sa famille. Quelques années plus tard, il retourne au pays, son diplôme en poche. Il exerce aujourd’hui comme médecin à l’hôpital de Candos. “Nous n’avons pas pu assister à sa remise de diplôme, faute d’argent. Cela coûtait une trop grosse somme pour se rendre en Chine. Nous n’avions pas les moyens”, regrette Rajendra Cantiah.
Rajendra et Rajkumaree ont fait tout leur possible pour éviter que les enfants aient le même destin qu’eux. “J’ai toujours voulu que mes enfants aillent loin dans la vie. Aujourd’hui, ils sont capables de vivre mieux que nous. Je suis fier d’eux”, dit le père, en nous montrant les photos prises lors de son soixantième anniversaire, aux côtés de ses enfants et de ses quatre petits-fils.
Conscient que l’éducation est la clef pour sortir de la pauvreté, le couple a investi dans la scolarité de leurs enfants. Chaque fin d’année, l’époux achetait le matériel scolaire des enfants. “Les enfants faisaient leurs devoirs comme ils pouvaient. Je ne les forçais pas. Ils faisaient de leur mieux. À chaque trimestre, je me faisais un devoir de voir leur performance scolaire. Kaliraj n’a jamais raté une classe. Il a brillamment réussi ses études.”
Solidarité familiale oblige, Kaliraj Cantiah a insisté pour que son petit frère poursuive des études tertiaires. “Ça coûte beaucoup, nous n’avons pas les moyens. Gran frer inn ed ti frer. Li ena enn rekonesans anver so fami. Tous les mois, il m’envoyait des sous. Même maintenant, il me demande si je ne manque de rien. Il veut toujours nous aider”, raconte la mère courage.
Toujours cultiver la terre.
Aujourd’hui à la retraite, le couple Cantiah continue à travailler la terre. Mari et femme n’aiment pas rester oisifs. Rajkumaree continue à cultiver des légumes dans un champ à Mare d’Australia. “Je suis habituée à ce train de vie. On vient me récupérer à 6h tous les matins. À midi, je suis déjà chez moi. Cela n’a jamais été un souci de me réveiller tôt pour m’occuper de la maison, des enfants et d’aller travailler. Ma vie est ainsi faite.” Le mari affirme qu’il ne regrette rien de sa vie de laboureur. “Même quand j’arrêterai de bosser, je continuerai à cultiver la terre. Mo prefer plante ek res aktif pou pa gagn problem lasante.”
Les deux font l’objet de railleries parce qu’ils travaillent dans un champ à leur âge alors que l’un de leurs enfants est médecin. “Certains nous disent : Ou garson dokter, li pa donn ou kas ? J’ai horreur qu’on me dise cela. J’ai toujours mes deux mains, pourquoi demander des sous à mon fils ? Je peux toujours subvenir à mes besoins. Où est le mal si je continue à travailler alors que mon fils est médecin ? Même avec l’argent de la retraite, cela ne suffit pas. Je travaillerai tant que j’aurai le courage.”
Malgré les contraintes et la fatigue liées au métier, l’artisan ne baisse pas les bras. Son sabre à la main, il avance vers d’autres matins. “J’ai toujours travaillé dur. Les jeunes d’aujourd’hui ne travailleront jamais dans un champ de cannes. Ils n’ont pas ce courage…”