Les citoyens sont en colère et ils comptent bien se faire entendre. À Pomponette, dans les rues de Port-Louis, à Tamarin, Albion, Beau Bassin et ailleurs, une même vague de contestation motive les citoyens à sortir dans la rue parce qu’ils ne sont pas contents. Leur cible principale : le gouvernement, dont les mesures et les décisions sont sources de frustrations. Dans plusieurs cas, au lieu du dialogue souhaité, le pouvoir choisit de regarder de haut ses détracteurs et de répondre par le mépris ou par des policiers équipés de matraques. Ce qui n’a pour effet que d’attiser la flamme de la colère, qui pourrait allumer d’autres brasiers.
Serait-ce l’influence du mois de mai ? Qu’importe ! La colère gronde une fois de plus. Elle se manifeste dans la rue, portée à bout de bras par des citoyens exaspérés de ne pas être écoutés au sein d’une démocratie qui semble avoir été prise en otage par ceux qui ont le pouvoir politique et financier. Face à ces gran palto, des Mauriciens qui ne veulent pas être assimilés à des pie banann admirables se pliant aux caprices des puissants, qui n’ont souvent pour priorité que leurs intérêts. Las d’être pris pour des moutons de Panurge attirés par le parfum du briani et du vin bon marché et qui se ruent devant les estrades politiques pour faire le nombre, ils sont quelques-uns à choisir la voie de la contestation. Avec des moyens limités, comparativement à ceux dont disposent les puissants, ils protestent et s’opposent afin de défendre l’environnement, les principes, les intérêts communs. Quitte pour cela à braver les interdits, les lois et certainement la bienséance qui caractérise les dociles et autres bater bis.
Des foyers allumés.
Ces derniers temps, des foyers ont été allumés dans différentes parties du pays et pour diverses raisons. À Beau Bassin, c’était pour sauver les arbres de la Promenade Roland Armand et tout son symbolisme face à l’invasion du Metro Express, dont la viabilité ne convainc toujours pas une bonne partie de la population. À Albion, l’annonce du Petroleum hub, puis de la jetée, a soulevé des réactions. À Pomponette, l’opération kraz baraz a constitué un acte de résistance, démontrant que les citoyens sont disposés à aller jusqu’au bout pour défendre leurs convictions, le patrimoine et l’héritage commun.
À Roche Bois, quelques mois plus tôt, des jeunes étaient descendus dans la rue pour dénoncer le recrutement get figir et la discrimination. Entre-temps, à Tamarin, des citoyens ont décidé de se mobiliser de leur propre chef pour freiner l’expansion des drogues synthétiques, alors que le gouvernement ne réagit que de manière timorée face à ce fléau qui cause de grands dégâts à travers le pays. Et puisque le dialogue recherché butte contre le silence des conservateurs, des manifestants ont aussi choisi d’être dans la rue, au vu et au su de tous, pour réclamer une révision sur la question du gandia.
Dans ces cas précis comme ailleurs, les autorités gouvernementales jouent aux monarques qui n’entendent rien dans leur tour d’ivoire et qui dévient les débats. Il ne resterait plus qu’au ministre mentor de sortir une de ses ridicules boutades pour confirmer que le gouvernement n’en a rien à faire de ces actions citoyennes.
Dans la rue, on connaît la chanson, et la grimace énerve autant qu’elle fait rire. Mais elle ne fait pas peur. Peu importe qu’on leur sot ledwa ou qu’ils savent la bataille perdue, ceux qui se sont engagés ont bel et bien décidé de se faire entendre. C’est ainsi que de petits brasiers sont allumés, ici et là. Au fil des semaines, les flammes gagnent en intensité…
Légalisation du cannabis
Selven Govinden : “Nous nous battrons jusqu’à la légalisation”
“Ki nou lé? Gandia”, “Syntetik nou pa le”, “Represion pa marse”, “Aret ferm dimounn pou nanye” : ce sont quelques-uns des slogans scandés lors de la marche pour la légalisation du cannabis, organisée le samedi 5 mai dans les rues de Port-Louis. En une heure et trente minutes environ, quelque 300 personnes ont marché pour demander que le cannabis soit enlevé de la liste des drogues dures. Les organisateurs soutiennent que la marche a été un succès, malgré la présence de deux personnes venues contester cette marche à un certain moment et qui ont vite été maîtrisés par la police, qui leur reprochait de tenir une manifestation illégale.
Selven Govinden, membre de CLAIM, félicite les personnes qui se sont déplacées. “On a vu des gens déterminés qui n’ont pas eu peur de se battre pour leurs droits. Nous n’allons pas nous arrêter là. C’est une lutte qui dure depuis les années 80. Les gens sont de plus en plus conscientisés sur les bienfaits du cannabis, notamment dans le domaine médical.”
Descendre dans la rue était devenu inévitable. “Nous avons envoyé plusieurs correspondances au gouvernement depuis des années mais nous n’avons jamais eu de réponse. Nous sommes déterminés, nous nous battrons jusqu’à la légalisation.”
Mobilisation à Tamarin contre la drogue synthétique
Jean-Jacques Arjoon : “Nous attendons beaucoup du gouvernement”
Les habitants de Tamarin en ont assez de la prolifération de la drogue synthétique. Pour se faire entendre et pour protéger leurs enfants de ce fléau, une marche a eu lieu le dimanche 29 avril à Tamarin. “Une foule d’environ 500 personnes s’est réunie. Ce fut un succès. Ce rassemblement a permis une prise de conscience”, affirme le chanteur et animateur de la Pointe Tamarin, Jean-Jacques Arjoon. Ce dernier est entré en pourparlers avec quelques élus de la circonscription pour trouver une solution. “Deux politiciens se sont joints à nous pour la marche et quelques réunions. C’est leur devoir de répercuter sur ce que nous sommes en train de vivre. Nous attendons que les questions jaillissent au niveau du Parlement.”
L’heure n’est plus à la rigolade car certains jeunes sont sérieusement liés à la drogue synthétique. “Les parents sont venus vers moi, me faisant part de leurs soucis de drogue avec leurs enfants. Certains réclament de l’argent et sont devenus brutaux à la maison.” Il fallait faire bouger les choses avant que la situation ne dégénère. “Nous avons commencé par sensibiliser les parents à ce problème de drogue synthétique. Nous avons ensuite parlé aux présumés trafiquants de drogue et conscientisé les jeunes et les parents pour qu’ils soient vigilants.”
Jean-Jacques Arjoon ajoute qu’une demande a été faite à la police pour qu’elle soit plus présente dans les lieux d’activités concernés par la drogue. “C’est à l’État de voir comment fonctionne la police. Nous attendons beaucoup du gouvernement. Il faut que la police soit une police plus communautaire qu’une police répressive.”
Pomponette
Yan Hookoomsing : “La guerre a été déclarée”
“Pena sime ki nou pou les bann-la ras Pomponette ar nou. Il n’y aura pas d’hôtel à Pomponette”, assure Yan Hookoomsing. Il annonce que le collectif Aret Kokin Nu Laplaz et Rezistans ek Alternativ déclencheront une campagne internationale contre le groupe Marriott et le promoteur Clear Ocean Hotel and Resorts Ltd. “Nous allons dénoncer le groupe Marriott auprès des grands tours-opérateurs qui évoluent dans les marchés principaux du tourisme à Maurice. C’est une honte pour un grand groupe hôtelier qui a énormément d’hôtels à Maurice. La guerre a été déclarée et pa pou ena sime ranz sa lotel-la.”
Lors d’un rassemblement tenu 1er mai à la plage de Pomponette, sept activistes d’Aret Kokin Nu Laplaz et de Rezistans ek Alternativ avaient été arrêtés après avoir fait tomber un barrage érigé par le promoteur hôtelier Clear Ocean Hotel. Le temps passe et rien n’est fait pour mettre un frein à ces accaparements de plages. Yan Hookoomsing, activiste du collectif Aret Kokin Nu Laplaz, estime que c’est un sentiment que partagent beaucoup de Mauriciens depuis un certain temps. “Partou pe barikade, pe gagn pouse kat kote. À La Cambuse, les promoteurs hôteliers voulaient prendre un arpent et demi de la plage publique. À Pomponette, Clear Ocean Hotel veut prendre toute la plage. N’oublions pas Bel Ombre, où il y a des projets hôteliers mis en œuvre. Il y a un ras-le-bol de la population.”
Yan Hookoomsing souligne que le gouvernement n’est pas en faveur des Mauriciens. “Nous avons envoyé plusieurs lettres au gouvernement et nous n’avons jamais reçu de lettre de confirmation de réception. Ne parlons pas de demandes de rencontres et de réunions que nous avons faites ! Nous sommes ignorés par le gouvernement. Même les propositions alternatives que nous avons soumises lors des consultations prébudgétaires l’année dernière n’ont pas été prises en compte.” Il y a un refus total de dialogue de la part du gouvernement, qui ne veut pas comprendre qu’il peut y avoir des gens qui contestent ces projets. “Leta pe soutir bann promoter. Il est en train de mobiliser les ressources publiques pour défendre l’indéfendable au détriment de la population, pour le bénéfice de certaines élites.”
Jean Yves Chavrimootoo : “La contestation populaire doit se poursuivre”
Pour Jean Yves Chavrimootoo, ces contestations citoyennes régulières sont nécessaires, pour plusieurs raisons. “Il est vrai qu’il y a une augmentation dans les contestations populaires ces derniers temps dans différents foyers de lutte. Nous sommes à la croisée des chemins. Les gens constatent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. La population se rend compte qu’il faut un recadrage de notre politique économique et sociale. Les gens prennent de plus en plus conscience que s’ils ne descendent pas dans la rue, les Mauriciens risquent de vivre dans une société qui va vers la perdition. C’est tout cela qui amène un réveil. Cette contestation populaire doit se poursuivre car tout ce qui se passe actuellement à plusieurs niveaux forme un cocktail explosif.”
Place Roland Armand
Nalini Burn : “On n’avait pas d’autre recours que d’aller dans la rue”
Pour faire place au Metro Express, le pays a perdu l’un des lieux les plus verts de ces villes : la promenade Roland Armand. Le Collectif créé pour tenter de protéger cet espace vert qui faisait le bonheur des habitants des alentours, a assisté impuissant à ce massacre. Pourtant, pendant de longues semaines, la contestation citoyenne s’était mise en marche pour faire fléchir le gouvernement et lui proposer d’adopter un tracé alternatif et d’épargner la place Roland Armand. “Les recours institutionnels qui existaient avaient été épuisés, c’était sciemment fait par les autorités. Le ministère de l’Environnement a enlevé sa capacité d’agir en dispensant le Metro Express d’un EIA. On n’avait d’autres recours que d’aller dans la rue. On a envoyé des lettres au maire, aux ministères concernés. Ils n’ont pas répondu. C’est extrêmement grave ce qui se passe à Maurice : on enlève la transparence, le droit de regard et la capacité d’agir du peuple. Il ne nous restait que le recours aux manifestations.”
Manifestations à Roche Bois
Johnny Latour : “Ena bann oubli vizavi zanfan Ros Bwa. Mo kominote pe soufer”
Il y a quelques mois, le groupe Zanfan Roche Bois a procédé à une série de manifestations, notamment à Mer Rouge devant l’entrée de la Cargo Handling Corporation Limited (CHCL) et devant l’Hôtel du gouvernement, pour manifester contre les injustices et les discriminations. Johnny Latour, son porte-parole, affirme : “Ena bann oubli vizavi zanfan Ros Bwa. Mo kominote pe soufer. Beaucoup n’ont pas de travail.” Une politique de recrutement qui appauvrit certains habitants de Roche Bois. “Nous avons tenté de rappeler à l’État que nous existons toujours. Nous nous sentons mis à l’écart des développements. Personne ne veut bouger le petit doigt pour nous.” Selon lui, les habitants de Roche Bois doivent avoir l’opportunité d’être recrutés à la CHCL. “Nous habitons tout près de la CHCL. Ena enn travay kot nou, bizin pran dimounn kot nou avan. Kan manke lerla ava pran lot kote.”
Selon Johnny Latour, les manifestations ont eu un effet positif. “Nous serons inclus dans le processus de recrutement.” Il ajoute que des habitants de Roche Bois sont souvent liés aux problèmes de drogue et à d’autres fléaux parce qu’ils n’ont pas d’emploi convenable. “Si nanye pa fer, lerla li pa pou bon pou nou, li pa pou bon pou Moris. Nou pou bizin asize koze dan enn manier pou ki problem la rezoud.”