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Facebook : Pourquoi sommes-nous accros ?

Depuis quelque temps, Facebook est mis à l’index en raison d’un méga-scandale de fuite de données de ses utilisateurs. Une affaire qui vient s’ajouter à une liste de griefs déjà longue. Pour autant, cela ne semble pas beaucoup changer nos habitudes. Mais pourquoi cette addiction au plus célèbre des réseaux sociaux ?

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Si Facebook est de plus en plus critiqué, peu d’utilisateurs ferment leur compte, pris entre injonction sociale et piège des algorithmes, soulignent les chercheurs, qui s’inquiètent de l’opacité des plates-formes de réseaux sociaux. Face au scandale autour de l’utilisation indue de données personnelles par la firme britannique Cambridge Analytica à des fins électorales, les adeptes de Facebook “sont choqués mais pas surpris”, estime Eric Baumer, professeur en sciences de l’information à Lehigh University, aux États-Unis. “Est-ce que cela va les inciter à quitter Facebook définitivement, c’est une autre question”, dit-il.

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En 2014, le groupe s’était déjà retrouvé dans la tourmente pour avoir secrètement manipulé les émotions d’utilisateurs dans le cadre d’une étude sur la “contagion émotionnelle”, une affaire qui l’avait amené à changer les règles encadrant les recherches mais n’avait pas freiné l’expansion de la plate-forme. Sur internet, “on a presque l’habitude que nos données fassent l’objet d’une utilisation mercantile”, remarque Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue française des médias. “Mais que cela puisse servir dans le cadre de campagnes électorales nous gêne beaucoup plus, car cela touche au domaine des idéaux, des valeurs et des idées”, dit-elle.

“Réaction pulsionnelle”.

Pour autant, elle ne s’attend pas un exode des utilisateurs : “C’est devenu tellement central dans notre socialisation et nos interactions que supprimer Facebook et les autres réseaux est possible, mais suppose de se mettre un peu en marge de la société”, analyse-t-elle, pointant “l’injonction sociale” à rejoindre ce site au plus de deux milliards d’inscrits. Une étude sur l’addiction à cette plate-forme “a montré que ce n’est pas forcément le lien social qui attire sur Facebook mais un phénomène d’addiction : certains utilisateurs nous disaient taper instinctivement sur la lettre F de leur clavier quand ils se connectaient”, dit pour sa part Eric Baumer, auteur de cette recherche pour l’université Cornell.

Les mécanismes de cette addiction ? “Facebook joue sur la dimension émotionnelle en nous exposant à des informations qui sollicitent une réaction pulsionnelle et non rationnelle. Ils savent aussi parfaitement quel type d’info va être virale”, explique Olivier Ertzscheid, chercheur français en sciences de l’information à l’Université de Nantes. “La question que cela pose, c’est que le jour où Facebook va décider de manipuler l’opinion sur tel ou tel sujet, sera-t-on en capacité de le détecter ? Ce n’est pas évident”, alerte ce spécialiste, estimant que la plate-forme en est techniquement capable.

“Point Oppenheimer”.

Un risque également soulevé par Andrew Przybylski, psychologue à l’Université d’Oxford, qui dresse une analogie avec la trilogie de Tolkien et son anneau magique qui corrompt le commun des mortels : “Aujourd’hui, quand scientifiques et chercheurs travaillent avec Facebook, ils doivent avoir conscience que c’est un peu comme donner l’anneau à Frodon.” Selon lui, la recherche sur les données et la psychologie quantitative a franchi son “point Oppenheimer”, du nom de l’un des pères de la bombe atomique américaine : maintenant qu’une arme extrêmement dangereuse existe, qu’est-ce qu’on en fait ?

“Nous devons nous assurer que les recherches sont conformes à l’éthique et menées dans l’intérêt du public”, estime le chercheur, qui a remis une proposition en ce sens à Facebook – lui-même n’a plus de compte. Si le public fait de plus en plus attention aux données privées qu’il livre publiquement, “le problème, c’est où l’on met le curseur” entre ce qu’on partage avec tous et ce qu’on réserve aux proches, signale Nathalie Nadaud-Albertini, qui prône l’éducation numérique des plus jeunes pour “sortir de ce rapport de confiance où l’on se dit que tout va bien se passer, sans trop savoir ce que l’on risque”.

Les jeunes utilisateurs ont toutefois tendance à délaisser Facebook au profit d’autres réseaux, souligne Eric Baumer, regrettant au passage “l’opacité des conglomérats de médias sociaux” (Facebook détient Instagram et WhatsApp, Google possède YouTube…) qui peut induire en erreur ceux qui pensent éviter Facebook. Pour Olivier Ertzscheid, une solution est de développer des alternatives à Facebook car “on sait aujourd’hui construire des réseaux sociaux respectueux de la vie privée”.


La colère de la Silicon Valley

La Silicon Valley n’est pas la dernière à vilipender Facebook mais c’est pourtant presque tout le secteur technologique qui prospère sur le trésor que représentent les données personnelles mises en ligne. Après l’éclatement de l’affaire Cambridge Analytica, le patron de Tesla et SpaceX, le très médiatique Elon Musk, avait ainsi aussitôt promis de supprimer les pages Facebook des deux entreprises, rejoignant ainsi le mouvement appelant à “effacer Facebook” (#deletefacebook), lancé via… les réseaux sociaux. Se sont joints au mouvement Brian Acton, cofondateur de l’application de messagerie WhatsApp, mais aussi Roger McNamee, un célèbre investisseur de la Silicon Valley et un des premiers actionnaires de Facebook. Avant même la polémique, le célèbre investisseur du secteur Peter Thiel – membre du board de Facebook – avait aussi tiré plusieurs fois à boulets rouges sur tout le secteur technologique.

Alors, Facebook est-il la victime expiatoire de tout un secteur qui a, comme le réseau social, bâti son modèle économique sur les données personnelles ? “Le système entier est vulnérable à la manipulation”, lance The Center for Humane Technology, une organisation fondée par d’ex-personnalités de la “tech”. Ce qui est sûr, estiment nombre d’experts, c’est que la problématique va bien au-delà du réseau social. “Tout ce qui les intéresse, c’est les annonceurs publicitaires, et l’utilisateur n’est finalement qu’un esclave numérique. Cette fois, c’est Facebook, mais ça pourrait être d’autres, Google, Twitter ou même Apple”, explique un spécialiste.

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