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Post-Berguitta : descente dans l’abîme de la pauvreté

Quelques jours après le passage de Berguitta, Scope est allé à la rencontre de quelques réfugiés à Tranquebar, Cassis, Cité Vallijee, Baie du Tombeau et d’autres poches de pauvreté. Des lieux qui abritent des hommes, des femmes et des enfants aux histoires différentes et au destin commun. Des individus qui essaient de sortir de l’engrenage de la misère, avec l’espoir d’offrir un meilleur lendemain à leurs enfants, mais qui se heurtent malheureusement aux préjugés et aux failles du système.

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Sur un matelas humide et crasseux disposé à même le sol boueux, trois enfants sont endormis. Dans cette pièce en tôle dépourvue d’eau et d’électricité où gambadent quelques chiens, sont entreposés des amas de vêtements mouillés en putréfaction. La vaisselle sale est disposée dans un semblant d’évier et des objets rescapés naviguent parmi des détritus de nourriture qui dégagent une odeur nauséabonde. Moustiques, puces, mouches et autres insectes indésirables fourmillent dans la maison de Lisebie Prudence, 32 ans. “Dimounn dir dan Moris pena mizer, me bizin vinn dan leker-la pou kone.”

Lisebie Prudence devant sa porte

Cette mère célibataire de cinq enfants, originaire de Rodrigues, vit depuis neuf ans un cauchemar éveillé à chaque déluge. Un dur prix à payer pour cette femme qui “ne manquait de rien à Rodrigues. J’habitais Montagne Cabri. Là-bas, lavi ti korek, même si je n’étais pas scolarisée. J’ai grandi auprès de ma grand-mère. Nous sommes venues nous installer à Maurice quand j’étais encore petite. Depuis son décès, je n’ai plus jamais remis les pieds dans mon île natale, même si je sais que la vie y serait différente. C’est une question d’habitude”.

L’histoire de Lisebie Prudence rejoint celles de Marie Daniel Collet et de Sheila (nom fictif), deux autres Rodriguaises qui habitent Cité Longère à Baie du Tombeau. Sauf que ces dernières vivent dans de meilleures conditions que leur consœur de Tranquebar. Certes, l’eau a envahi leurs habitations, les forçant avec leurs familles à trouver refuge dans les centres, mais les dégâts ne sont pas aussi importants.

“Je n’ai plus rien à me mettre”.

Alors que nous mettons le cap vers Baie du Tombeau, nous rencontrons Sheila en route. Comme les autres pensionnaires du Tombeau Bay Community Centre, elle revient de Terre Rouge, en quête de l’argent alloué aux réfugiés. En vain. “Mo’nn al tro tar. Mo pa ti kone si pe gagn kas”, lance-t-elle. Elle nous conduit dans son humble demeure, une maison légèrement dévastée par le cyclone et rangée à la va-vite. “L’eau s’est abondamment infiltrée. Impossible d’y rester”, confie Sheila. Elle a réussi à tout nettoyer avec l’aide de ses enfants, mais ses vêtements nécessitent encore un bon lavage. “Mon armoire a été totalement mouillée. Je n’ai plus rien à me mettre. Bal diri ousi. Pa kone si pou kapav manze tanto.”

Marie Thérèse Flore et ses petits-enfants font partie des rares réfugiés qui se trouvaient encore au Cité Vallijee Community Centre, ce mardi matin. Cela fait douze ans qu’elle fait le va-et-vient entre ce centre, dont elle connaît les moindres recoins, et sa bicoque. Native de Cassis, elle fustige les rumeurs et assertions selon lesquelles ceux qui ont un statut de réfugiés sont des paresseux qui souhaitent se la couler douce aux frais de l’État et avec l’argent des contribuables. “Pour subvenir aux besoins de ma famille, je travaille au cimetière en tant que marchande d’eau depuis plus de 24 ans. Koumsa ki mo gagn mo lavi. Ena zour mo kapav gagn Rs 20 ou Rs 500, kouma ena zour mo kapav pa gagn nanye.”

Une spirale infernale.

Tout comme Lisebie Prudence, Sheila travaille “dan lakaz madam” pour soigner ses deux enfants. Une autre habitante de Tranquebar, que nous appellerons Michaella, a travaillé en tant que maçon “pou trouv enn lizour”. Elle ne veut pas s’exposer davantage aux regards malveillants des autres. Depuis qu’elle a fait des déclarations à la presse sur sa condition lors des intempéries, elle s’est fait insulter par des mécontents, “qui m’ont traitée de menteuse et de mendiante”. À l’aide d’une serpillière usagée, elle essaie de nettoyer tant bien que mal le sol fissuré, faute de pouvoir colmater les brèches. Ce sol en béton, elle le regarde avec tristesse. C’est à la force de son courage qu’elle a bâti sa maison, en économisant sou par sou pour acheter les matériaux. “Mo fami ti osi pov ki mwa. Je n’ai pas eu une bonne éducation et j’ai l’impression que nous sommes dans une spirale infernale. Mais il est hors de question de faire subir à mes enfants ce que j’ai vécu.”
Mère de trois enfants, dont le dernier en bas âge, Marie Danoël Jolicoeur est dans l’incapacité de travailler et ne dépend que d’une maigre pension et du salaire instable de son époux maçon. Entre deux tétées, elle nous raconte les difficultés du quotidien. “À 5 ans, j’ai quitté Rodrigues pour un meilleur lendemain à Maurice.” La carence et la misère sont ses compagnons d’infortune. “Ena zour ena, ena zour pena, kouma kapav ekonomize pou konstrir enn lakaz dan sa sitiasion-la ? Mo pe nek demann otorite ed nou etablir enn baz pou nou kapav avans pli devan.”

Enn mond sovaz.

Michaella se lamente de cette vie inhumaine et injuste. “Nous ne sommes pas des mendiants, encore moins des voleurs. Nous travaillons honnêtement, mais ce n’est pas suffisant pour nous acheter un terrain ou pour construire une maison.” Sa fille souffre d’une déformation au visage causée par une infection de la gorge. Elle doit bientôt se faire opérer. Michaella a décidé d’investir dans l’éducation de ses enfants. Mais la réalité de ces zanfan site dans leur école est chagrinante : ils sont ignorés, frappés et insultés par les autres enfants. “Ma fille aînée est profondément atteinte. Elle pleurait tous les jours et refusait d’aller à l’école. À tout juste 11 ans, elle me disait qu’elle voulait se suicider”, nous dit Michaella, les larmes aux yeux.

Nos deux intervenantes de Tranquebar sont des femmes seules, qui subviennent comme elles le peuvent aux besoins de leurs familles. “Nou bann zanfan viv dan enn mond sovaz. Quand ils marchent dans la boue, ils attrapent toutes sortes d’infections et leurs pieds sont troués et les démangent”.

Dixon Collet ne veut pas se laisser gagner par la pauvreté qui guette Cité Longère. Il a construit sa maison de ses mains. “Il y a quelque temps, elle a pris feu. En la reconstruisant, je l’ai rehaussée.” Avec peu d’argent et énormément de sacrifices, il s’est battu. Pour des raisons médicales, il a été contraint d’arrêter de travailler et ne vivre qu’avec une maigre pension. Résolu à ne pas rester les bras croisés, il a taillé des pierres pour se faire de l’argent. “La vie est dure, mais je sais comment faire pour avoir mon pain. Il faut garder courage et espoir en la vie.”


Robin Lafleur

Vivre avec le VIH et la misère

À Cité Vallijee, nous rencontrons Robin Lafleur. Trois jours après le passage de Berguitta, il fait toujours le va-et-vient entre le centre de refuge et sa demeure. Nous parcourons ensemble une trentaine de mètres avant d’arriver chez lui. De l’extérieur, l’odeur qui émane annonce déjà ce qui nous attend à l’intérieur. Une maison en dur avec des murs et un toit fissurés, une peinture quasiment écaillée, une insalubrité insoutenable : matelas bon pour la casse, meubles en bois gonflés et abîmés, chiffons ici et là, rideaux en lambeaux aux couleurs de la misère…

Robin Lafleur, père de quatre garçons de 12 à 21 ans, vit avec le VIH depuis une quinzaine d’années. Sa compagne a aussi le même statut. “Je n’ai pas eu de chance dans la vie. J’ai grandi dans un environnement où les fléaux m’ont vite rattrapé. Depuis l’âge de 12 ans, je fais des allers et venues entre le centre de redressement, la prison et l’enfer de la rue. J’ai fait des erreurs certes, mais depuis presque quinze ans, je n’ai pas eu des démêlés avec la justice. Je n’arrive pas à trouver du travail, ce qui ne fait qu’ajouter à l’enfer de la misère qui est notre quotidien.”

Robin garde espoir de trouver un toit décent pour abriter ses enfants et qu’ils grandissent dans un environnement sain, éloignés des mauvaises fréquentations. “Un lieu où nous aurons des toilettes et une salle de bains, au lieu de devoir faire nos besoins dans des espaces clos et prendre notre bain sur la plage publique.”


Au mardi 23 janvier

152 personnes toujours dans les centres de refuge

Selon les derniers chiffres des autorités concernées, au mardi 23 janvier, 152 sinistrés se trouvaient toujours dans 12 centres de refuge à travers l’île, sur un total de 4,043 lors du passage de Berguitta. La région qui enregistre le plus grand nombre de réfugiés est Cité Vallijee, avec un total de 42. Les autres endroits toujours concernés sont : Barkly (14), Gros Cailloux (8), Beau Séjour (11), Ste-Croix (34), Cité Martial (7), Cité Richelieu (8), Bambous (11), Batimarais (9), St Pierre (4) et Laperouse (4).

L’état de la maison de Michaella
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