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SOCIÉTÉ PÈLERINAGES: Quand la coutume de la collation nuit à l’esprit de sacrifice

Depuis quelques années il est de coutume d’offrir une collation aux pèlerins lors des deux principales processions religieuses du pays, celle de Ganga Talao et celle au tombeau du Père Laval. Cette pratique relevant de l’hospitalité légendaire des Mauriciens procède d’une bonne intention, qui est celle du partage, de la solidarité et de la communion avec des coreligionnaires et/ou des compatriotes d’une autre confession. Cependant, elle a pris ces dernières années une proportion telle que son impact sur l’environnement n’est pas sans soulever quelques interrogations, alors qu’elle est, de plus, contraire à l’esprit de sacrifice.
Le souci des uns et des autres à apporter sa pierre symbolique au “nation building” peut parfois avoir des effets indésirables. L’on ne peut en effet passer sous silence ces visibles atteintes à l’environnement que pose la quantité de déchets générée par ces distributions de rotis/dhol puris, de citronnade, jus, thé/café, gâteaux, pains fourrés et autres sandwiches par des services d’accueil placés parfois à seulement quelques mètres les uns des autres. Si les responsables de ces escales de restauration prennent soin de placer des poubelles aux alentours, force est de constater que celles-ci ne suffisent pas pour le flot de pèlerins qui prennent d’assaut ces échoppes. Certains membres du public persistent à faire montre d’insalubrité par ignorance. Et parmi ceux qui ont un tant soit peu de conscience écologique, il y a ceux qui ne s’arrêtent pas pour manger, préférant casser la croûte tout en marchant ; ceux-là ne trouvent pas toujours des poubelles en chemin, ou s’ils les trouvent, ces réceptacles débordent déjà. Cela donne alors à voir deux fois dans l’année une scène surréaliste : celle de personnes en prière dans un environnement pollué, contraire à l’image de rigoureuse propreté, symbole de pureté à laquelle sont réellement attachés nos compatriotes de toutes confessions. En témoignent les réclamations régulières de fourniture d’eau prolongée à chaque célébration religieuse.
Lettre pastorale, MID…
Cependant, comme pour le pèlerinage à Grand-Bassin en mars dernier, cette fois encore, à l’occasion de la fête du Père Laval, il était difficile de ne pas remarquer cette multitude de points blancs dans la nature : mêmes gobelets plastiques jonchant les abords des routes, jetés à même le sol par des personnes peu respectueuses de l’environnement ; mêmes papiers gras et bouteilles d’eau en logement plastique et autres conteneurs en polystyrène, matières légères que le moindre vent emporte dans les rues latérales des quartiers longeant la route des pèlerins, dans les cours, les caniveaux, les buissons et, en région rurale, dans les champs de cannes également. Comment également rester insensible au spectacle affligeant qu’offraient les gares routières, les abribus souillés de restes de nourriture, de plats à emporter ? Comment ne pas compatir avec nos compatriotes éboueurs des collectivités locales découragés devant ce surcroît de travail d’une tâche déjà bien ingrate en temps normal ? Or, à midi jeudi dernier, soit la veille du pèlerinage, les équipes de travail que dirige le comité interministériel mis en place à cet effet avaient achevé de nettoyer et d’équiper le site du pèlerinage à Sainte-Croix, indique O. Jaddoo, secrétaire permanent au ministère de l’Environnement. Ainsi pas moins de cinquante grandes poubelles ont été distribuées et placées aux alentours du lieu de culte. Des sacs poubelles ont également été installés dans des endroits stratégiques. Même constat du côté du département sanitaire de la municipalité de Port-Louis, dont une source déplore le « littering sauvage » de la voie publique. (Il cite par ailleurs l’état des toilettes publiques dans la cour de l’église de Sainte-Croix, ainsi que celles des gares mentionnées plus haut où les cuvettes étaient littéralement bouchées, mais c’est là encore une autre paire de manches). Pourtant, chaque année les municipalités concernées augmentent leurs effectifs de nettoyage aux abords des routes fréquentées par les pèlerins, tant durant la marche vers Grand-Bassin que pour celle vers Sainte-Croix. Dans ce dernier site par exemple, à la municipalité de Port-Louis, l’on indique que l’équipe de ramassage d’ordures qui comprend généralement une douzaine d’hommes est augmentée à vingt-quatre rien que pour les alentours immédiats du lieu de culte ; de même une remorque y stationne en permanence pour enlever régulièrement les ordures que transfèrent ailleurs des camions à benne. Mais rien n’y fait, le public continue à salir impunément. Cela, en dépit de la Lettre pastorale de l’évêque de Port-Louis pour 2011, qui est centrée sur la responsabilité de chacun de préserver l’environnement pour les générations futures et qui invite à développer d’urgence une conscience et un mode de vie écologiques. En dépit également, en ce qui concerne Ganga Talao, des appels répétés des responsables religieux hindous, dont le pandit Yudishteer Munbodh, à un comportement davantage respectueux du lac sacré et de son environnement, et ainsi de l’esprit de la célébration. En dépit, enfin, des efforts de sensibilisation nationale au concept “Maurice Île Durable”.
Par ailleurs, force est de constater que les Mauriciens ont développé une habitude de manger/boire à chaque occasion, insidieusement entretenue par les politiciens de tous bords : meeting de la Fête du 1er-Mai, fête de l’Assomption, de Divali, Eid… Par les collectivités locales, qui offrent des subventions spéciales aux organisations socioreligieuses pour « accueillir les pèlerins ». Quand ce n’est pas tout le long de l’année avec des déjeuners pour personnes du troisième âge, pour enfants handicapés, pour pensionnaires d’hospices… Par des entreprises commerciales. Et non des moindres par certaines radios qui plantent sur la route leur plateau, invitant le pèlerin à témoigner en direct de la progression de sa marche….; dans les deux cas, des opérations marketing visant à plaire à toutes les composantes ethniques de leur clientèle et auditoire respectifs. Par ailleurs, rappelons qu’à Grand-Bassin, cette année un pas de plus a été franchi par l’offre de consultations ophtalmologiques gratuites, soulevant un tollé général. Charité authentique ou cynisme outrancier dans la quête de visibilité des uns et des autres ? Toujours est-il que cette pratique de la réception et de dons à toute heure et pour toute cause a pris dans l’inconscient collectif la dimension d’une véritable culture. Dans le cas qui nous préoccupe, se pose une autre question d’ordre religieux : alors que la marche vers un lieu saint constitue l’ultime étape d’une quête intérieure pour tout pèlerin, lui offrir des boissons et des repas chauds tout le long de sa route vers son objectif final n’est-il pas en contradiction avec l’esprit même de sacrifice qu’il aura passé plusieurs jours à entretenir par la prière et le jeûne ? À méditer.

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