Le Soleil n’est pas acquis marque les 30 ans de Ravior. Chacune des pièces de cette collection de bijoux repose sur des siècles de traditions, léguées de génération en génération. Une grande histoire aux allures d’épopée qui ramène vers l’Inde antique et qui se conjugue désormais à l’ère informatique. Elle nous est racontée par Souresh Jetshan. Celui qui, en 1982, a apporté un nouveau souffle à la bijouterie mauricienne.
Abitya a six jours quand il est accueilli par une cérémonie de baptême. Pour appeler la bénédiction sur son premier petit-enfant, Souresh Jetshan répète les gestes que ses ancêtres ont toujours effectués devant les nouveau-nés de la famille. Comme il est de coutume dans cette famille d’artisans joailliers, un marteau, une enclume et une filière sont posés aux pieds de Kalimata. Une présentation symbolique comme une prière faite au Saint Patron de la famille, dans l’espoir que l’enfant reprenne plus tard les outils pour embrasser le métier auquel se consacrent ses aïeux depuis la nuit des temps.
Quelques décennies plus tôt, Souresh Jetshan a fait le même rituel quand Ravi et Raksha sont venus au monde. Ces derniers sont aujourd’hui à la tête de la bijouterie familiale. Mais il y a cinq ans, lors du baptême du petit Abitya, son grand-père a rajouté un élément aux outils traditionnels : une carte mémoire informatique. “C’était pour dire que je souhaite qu’il continue ce métier, qui se fait désormais avec l’assistance de l’outil informatique.”
Les temps ont changé. L’homme le sait, conscient que l’évolution ne pourra se faire qu’à travers un savant alliage de traditions ancestrales et de technologie.
Éclats d’art.
C’est ce qui se reflète dans Le Soleil n’est jamais acquis. À travers le thème de sa création, Ravi Jetshan rappelle que les choses les plus évidentes ne sont jamais acquises et que la quête du perfectionnement n’a pas de fin. La nouvelle collection se singularise par son raffinement; l’ingéniosité est mise en exergue dans la réalisation de chacune des pièces, enrichies d’infimes détails et de mélanges audacieux. Un vrai travail de création où Ravior fait ressortir la dimension artistique de son approche de la joaillerie.
Depuis quelques années, la présentation de chacune de ses collections est accueillie comme un événement dans le monde de la bijouterie, de la mode et dans le milieu artistique, où Ravi Jetshan est aussi présent. Marquant les 30 ans de Ravior, Le Soleil n’est jamais acquis émerge en fait de siècles entiers d’un apprentissage légué en héritage, génération après génération.
Il y a les souvenirs, la très forte tradition orale et les faits rapportés dans l’épais livre compilé par les Barrott, ces griots de la Grande Péninsule chargés de la sauvegarde des mémoires. La couverture en carton usé montre un homme assis s’initiant à la bijouterie aux pieds d’une déesse. Tout autour, des hommes armés observent. Nous sommes en 201 de l’an Vikram, ère sombre pour les gens d’armes de la caste des Chatrias, qui regroupe les soldats et les princes. Tandis que ses congénères se font mercenaires ou bandits de grand chemin, l’un des soldats décide de déposer les armes. “Il s’initia à la bijouterie et c’est ainsi que le clan débuta dans cette voie”, raconte Souresh Jetshan.
Gujrat, Madagascar, Maurice.
La bijouterie devient une tradition dans cette famille qui comprenait les Jetshan du Gujrat. De la philosophie de base enseignée de père en fils, chacun a développé ses aptitudes, ses rêves et ses ambitions.
Le grand-père de Souresh Jetshan et un de ses frères choisissent de quitter l’Inde natal pour l’Afrique du Sud, d’où ils rallient Madagascar. Deux générations plus tard, dans les années 40, Souresh y voit le jour. Quatorze ans plus tard, il sera initié dans l’atelier de son grand-père à Tuléar. Envisageant l’avenir dans son pays, le Malgache ouvre sa bijouterie dans l’avenue principale de Tana où, avec son épouse, il assiste aux révolutions sociales, politiques et armées qui secouent alors la Grande Île.
Des siens, Souresh a hérité d’un métier. Et d’une ouverture d’esprit qui amène cet homme de culture à fréquenter ses compatriotes, indistinctement. Mais malgré ses efforts, le joaillier et sa famille sont difficilement acceptés. “Pour les Malgaches, nous ne pouvions être considérés comme des Malgaches. Et puisque nous étions à la troisième génération d’Indiens d’outre-mer, pour les Indiens, nous n’en étions plus. Je ne me sentais plus capable de vivre ainsi.”
Face à des “obligations morales et économiques”, il se retrouve contraint d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, dans l’un de ces pays multiculturels où sa famille et lui-même seraient acceptés. Entre l’Australie, le Canada, La Réunion – et surtout pas l’Europe ou les États-Unis, “je me suis arrêté à Maurice”, confie Souresh. Nous sommes en 1976; Ravi, son aîné, a 4 ans.
Terre propice.
Souresh Jetshan fait référence à la Bible, à ce verset qui raconte que même le meilleur des grains ne pourrait s’épanouir si le terrain n’était pas propice. “Avant de songer à l’aspect économique et financier de ce changement, je voulais d’un environnement où je me sentirais bien”, se souvient Souresh Jetshan. C’est aussi la condition indispensable pour qu’il réussisse et évolue dans ce métier.
À Maurice, les choses deviennent rapidement claires : “Ici, il me fallait insister pour dire que je n’étais pas Mauricien, mais Malgache”, raconte-t-il, en riant. “J’ai été adopté d’office, naturellement. C’était la terre propice à mon intégration et à mon épanouissement.”
Rien n’est pourtant acquis. Il patiente durant dix années difficiles dans la zone franche avant d’obtenir la nationalité mauricienne, le sésame qui lui permet de revenir vers ce à quoi il est prédestiné, l’héritage “que j’avais reçu et vécu”.
Le nom Ravior est choisi, comme pour ouvrir la voie à son fils. En 1982, les autorités municipales de Quatre-Bornes ont du mal à comprendre pourquoi un bijoutier cherche à s’installer au fond d’un couloir, dans ce qui ressemble davantage à un garage.
Souresh Jetshan a une tout autre vision du métier. Comme à Madagascar, il l’exposera à travers cette vitrine où sont rangés des créations originales et des bijoux anciens. Une façon de dire que la bijouterie ne s’arrête pas simplement à la valeur commerciale des matières utilisées et au temps passé par l’artisan sur un travail. Jusqu’ici, c’étaient les principaux éléments qui déterminaient la valeur d’un bijou.
Respect.
L’homme, lui, innove, crée, propose des éditions limitées, surprend, en sortant des sentiers battus du préconçu pour favoriser une manière de faire artisanale garantissant originalité et qualité. Même si elle a ses contraintes financières, la création rapporte à Souresh Jetshan une satisfaction, une fierté qui prend le dessus sur le pécuniaire. Dans cette approche nouvelle, il n’y avait pas de réelle prise de risque, avoue aujourd’hui le joaillier. Maurice vit alors une période de transition. Bientôt, des étudiants rentreraient s’installer dans la région, avec une vision moins classique, et le boom touristique serait sans doute profitable. L’observation s’est avérée juste.
Parallèlement, pour que le métier dans son ensemble évolue, Souresh Jetshan est alors conscient que l’image de la bijouterie doit être redorée afin de gagner la confiance et le respect de la clientèle. Très tôt, il insiste pour être traité comme un professionnel, dont l’oeuvre se mesure tant par sa dimension artistique que par sa qualité. Il brise aussi le tabou en devenant le premier à parler, dans la presse, de la nécessité d’un système de poinçonnage du bijoutier et d’une instance gouvernementale pour garantir la qualité et la valeur du produit. Car, à l’époque, il y avait souvent une différence de quelques carats que le client était dans l’incapacité de vérifier. “Dans la tête des gens, les bijoutiers étaient des voleurs. Il était nécessaire de corriger cette perception et de restituer la confiance vis-à-vis du métier.”
Beau.
Puisqu’on y est, autant tenter de comprendre l’indéfinissable. À quoi sert donc un bijou ? “C’est comme me demander à quoi sert la beauté ?” Le souffle du silence, avant de répondre : “À concrétiser le beau.” Le bijou, précise l’artisan joaillier, prend sa valeur dans les yeux du regardant, selon les émotions et la sensibilité de ce dernier et l’intimité des relations qui le lient à l’objet. L’homme précise qu’il ne fait pas référence à ceux pour qui le bijou est une démonstration de prestige destinée aux regards des autres.
Dans l’absolu, il n’y a pas de règle pour définir un beau bijou : “Il y a des proportions qui sont dans la nature.” Le talent se qualifie par la capacité de l’individu à respecter ses règles numériques. C’est ce qui fait la qualité de son travail.
Toute cette philosophie, il l’a enseignée à ses enfants lorsqu’il leur a appris les règles du métier. Il leur a aussi livré sa philosophie : “Je n’ai pas cherché le profit facile. Je leur ai appris que le travail et l’honnêteté paient mieux.”
La joaillerie, précise-t-il encore, requiert la maîtrise de plusieurs disciplines : le dessin; le commerce; la chimie; le travail manuel; le maniement du marteau, de l’enclume, du feu, de la forge; la connaissance des métaux, des gemmes, etc.
Confiance.
Depuis le lendemain du Divali 2012, nous sommes passés en 2069 de l’an Vikram. Assis devant son ordinateur dans l’atelier, Shyam, le cousin de Ravi, a du pain sur la planche. Pour marquer ses 30 ans, Ravior a décidé d’être encore plus présent sur la toile. Un site web relooké, une newsletter régulière en préparation, une page Facebook. Et bientôt une application pour smartphones.
L’outil informatique ne sert pas uniquement à la conception des bijoux; Ravior compte aussi l’utiliser pour se rapprocher de sa clientèle. L’anniversaire, prévu en décembre, sera une occasion pour la bijouterie de saluer toutes les personnes qui ont cru en elle. Merci de votre confiance sera le thème de l’ensemble des activités et des initiatives qui seront lancées prochainement. Parmi, une carte de fidélité Fami Ravior et un stylo spécial. “Pou invit dimounn ekrir enn nouvo sapit ansam avek nou”, précise Ravi Jetshan.
De la neuvième génération de bijoutiers dans la famille, ce dernier a pris la relève, il y a quelques années. Parallèlement à la réputation de sa bijouterie, Souresh Jetshan regarde ses enfants grandir. Et avec eux l’émergence d’une autre manière de faire. Lorsque son fils Ravi a complété ses études à l’école de bijouterie, il a senti que le moment était venu. “Dans la vie, il faut savoir déléguer et passer la main. De toute manière, ce n’est jamais bon d’avoir deux capitaines à bord.”
Perfectionnement.
Ravior est entré dans une autre ère, s’épanouissant grâce à la philosophie sur laquelle elle a été construite. L’année dernière, nous en parlions pour présenter Hope, cette collection de bijoux inspirés de l’espoir, imaginée pour venir en aide au Mouvement pour le Progrès de Roche Bois. Plusieurs ambassadeurs avaient accepté de prêter leur image à cette campagne, dont le succès a dépassé les espérances pour prendre une dimension internationale et offrir une autre visibilité à l’ONG engagée dans le soutien des enfants. Une autre grande satisfaction pour Ravior, pour qui l’humain reste au centre de tout.
La dixième génération se prépare. Souresh Jetshan ne pouvait espérer mieux. “Je suis heureux d’avoir vécu mes rêves, d’avoir été adopté par un pays et d’avoir pu exercer le métier de mes ancêtres, qui a été repris par mes héritiers. Pour moi, la boucle est bouclée.” Mais l’histoire, elle, n’est pas finie. Loin de là : “Il n’y a pas de limites dans la recherche du perfectionnement. Nous ne sommes qu’aux balbutiements de ce que peut offrir l’épanouissement de chacun de ceux qui s’occuperont de la bijouterie.”
INDE L’AN VIKRAM 201 – MORIS 2012: Ravior, la quête du soleil
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