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Viken Vadeevaloo, directeur d’anfen : “Réparer des enfants brisés par le système éducatif, ce n’est pas agréable”

“Pourquoi n’a-t-on pas freiné les dégâts chez l’enfant dès le pré-primaire ?”

“Il y a pourtant des personnes brillantes à l’Éducation”

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C’est sans tambour ni trompette que l’Adolescent Non Formal Education Network (ANFEN) a mis en place, avec l’aide de la National Social Inclusion Foundation et le secteur privé, une école de cuisine qui vise à rendre des jeunes qui ne trouvaient pas leur place dans le mainstream, employables. Avec ce projet, l’éducation non formelle a réussi là où l’Éducation nationale a échoué.

Viken Vadeevaloo en est convaincu. Non seulement parce qu’il est le directeur d’ANFEN, mais aussi parce qu’il a lui-même bénéficié de cours de rattrapage dispensés par des enseignants bénévoles, tels Rex Fanchette et Aline Leal, à l’école complémentaire du Center of Learning de Barkly, dans les années 2000. Enfant de Barkly, fils d’un receveur d’autobus qui croyait dans l’éducation, ancien élève du collège New Eton, c’est grâce à l’éducation non formelle et la bienveillance d’un jeune enseignant qu’il a compris qu’il n’était pas destiné à l’échec, comme prédisait son professeur de 6e. Viken Vadeevaloo a étudié à Nashville, aux États-Unis, il s’est spécialisé en droit et sciences politiques et n’a jamais songé à quitter Barkly, parce qu’il n’a aucunement l’intention de renier cette région et son école complémentaire, qui ont  contribué à faire de lui l’homme qu’il est aujourd’hui. Quand il se montre critique envers le système éducatif formel, ce n’est pas pour lui donner des leçons, mais pour que celui-ci corrige les erreurs qui, estime-t-il, sont commises dans l’Extended Programme, par exemple.

Pensez-vous qu’en 2023, la société mauricienne a compris et adhéré au rôle de l’éducation non formelle ?

D’une part, non, parce que tant que l’État ne reconnaîtra que le seul système one size fits all, les Mauriciens ne voudront pas essayer d’autres alternatifs, qui restent pour eux des écoles privées payantes. Ce qui est une réaction normale des parents puisque le programme national est basé sur la compétition et ils savent que le système national ne fonctionne pas très bien. Mais d’autre part, oui, la société a compris notre rôle parce que le travail qui est fait dans les écoles non formelles est reconnu dans les communautés. Le réseau ANFEN a une expérience de 23 ans, il n’a même pas besoin de marketer son programme.

Quid de l’Éducation, y a-t-il une forme de reconnaissance de sa part pour votre travail auprès des enfants qui ne se sont pas adaptés à son système ?

Si ANFEN existe c’est parce que ses élèves n’ont pas réussi dans le mainstream du primaire. D’ailleurs, nous avons remarqué que beaucoup de nos jeunes ont des problèmes de dyslexie, dysgraphie, de concentration, ils sont hyperactifs… Il y a une reconnaissance officieuse de notre contribution dans l’éducation des enfants qui se retrouvent en dehors du mainstream. L’Éducation nous regarde comme un partenaire, car nous avons un millier d’élèves, mais sans pour autant nous reconnaître sur papier. Nous n’avons pas les structures, moyens et profs dont dispose l’Éducation nationale. Ces mêmes facilités qui n’ont pu aider des élèves dans leur éducation primaire.

Dans la réalité, l’Éducation nationale aurait souhaité avoir nos élèves et qu’il n’y ait pas de drop outs au primaire. Nous nous sommes posés beaucoup de questions sur la reconnaissance de notre participation dans la chaîne de l’éducation. Ce qui est attristant est que, comme nos structures ne sont pas reconnues par l’État, nos élèves ne sont pas bénéficiaires du programme d’allocations aux écoliers. Une discrimination à leur égard ! Si un enfant ne s’adapte pas au mainstream, ce n’est pas parce qu’il n’est “pas bon”, mais parce qu’il présente des conditions différentes et a des besoins spéciaux. On lui a dit qu’il n’est “pas bon”, alors qu’il est dyslexique. Si l’enfant est issu d’une famille qui a les moyens, il s’en sortira parce qu’il aura suivi une thérapie pendant quelques années. Mais qu’en est-il de l’enfant dont la famille n’a pas de facilités financières ? Malheureusement, il n’y a pas assez de psychologues cliniciens, d’orthophonistes… et l’université de Maurice ou autres institutions tertiaires privées n’offrent pas ces filières.

Par ailleurs, est-ce qu’on diagnostique les troubles fonctionnels chez les enfants au primaire ? Non! Si le système éducatif avait trouvé la bonne formule pour que ces enfants accèdent à l’éducation, selon leur potentiel, il n’y aurait pas eu de drop outs et ANFEN n’aurait pas existé. Nous aurions voulu ne pas exister car réparer des enfants brisés par le système éducatif, ce n’est pas agréable.

ANFEN serait, donc, comparable à un analgésique ou un pansement qui arrangerait le système éducatif ?

ANFEN est un filet de sécurité qui rattrape l’enfant éjecté du mainstream, lui redonne confiance, répare ses maux, afin de le préparer à l’emploi pour qu’il envisage la vie différemment. Vous savez, je comprends que les autorités mettent des critères d’éligibilité aux subventions. Dans ce cas, qu’on formalise l’éducation non formelle ! Sinon, c’est un non-sens. Aujourd’hui, soit après six ans de Nine Year Schooling, on est en face d’un proof of concept. 98% des enfants de l’Extended Programme ont échoué au National Certificate of Education. Si l’argent public a financé un programme qui s’est avéré être un échec, l’auto critique est nécessaire. Si cela était arrivé dans le secteur privé, je vous assure qu’on se serait arrêté pour se poser des questions et comprendre les causes de cet échec. Un élève qui se retrouve en Extended programme est un élève qui avait de grosses lacunes au primaire. Pourquoi n’a-t-on pas freiné les dégâts chez l’enfant dès le pré-primaire ? Fallait-il attendre six ans pour réaliser que seulement 77 adolescents sur 3,210 sont en mesure de réussir ce programme ? Tout ceci relève d’une mauvaise planification. Il y a, pourtant, des personnes brillantes à l’Éducation. 98% d’échec, n’est pas qu’un constat de statistiques. On parle ici d’enfants, de familles, d’enseignants qui ont travaillé. Mais malheureusement, tout comme au poisson à qui on a demandé de grimper à un arbre, on a envoyé des enfants avec d’importantes difficultés d’apprentissage en Extended Programme pour apprendre 13 matières !

Qu’est-ce qui doit être revu pour ces enfants qui ne se retrouvent pas dans le mainstream ?

C’est là l’occasion pour l’Éducation de se retrouver avec des acteurs comme nous, le SEDEC (ndlr : Service Diocésain de l’Éducation Catholique), ceux qui travaillent dans les écoles techniques… à la même table pour une réflexion collégiale. Nous pourrions ensemble identifier et développer un programme national pour ces enfants. Un petit qui entre au pré-primaire doit avoir les meilleurs enseignants et outils pédagogiques. Investir dans un enfant est un investissement en resources humaines pour le pays. Il ne faut pas craindre d’investir dans nos enfants, et non se demander à quoi bon car de toute manière ils finiront par quitter le pays. Le citoyen qui sent que son pays a investi en lui sera un patriote reconnaissant. Il faut aussi diagnostiquer les enfants qui entrent au primaire pour déceler la dyslexie, diagraphie, faire un screening paramédical pour diriger ceux qui ont besoin d’aide. Qu’implique cela ? Un investissement financier de l’État pendant trois ans, le temps d’adresser ces problèmes fonctionnels chez les enfants détectés. Cela permettra certainement à ceux qui en serait capables d’intégrer le secondaire, même avec un niveau moyen.

C’est utopique de croire que les autorités de l’Éducation nationale voudront de cette solution. Ce serait reconnaître leur faiblesse.

Elles n’ont même pas besoin de reconnaître leur faiblesse. Les 98% d’échec au Extended Programme l’attestent. C’est une honte ! S’asseoir à la même table que ses partenaires du secteur éducatif ne veulent pas dire : “Nous avons échoué vous pouvez nous taper sur les doigts”. Non ! Mais dire qu’ils ont essayé d’implémenter un programme et de voir comment ensemble nous pouvons dégager des solutions pour nos enfants. Si nous arrivons à trouver des solutions sur la question climatique et sanitaire, alors pourquoi pas l’éducation ?

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