On ne trouve pas trace d’un précédent dans les archives, il y a donc nécessité de le signaler. Dimanche dernier, l’évacuation totale par les autorités compétentes de toutes les personnes qui se trouvaient à St-Brandon, territoire outremer mauricien de 25 îles, îlots et bancs de sable, pour gros risques d’inondation par la mer est, véritablement, une grande première dans l’histoire de notre État-archipel. Il y avait le gros danger que la dépression tropicale Ava provoque des mortalités.
On doit peut-être déplorer que l’opération se soit déroulée dans la plus complète discrétion. Les autorités, à commencer par le National Disaster Risk Reduction Centre (NDRRC), auraient dû, bien au contraire, en avoir informé la population mauricienne car cette évacuation a été une excellente décision. En plus, la faire savoir c’est sûr que cela devrait aider à développer chez les Mauriciens une nouvelle culture, celle de la sécurité de la personne humaine avant toute chose, qu’en importe le prix quand une catastrophe naturelle menace. Et, si les moyens le permettent, pourquoi ne devrait-on pas, à l’avenir, se soucier de mettre à l’abri partout sur les territoires de la république les animaux domestiques aussi ? Ils ont aussi droit de vivre ! Dans d’autres pays mieux lotis, on n’hésite pas à déplacer temporairement, malgré eux, des milliers voire des millions de gens quand besoin est.
Selon nos informations, conscients que de nos jours les cyclones sont devenus définitivement beaucoup plus violents, les membres du NDRRC ont décidé d’agir. On assiste d’ailleurs à des inondations à travers le monde qui dévastent des régions littorales de loin beaucoup plus surélevées que les îles-confettis de St-Brandon et qui laissent dans leur sillage des dizaines sinon des centaines de morts.
Un des membres du NDRRC confie que, personnellement, il frémit en pensant qu’il y a deux ans un ouragan dénommé Fantala avec des rafales dépassant les 300 km/h a rôdé dans l’océan Indien… Devrait-on attendre qu’un jour un de ces monstres submerge les îles à très basse altitude de St-Brandon et y tue pour enfin prendre les mesures qui s’imposent ?
Ce membre du NDRRC a raison de s’inquiéter, car l’histoire de St-Brandon — archipel aussi appelé de son nom portugais les Cargados Carajos et considéré parmi les lowest low-lying islands dans le monde —, est parsemée de ces cas de négligences administratives qui ont débouché sur des tragédies.
L’ancien gouverneur britannique Robert Scott — le seul de son rang qui prit la peine de rendre visite à ses administrés vers la fin de son mandat dans les années 1950 — raconte dans son livre intitulé Limuria, the lesser dependencies of Mauritius que la plupart des îles de St-Brandon furent complètement recouvertes par les houles d’une tempête en 1812. Le même scénario se répéta durant un cyclone en 1818, provoquant cette fois le naufrage d’un voilier. Il y eut, en 1826, un cyclone encore plus dévastateur que le précédent au cours duquel quatre îles disparurent carrément, tandis que d’autres furent temporairement submergés.
Toujours selon le gouverneur Robert Scott, l’énorme richesse en poissons et autres fruits de mer a été la cause majeure pour laquelle les investisseurs ont persisté à exploiter St-Brandon malgré sa vulnérabilité aux cyclones. Cela, même après que, en 1838, le juge Anderson, chargé de l’administration de l’archipel, eût refusé d’accorder sa permission à des compagnies d’y employer des apprentis en raison de risques d’inondations. Dans un rapport qu’il a soumis au Bureau colonial britannique, le juge Anderson écrivit ce qui suit : « The lowness of the bank leaves the Establishments exposed to such inundations of the sea as Horsburg mentions having occurred in 1812 — which I submit as an additional reason for refusing permission to employ apprentices in a place where they are always exposed to danger and privation. »
En 1947, il y eut un autre cyclone qui, selon Robert Scott, « causa quelques pertes de vies, détruisit beaucoup de bateaux et des installations à l’intérieur des terres ». Toutes ces références aux événements tragiques survenus à St-Brandon ne signifient certes pas que ses 25 îles devraient être désertées, à l’image de l’abandon de l’île Maurice par ses premiers colonisateurs hollandais pour des raisons cycloniques. Pour en conserver la souveraineté active, il faut, bien sûr, continuer à y maintenir de la présence humaine, y compris d’ailleurs sur l’île Albatros, où un phare d’une rare antiquité est laissée à la ruine… mais à condition que la vie des gardes-côtes, météorologues, exploitants et autres visiteurs soit garantie. Il faut construire dans cet archipel un Tsunami Center de plusieurs niveaux, comme cela a été le cas à Agaléga, mais après de longues annéesde revendications. Et, pour assurer la pérennité de la station météo, si importante aux yeux de l’Office mondial de météorologie, car elle fournit de trop précieuses données météorologiques à la région, il faudra aussi que cette organisation mette la main à la poche pour la sécuriser et l’améliorer…