Il y a des pays que nous visitons d’où nous ne revenons jamais complètement, car nous y restons attachés pour diverses raisons : la chaleur et l’accueil de leurs habitants, la richesse de leur histoire, l’intense culture, la diversité de leur nature magnifique, les paysages captivants ou une atmosphère particulière.
Israël est pour moi ce pays parce que c’est un lieu de tout un retournement. J’ai foulé le sol de la Terre Sainte il y a quelques années et de cette terre je suis certes retournée à Maurice, plus entière et ajustée que jamais, tout en restant un peu là-bas.
Là-bas, je n’ai point croisé de nature luxuriante ni d’habitants chaleureux. Je n’y ai pas non plus rencontré de personnes plus saintes qu’à Maurice ou ailleurs. J’ai marché sur une terre principalement aride par une chaleur d’enfer et j’ai observé, sans insistance (car il vaut mieux !), les regards froids, méprisants mêmes, des juifs orthodoxes, et fait face aux attitudes strictes et, parfois, étonnamment, désagréables de certains religieux.
Ces premiers souvenirs superficiels que je jette là, bien qu’anodins, font partie de réalités vécues. Mais il y a tellement plus en ce lieu.
Ce qui arrache et attache le cœur c’est tout le reste… tout ce qu’on a du mal à décrire, tout ce qu’on vit intérieurement, tout ce qui tutoie on pourrait dire, une relation amoureuse indicible. Tout cela est indélébile et est marqué comme par un sceau implicite et aussi clair qu’une eau pure, reliant le Créateur à sa créature.
Des parcours en bus en Israël, nous retenons le blanc et l’aridité du désert ; le vert de la nature n’y est presque pas présent et le dessèchement aux alentours est une occasion de transcender notre vie aux mille besoins, pour se détacher de tout, même de la merveille des couleurs. Ainsi, on frôle, si l’on peut dire, un dépouillement intérieur dans un paysage blanc, gris clair et marron.
La magnificence se déploie, si on veut bien la voir. La beauté s’infiltre en nous, si on se laisse toucher. L’émerveillement est une évidence, si on accepte de redevenir comme un enfant ou se reconnaître mendiant. L’étonnement dépasse notre raison. Autant de lieux à décrire ; tellement de récits à se remémorer à la lumière des écrits du passé.
Puis se dresse Jérusalem, lieu suprême. Ô Jérusalem ! Ville de heurts et d’incertitudes, comme elle est belle drapée de ses pierres anciennes et antiques. Des pierres qui crient depuis des millénaires et qui inspirent le silence dans un recueillement profond. Les pavés allant du gris à l’ocre mènent les passants sur des chemins qui semblent tout droit sortis d’une autre époque. Les routes piétonnières défilent comme pour mener à bon port les petits pas qui s’agitent ici et là.
Monter, descendre, s’engouffrer dans les escaliers plusieurs mètres sous terre pour ensuite retrouver le ciel bleu lorsque nous nous retrouvons comme par enchantement sur le toit du Saint Sépulcre.
On passe de ruelles bondées, aux étroites marches dépeuplées, de couloirs sombres au plafond arrondi en arc à une place de parking à côté d’un immense pan de mur où des sportifs s’agrippent aux roches pour faire de l’escalade.
Au détour d’une place ensoleillée, un mur dévoile des peintures modernes multicolores et plus loin, à l’ombre, sur la roche, des restes de peinture pâlie de l’ère romaine subsistent encore après tous ces siècles.
Parcourir cette ville, c’est comme entrer dans les entrailles d’une mère. Tant d’histoires vécues, de luttes, d’espoir et de ravissement. Des émotions aux saveurs contradictoires se vivent là. Ce lieu témoin de la mort de Jésus a aussi été témoin de sa Résurrection.
Les murs de la ville portent des marques de larmes versées et de sang coulé. Confrontations, affrontements, ont eu lieu là comme en témoignent les murs troués par des balles.
Même enfoui dans un silence, la cité loue, parle, crie, vocifère, car elle est le lieu par excellence des croyances monothéistes. Et dans le tumulte bruyant des passants, le silence est d’or et possible lorsqu’on fait abstraction. Les lieux saints grouillent de monde qui discute, rigole, parmi les pèlerins qui entrent dans une bulle intérieure pour ne rien rater de l’expérience spirituelle offerte.
Ici, nul miracle spectaculaire sous nos yeux, mais des immenses petits miracles vécus intérieurement. Dans toute cette agitation de ville touristique profondément marquée par le spirituel, il faut savoir se retirer en soi pour se recueillir dans ce désordre humain.
Tout vibre là-bas. Même les marchands du zouk qui parlent fort, comme s’ils s’engueulaient entre eux, devant les étals aux couleurs multiples d’épices et de douceurs installées là pour titiller nos papilles.
Dans cette ville, les idées se cognent, les valeurs se vivent, les croyances se blessent. Pendant qu’un juif souffle le shofar, le muezzin appelle à la prière et des chrétiens actionnent les cloches des églises. Tout se fond, se mélange dans une symphonie aux allures célestes. Le temps y est suspendu, comme par un ralenti qui nous aspire ailleurs ; ailleurs que dans notre monde bruyant et fantasque. Là-bas, nous sommes si proches tout en étant si éloignés comme l’attestent les conflits perpétuels.
Dans la ville sainte, on observe, on regarde, on s’imprègne, on retient même parfois son souffle, avides de ne rien manquer.
Tout est grâce, dit-on ! Devant tant de beauté que Jérusalem offre, nous ne pouvons qu’être dans un ravissement continu si tant notre cœur se laisse surprendre par tout et rien. Pourtant, la vie y est sans doute banale, comme partout ailleurs, si elle n’est pas vécue à la lueur des écrits sacrés.
Cette ville aux mille délices parle à notre âme. Elle célèbre même ceux qui ne croient pas et ne prient pas. Elle invite à voir le présent et à toucher le passé.
Qui peut longer ses murs, traverser ses ruelles, ses toitures, ses monts et ses collines sans se poser la question : « Mais qui y a-t-il là-bas ? » Personne qui veut bien se laisser rejoindre et qui ne craint pas de se laisser saisir.
À fleur de mots, les souvenirs se gardent comme de précieuses miettes de pain. Ils ont l’effet de paillettes qui en mettent plein la vue et se préservent comme une nourriture essentielle pour l’âme…
Lors d’un pèlerinage sur cette Terre, on y sort bousculé par le lieu, l’intensité des visites et par les pèlerins, car chaque instant se vit aussi à travers l’autre. Et au milieu de ce vivre-ensemble, on apprend à se retirer en soi et pour soi.
C’est pour tout cela que, lorsqu’on quitte Israël, il nous retient et nous dit : « Reste encore un peu ! »