Il est 22h30 ce mercredi 3 janvier 2024 et la chaleur est insupportable. Personne n’échappe à cet air étouffant ni à la sueur qui colle à la peau. Une solution s’impose à mes proches et à moi en cette soirée bien trop chaude : celle de nous asseoir au bord de l’eau. La mer est fraîche et l’air plus agréable. Au-dessus de nos têtes, d’épais nuages cachent une partie de la voie lactée.
Les adultes scrutent l’horizon, invisible à cette heure, et admirent le ciel voilé, tout en discutant de tout et de rien : les vacances, les sorties, la bonne bouffe, le bon vin, le bonheur de ne pas avoir à travailler quelques petits jours, etc. C’est quand même plus plaisant de finir la soirée de cette manière plutôt que de nous éponger le front et de sentir les tissus trempés épouser toutes nos formes (un peu plus rondes après les fêtes !) dans un campement dont le béton s’est gavé des rayons de soleil toute la journée.
“Enter” les enfants, infatigables ! Ils commencent à jouer sur la plage autour de nous. C’est aussi ça le bonheur ! Celui d’être en plein air, en plein été, et d’écouter les vaguelettes caresser le sable et cogner contre les bateaux, pendant que les petits s’amusent les pieds dans le sable.
Soudain, la petite Ellie s’émerveille : « Waowwww ! Il y a des étoiles sur le sable. » Les adultes se lèvent un à un, d’abord sceptiques, puis s’émerveillent tout autant en se rappelant leur enfance. « Ah oui ! Ce sont les algues phosphorescentes ! Cela fait des années que je n’en ai plus vu ! » Effectivement, cela fait très longtemps que nous n’avions pas remarqué cette beauté simple de la nature.
Et nous voilà, petits et grands, en train de jouer sur le sable avec ces points lumineux. Lorsque nous les piétinons, elles se multiplient sous nos pieds, ce qui donne lieu à une danse effrénée de flamenco, là, en pleine nuit, sur le sable humide. Nous ne finissons pas d’admirer ce spectacle de sons (nos onomatopées) et de lumières (les algues phosphorescentes).
Je me mets à tenir du bout des doigts ces minuscules algues et prends plaisir à tracer des formes sur le sable en les bougeant délicatement. Elles obéissent à mon doigt qui les entraîne à gauche, à droite ou en zigzag. Elles me donnent l’impression d’être des étoiles filantes qui laissent leurs traces sur les grains de sable. Nous sommes tous ébahis et ne manquons pas d’appeler ceux restés à l’intérieur les yeux toujours rivés sur leurs portables. Mon regard quitte le ciel et se fixe sur le sable. Tout cela est une aubaine incommensurable.
Cette magie nous accapare une quinzaine de minutes, mais comme nous n’avons pas prévu de dormir à la belle étoile, nous rentrons, nattes et paréos sous les bras, les yeux encore tout brillants.
On pourrait dire que cette fin de soirée a été féerique pour les sept à soixante-quatorze ans, et c’est tout heureux que nous allons nous coucher.
Mais cette nuit me rappelle celles de mon enfance sur cette même partie de l’île. Et tout comme lorsque j’étais petite, je me laisse aller à la rêverie et mon esprit vagabonde. Ces points de lumière au bord de l’eau me font tellement penser à des étoiles tombées du ciel. Ces dernières, si éloignées de nous, si inspirantes, inaccessibles, soudain, je les ai tenues au creux de mes mains. Saisissables, visibles que dans le noir, c’est ainsi que « la vaste nuit allume toutes les étoiles »*. Cela me fait réaliser à quel point une lueur dans les ténèbres peut porter de l’espérance et peut fer trouv enn lizour.
Plusieurs dizaines d’astres se dessinaient ainsi sur le sable trempé, et alors que je suis dans ma chambre, que j’ai la tête posée sur l’oreiller et les paupières closes, je lève les yeux vers le ciel en imaginant les millions, les milliards d’étoiles suspendues dans les galaxies. C’est à en perdre la tête, cela donne le vertige et ne fait pas bon ménage avec le sommeil qui tarde à venir. Ce n’est pas grave, ce sont les vacances ! Tant pis si ma nuit se passe dans les étoiles !
J’invente alors une soirée secrète où il m’est permis de sauter d’étoile en étoile. Chacune raconte son histoire et offre un peu de sa sagesse. L’une d’entre elles, qu’on nommera Mirabel, me partage brièvement toutes les paroles qui émanent de la terre et parviennent au ciel comme des murmures : les plaintes et les demandes d’aide ; les supplications et les revendications. Mirabel, de sa voix galactique, me lance : « Parfois, j’ai envie de leur crier : Aide-toi, le ciel t’aidera ! » Je souris et saute sur Sirius, une étoile qui brille de mille feux, pour un peu plus de lumière. Debout sur elle, me vient alors un éclairage sur cette expression précédente et courante prise de la fable Le chartier embourbé de Jean de La Fontaine. En fait, La Fontaine s’est trompée et l’a écrite à l’envers, je pense. On devrait plutôt dire : Le Ciel t’aide, aide-toi donc !
Cela me paraît plus juste de commencer par le commencement, et je retourne sur Mirabel pour lui en faire part. À voir son expression, elle semble douter de mon audacieuse affirmation, laquelle la débalance complètement ! Si bien qu’elle se jette subitement vers la Terre dans une descente vertigineuse avec ses mille grains de poussière qui scintillent un peu partout dans le ciel. Elle file à travers l’espace et transperce les nuages. Je suis entraînée dans ce voyage spatial et continue mon périple jusqu’à la Terre. J’aperçois un petit garçon, le visage toujours levé vers le ciel, les yeux pleins d’étoiles et le doigt pointé vers l’étoile filante. Il dit à son père : « Papa, une étoile tombe dans le ciel ! »
*Citation de Tagote
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