Comme d’habitude, le passage — même loin de nos côtes — d’un cyclone et les décisions prises par la Météo ont généré des tonnes de réactions et de commentaires. Nous sommes allés demander les siens à l’ex-directeur des services météorologiques, Subiraj Sok Appadu.
l En tant qu’ex-directeur du département de la météo, expliquez-nous ce qui est un mystère pour beaucoup de Mauriciens. Nous sommes vendredi après-midi, toutes les alarmes cycloniques ont été enlevées, mais il pleut, il y a des rafales de vent, des éclairs et des orages. Tout ce qu’il n’y avait pas quand Maurice était en alerte cyclonique de classe 3 mercredi et jeudi…
— C’est une situation tout à fait normale. On savait, mais il semble qu’on l’ait oublié, que les queues de cyclone sont parfois plus fortes que leurs têtes. Et il faut se dire que Garance n’est pas passé directement sur nous comme cela a été le cas pour La Réunion avec des conséquences dramatiques. Maurice n’a subi qu’une toute petite séquelle de la queue de ce système qui est passé bien loin.
l Les Mauriciens ont été surpris par le fait que Garance soit né dans le nord de Madagascar alors que, généralement, les cyclones naissent loin dans le nord-est de l’océan Indien. Garance fait-il partie d’un nouveau type de cyclone ?
— Ce n’est pas un phénomène nouveau. Il y a vingt ans, je travaillais encore, nous avons eu des formations nées près de Madagascar avec une trajectoire les rapprochant de Maurice avant de faire une boucle, le plus connu ayant été le cyclone Hyacinte. Nous avons associé ce genre de système au débalancement climatique qu’a connu le monde au cours des dernières années, en oubliant que le canal de Mozambique, situé entre Madagascar et la côte africaine, est un foyer de cyclones. D’ailleurs, une autre dépression s’est formée au sud de Madagascar ces derniers jours. Ce n’est pas un phénomène anormal, mais il faut souligner qu’il a tendance à devenir plus fréquent et à devenir plus intense.
l Ce qui veut dire qu’a l’avenir Maurice pourrait subir des cyclones formés plus près de nous et beaucoup plus puissants ?
— C’est ce que les responsables de la météo ont toujours redouté : la possibilité qu’après la deuxième quinzaine de décembre, un cyclone se forme près de Maurice et reste stationnaire. On dirait que, lentement, cette possibilité est en train de se réaliser.
l Beaucoup de critiques ont été faites sur la décision de la station météorologique de Maurice d’émettre un avertissement de cyclone de classe 3 mercredi. Un avertissement qui a été maintenu jusqu’à vendredi matin. Auriez-vous pris la même décision ?
— Non. Je pense que la décision de passer en classe 3 a été prise un peu rapidement, compte tenu des prévisions de la trajectoire du système et des observations des stations météorologiques de la région qui soulignaient que le système allait se déplacer lentement. J’aurais attendu avant de déclencher l’avertissement de classe 3.
l Cette précipitation pour déclencher l’avertissement de classe 3 ne découle-t-elle pas du fait que les météorologues craignent de faire l’objet de critiques non seulement du public, mais aussi de la part du gouvernement ? Il ne faut oublier que dans un passé récent, un directeur de la météo a été limogé, du jour au lendemain !
— Il n’est pas le seul. Je crois qu’il existe une certaine frayeur au niveau des employés de la météo quand il s’agit de prendre les décisions. La manière dont le précédent directeur a été limogé doit encourager ce climat de frayeur.
l Aviez été soumis à des pressions du gouvernement pour annoncer ou ne pas annoncer certaines mesures quand vous étiez directeur de la météo ?
— Non. En tant que directeur de la Météo, j’ai travaillé avec sir Anerood Jugnauth, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam quand ils étaient Premiers ministres. Je n’ai pas travaillé avec Pravind Jugnauth comme Premier ministre. Mais de mon temps, jamais un Premier ministre ou un ministre donnaient des directives sur les mesures météorologiques à prendre et le contenu des bulletins. Je peux dire que les directeurs avec qui j’ai travaillé dans le passé fonctionnaient en toute indépendance.
l Mais dans un passé récent, on a vu un ministre se transformer en prévisionniste de service et, pas plus tard que mardi dernier, on a entendu le Secrétaire au Cabinet annoncer que l’avertissement de cyclone de classe 2 allait passer à 3 dans quelques heures…
— Ce genre de comportement explique peut-être le climat qui règne à la météo.
l Les pluies de Garance que l’on attendait pour remplir nos réservoirs, contenant seulement un peu plus de 30% d’eau, sont tombées sur La Réunion. Comment est-ce que Maurice va s’en sortir avec la sécheresse actuelle ?
— Je l’ai déjà dit dans le passé : il existe dans l’ouest de l’océan Indien, depuis l’est d’Agaléga jusqu’à la côte africaine, une zone que les météorologues appellent an area of mass diversion. C’est une zone qui empêche les nuages de monter de la mer pour former de la pluie. C’est cette masse qui empêche les systèmes de se développer en pluies d’été pour arroser Maurice et remplir ses réservoirs. Les petites pluies qui sont tombées sur Maurice ces jours-ci ne peuvent les remplir.
l Pensez-vous que malgré cette masse, nous allons finir par avoir les indispensables pluies d’été ?
— En tenant compte des observations, je crois qu’il va falloir beaucoup prier pour qu’il pleuve à Maurice.
l Qu’avez-vous à dire sur le scandaleux gaspillage national que l’on n’arrête pas de dénoncer année après année ? C’est-à-dire l’énorme quantité d’eau des pluies d’été — et des cyclones — qui se perd régulièrement dans la mer au lieu de remplir nos réservoirs…
— Je vais encore une fois me répéter. Au début des années 1980, le département de la Météo avait produit un papier sur les pluies torrentielles dans lequel il était expliqué qu’une seule séquence de pluies torrentielles annuelle était suffisante pour remplir nos réservoirs pour des années. Le fait est qu’il tombe suffisamment de pluie à Maurice, mais que les trois quarts ne sont pas captés et vont se perdre dans la mer. C’est ça le problème.
l Quelle est la solution à ce problème national ?
— Il faut augmenter les capacités de stockage de l’eau en surface par de petites stations au lieu de grands barrages, dont nous n’avons pas les moyens financiers et qui prennent du temps à construire. Il faut construire de petits réservoirs régionaux localisés au lieu de prendre de l’eau de Mare-aux-Vacoas pour la transporter à… disons Baie-du-Cap. Avec les coûts que cela implique. Je ne suis pas en train d’inventer la roue ! Il faut se rappeler qu’autrefois, avant la centralisation de l’industrie sucrière, chaque usine, chaque « établissement » comme on disait à l’époque, avait son ou ses propres réservoirs généralement situés sur une hauteur. L’eau qui était captée des rivières avoisinantes, avec parfois de petits barrages, était utilisée pour le moulin, les habitations et les plantations. Il faut revenir à cette pratique.
l Les recommandations du rapport que vous citez n’ont-elles pas été retenues, mises en pratique par les décideurs ?
— Eu égard au taux actuel de remplissage de nos réservoirs, je vous laisse imaginer la réponse ! En 1998, le département de la Météo a produit un autre rapport, le premier sur les perspectives économiques avec le changement climatique. Des années ont passé et rien n’a été fait et le rapport, comme d’autres, doit dormir dans un tiroir.
l Peut-on chiffrer en nombre d’années le retard concernant les recommandations non suivies pour faire face au changement climatique ?
— Sur le changement climatique, nous avons définitivement trente ans de retard…
l Un retard rattrapable ?
— Trente ans de retard avec un monde qui est en mouvement accéléré ? Le problème c’est que les techniciens de la Météo faisaient leur travail, mais n’avaient pas l’écoute des décideurs.
l Quelles sont vos prévisions en termes de pluviosité pour les semaines à venir…
— Si au cours de la première semaine de mars la situation météorologique dans l’océan indien avec l’area of mass diversion ne change pas, nous n’aurons pas de système avec des pluies pour remplir nos réservoirs. Il faudra beaucoup prier.
l Nous devons prier pour que Maurice soit visitée par des cyclones ?!
— Les pluies, pas les cyclones. Nous devons prier pour que des systèmes apportant de la pluie viennent nous visiter. Parce que regardez ce que Garance vient de faire à La Réunion. Si ce cyclone était passé sur Maurice, comme on l’a redouté à un moment, les dégâts auraient égalé ce que le gouvernement a été obligé à l’époque de débourser pour dédommager une partie des clients de la BAI : Rs 5 milliards. Nous sommes un peuple qui aime prier. Il faut qu’il prie intensément pour l’élimination de l’area of mass diversion afin que les systèmes avec les pluies d’été puissent venir remplir nos réservoirs.
l Avec les trois quarts d’eau qui vont se perdre dans la mer ?!
— Aussi longtemps que les rapports avec des propositions pour prendre les mesures nécessaires ne seront pas lus et mis en pratique, aussi longtemps que les Mauriciens ne se rendront pas compte que l’eau c’est la vie et qu’il ne faut pas la gaspiller…