Safia Adamjee, psychologue clinicienne spécialisée en gérontologie : « Beaucoup de personnes âgées que je rencontre ont le désir de se laisser mourir »

Psychologue clinicienne libérale, Safia Adamjee est une des rares de sa profession à s’être spécialisée en gérontologie et à aller à la rencontre de ses patients âgés à domicile. Membre de l’association Alzheimer de Maurice, elle a intégré l’unité en soins palliatifs Mère Marie Augustine de la clinique Ferrière de Bon Pasteur, dirigée par le Dr Vicky Naga depuis un an. Depuis son retour à Maurice, après ses études en Angleterre, en 2019, Safia Adamjee a été une observatrice attentive du monde des seniors. Cette population en croissance, rappelle-t-elle, exposée à des maladies liées au vieillissement, a aussi droit à un accompagnement psychologique durant les épreuves de santé. De même que pendant les autres phases de leur vie où les transitions, notamment la retraite, peuvent être mal vécues, d’autant, dit-elle, qu’à Maurice on n’anticipe pas toujours sa fin de carrière.

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Pourquoi vous êtes-vous spécialisée en gérontologie ?

C’est le métier qui m’a choisie. Durant mes stages en maison de retraite, lorsque j’étudiais à l’université en Angleterre, j’ai réalisé que j’étais à l’aise dans ce milieu et que le courant passait bien entre les résidents et moi. C’était une nouvelle expérience, car à Maurice la psychologie était alors toujours associée aux enfants, aux couples, entre autres, mais pas pour les personnes âgées. J’ai donc fait suite au Master en m’orientant vers cette spécialisation.

Quelle est la particularité de l’accompagnement psychologique des seniors ?

La prise en charge est relativement globale, d’autant que la population des personnes âgées est grandissante et en même temps nous découvrons de plus en plus de problèmes, dont les maladies qui demandent une spécialisation de l’accompagnement. Ce constat ne s’applique pas qu’à Maurice. La prise en charge psychologique de la personne âgée s’adresse au bien-être de celle-ci, c’est de s’assurer qu’elle puisse conserver son autonomie le plus longtemps possible, qu’elle soit bien psychologiquement. Bien souvent, les seniors font face à la déprime et à l’anxiété quand ils perdent ces acquis et le rôle qu’ils avaient quand ils travaillaient, avaient une vie sociale et étaient le pilier de leur famille pendant des années. L’accompagnement des seniors se fait aussi à la suite d’une pathologie détectée, à l’instar d’une démence survenue après un accident vasculaire cérébral et qui s’est installée pendant le vieillissement, ou d’une psychopathologie existante. Dans le dernier cas, le psychologue va travailler en équipe avec le médecin traitant de la personne, un ergothérapeute si nécessaire, un orthophoniste… Le travail en interdisciplinaire est un processus qui se met en place petit à petit à Maurice.

Sur une échelle de 1 à 10, quel est le nombre de personnes qui, selon vous, vivraient mal l’arrivée de la retraite ?

Il est difficile de donner un chiffre exact. En revanche, j’ai noté qu’à Maurice, il y a peu d’anticipation à la retraite. On ne la planifie pas, mais on se dit qu’on fera telle ou telle chose arrivé à cette étape de la vie ou qu’on verra au moment voulu. Très peu de personnes donnent un sens à la retraite. La retraite s’accompagne souvent d’une perte de confiance en soi, d’un abandon à ses aspirations personnelles et d’une perte de l’identité professionnelle. Face au temps libre, l’ennui s’installe et la déprime peut faire surface. Il est d’autant plus difficile d’aborder une retraite pleine et joyeuse suite à la perte d’un/e conjoint/e. En me basant sur les retours qui me parviennent, on a l’impression de devenir un fardeau pour son entourage.

Quels sont les signes de déprime chez une personne âgée ?

L’humeur maussade, laquelle peut indiquer une perte de goût à la vie. La personne ne démontrera pas de signe de grosse tristesse ou de grande excitation, toujours par rapport à la vie. Elle ne s’intéresse plus à grand-chose. Mais le signe précurseur à une dépression reste le détachement aux liens sociaux, quand la personne coupe toute communication avec les autres et décide de s’isoler. Beaucoup de personnes âgées que je rencontre ont le désir de se laisser mourir soit à cause d’une maladie importante, incurable ou d’une profonde tristesse qui n’a pas été adressée. Dans ce cas, on parle du syndrome du glissement. La personne refuse d’aller mieux, de prendre ses médicaments et de manger. Elle se laisse aller de manière volontaire, se replie, dort beaucoup, pleure…

Comment les seniors de l’unité de soins palliatifs de la clinique abordent-ils psychologiquement leur condition face à la maladie ?

Certaines personnes se disent plus ou moins préparées. Et d’autres pas, parce qu’elles ont encore des choses à régler, des liens qu’elles veulent retrouver avant de partir en paix. Dans cette optique, nous facilitons leur accompagnement. Le travail psychologique se fait dès l’annonce du diagnostic. Les médecins de l’unité sont transparents sur ce sujet. Ils vont mettre des mots exacts sur la maladie et la condition de la personne. Ils seront aussi à l’écoute du malade pour répondre à ses questions autour de son état de santé et de ce qui l’attend. Mais nous avons aussi des malades qui viennent vers nous après avoir appris (en dehors de notre unité) de manière brutale — et parfois même ils étaient non-accompagnés — leur maladie sans que leurs émotions ne soient prises en compte. L’accompagnement psychologique va se poursuivre à l’apparition de nouveaux symptômes de la maladie. Ces signes impactent bien souvent sur le physique du malade. Les changements visibles ne sont pas sans répercussions psychologiques. Toutefois, certains patients de l’unité font preuve de courage jusqu’au bout.

  Ce n’est pas là une preuve de résilience chez les seniors ?

Je ne sais pas si c’est de la résilience ou une paix d’esprit. Personne n’a envie de partir. Mais il y a des malades qui partent plus paisiblement, alors que d’autres n’ont pas eu le choix de pouvoir dire des choses parce que le temps qui leur restait était limité.

  Est-il moins complexe, disons plus facile, d’accompagner une personne plus jeune qu’une personne âgée en fin de vie ?

En règle générale, ce n’est pas facile d’accompagner une personne en fin de vie. Mais il est vrai que la prise en charge psychologique d’un malade qui est encore jeune, pour le psychologue, voire pour toute l’équipe de l’unité de Mère Marie Augustine, est différente, dans le sens où on est pleinement conscient que la personne que nous accompagnons va peut-être laisser des enfants derrière elle, des projets qui avaient commencé et qui n’aboutiront pas… Le sentiment d’injustice est présent. La prise en charge s’adresse au malade aussi bien qu’à sa famille. L’unité prend en charge la famille dans sa globalité, y compris les enfants.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans l’accompagnement psychologique d’une personne âgée ?

C’est de comprendre que la personne âgée est souvent victime de maltraitance, qu’elle n’a pas le respect qu’elle mérite, qu’elle est la cible de vol et d’autres fléaux sociaux compliqués.

  Y a-t-il un temps imparti pour encadrer une personne âgée malade ?

Cela dépendra de la thérapeutique qui est appliquée, de la maladie et de la demande du patient. Parfois, la personne n’a besoin que de quelques sessions, juste pour pouvoir parler à quelqu’un. Pour d’autres, ce sera des sessions de manière plus soutenue, mais pas forcément jusqu’à la fin. Arrivé à cette phase, je suis davantage présente pour la famille, c’est elle qui a le plus besoin d’accompagnement. Elle a besoin non seulement de soutien psychologique, mais aussi d’informations, notamment dans les cas où le malade souffre d’Alzheimer.

  À quel âge devient-on vieux ?

Pour moi, il n’y a pas un âge spécifique où l’on devient vieux. J’ai des leçons de vie, à l’unité de Mère Marie Augustine, avec des personnes que je rencontre qui à 70-80 ans ont un mental de 20-25 ans. C’est le mental qui est le plus important.

Catégoriser l’âge de 60 ans troisième âge de nos jours n’est pas une précipitation au vieillissement ?

D’un point de vue strictement personnel, je dirais qu’on devrait revoir l’âge, et ce, de manière fréquente, qui ouvre le classement du troisième âge. Il faudrait prendre en compte la personne à cet âge dans sa globalité. Et avoir son avis sur la question. Voudrait-elle encore, à 60 ans et après, contribuer dans la société ? Cette personne veut-elle participer à son épanouissement personnel ? Si beaucoup de personnes veulent continuer à travailler pour des raisons économiques, pour d’autres, elles voient le travail comme un plaisir. Lorsqu’on avance en âge, on perd indéniablement en capacité physique. Mais il y a des sexagénaires qui arborent encore une forme quasi olympienne alors que des quadragénaires se laissent aller. Le train de vie fait la différence. Aujourd’hui, nous vivons plus longtemps et à 60 ans, on est encore jeunes.

Selon vous, les Mauriciens ont-ils peur de vieillir ?

Je dirais plutôt qu’à Maurice, on a peur des risques de maladies liées à la vieillesse. Notamment des maladies neurodégénératives : Parkinson, Alzheimer. Qui plus est, il y a de plus en plus de Mauriciens qui développent l’Alzheimer et des cas de démence vasculaire.

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