Notre invité de ce dimanche est Roshi Bhadain, le leader du Reform Party. Dans l’interview, réalisée jeudi soir, il répond à nos questions sur l’actualité politique.
Quand vous avez accepté cette interview, lundi dernier, vous n’avez pas dit que la police avait, sur la demande de l’ICAC, fait sortir un mandat d’arrêt contre vous ?
— Je ne le savais pas ! J’avais reçu une lettre de l’ICAC me demandant de venir expliquer la nomination d’un consultant au ministère de la Bonne Gouvernance. J’ai répondu en disant que je m’étais déjà expliqué sur cette affaire, qui date de huit ans, et que je ne souhaitais pas accepter l’invitation de venir à l’ICAC, en citant un jugement de la Cour suprême pour justifier ma décision. Mardi, je suis réveillé par des coups de téléphone de journalistes m’apprenant qu’un mandat d’arrêt avait été émis et que la police allait venir m’arrêter. Un surintendant de police, basé à l’ICAC, m’appelle pour me dire qu’il a reçu des instructions pour m’arrêter si je ne viens pas à l’ICAC. Après avoir consulté mes hommes de loi, et avec eux, j’y suis allé et les officiers de l’ICAC ont essayé de me faire arrêter. Il y a eu échange d’arguments légaux et demande d’instructions d’en haut. Finalement, nous sommes tombés d’accord pour demander à un juge en chambre de trancher le lendemain. Avec mes hommes de loi, nous avons travaillé toute la nuit pour produire un affidavit pour expliquer pourquoi je refusais d’être interrogé par l’ICAC pour une vieille affaire.
Que s’est-il passé le lendemain en cour ?
— Le juge a demandé à voir le mandat d’arrêt que le police et l’ICAC n’ont pas pu produire, puisqu’il n’existait pas — ce qui veut dire qu’il y a eu mensonge ! — et leur a posé d’autres questions. Dont celle de savoir quelle était l’urgence de me convoquer pour une affaire remontant à huit ans ! Il a ensuite été décidé que je ne serais pas arrêté et que la police et l’ICAC devront répondre aux questions que je leur pose dans mon affidavit d’ici au 17 mai.
Pour ne pas vous faire arrêter en n’ayant pas répondu à une convocation de l’ICAC, vous avez dû mobiliser conseils légaux, avoués et avocats. Si un simple citoyen se retrouve dans la même situation, qu’est-ce qui peut lui arriver ?
— Il sera tout simplement arrêté sans avoir les moyens de se défendre. Comme on dit en créole, dimounn-la pou tase ! Et malheureusement, ce genre de cas arrive souvent à Maurice ces jours-ci !
D’après vous, pourquoi est-ce que l’ICAC a essayé de vous arrêter dans le cadre d’une affaire vieille de huit ans ?
— La réponse est évidente : c’est pour essayer de faire diversion dans l’affaire Maneesh Gobin, qui est dans « une baise pas possible ». L’arrestation du leader d’un parti de l’opposition, très actif dans les médias pour critiquer le gouvernement, aurait dû — dans la tête de la direction de l’ICAC — faire oublier un peu l’affaire Gobin. D’autant que mon neveu est l’avocat d’une des personnes impliquées dans cette affaire de bribe.
Ce qui voudrait dire que l’ICAC est au service politique du gouvernement ?
— Elle l’est à 1000 pour cent ! l’ICAC est, tout comme la police et d’autres institutions, un outil politique au service du gouvernement. Pour le pouvoir, je suis devenu un homme à abattre. N’oubliez pas que j’ai eu droit à une autre tentative d’arrestation il y a un an. Tentative qui s’est terminée par une déconvenue de la police et de l’ICAC.
Passons à la politique. Vous avez proposé la démission de six membres de l’opposition parlementaire pour provoquer des élections anticipées. Proposition qui a été rejetée par les principaux partis de l’opposition…
— Il y a un fait qui m’a vraiment perturbé et qui démontre la gravité de la situation sociale dans le pays. Une dame de 89 ans, souffrant d’un cancer et admise à l’hôpital de Candos, a été mordue en pleine journée par un rat et elle est morte peu après. Quand on arrive à une telle situation, cela veut qu’on a largement dépassé le seuil de tolérance. L’opposition ne peut se contenter de faire comme business as usual, elle doit agir. L’opposition ne va rien obtenir du Parlement où elle ne peut pas empêcher des lois arbitraires d’être votées, le Speaker de jouer au goalkeeper et Pravind Jugnauth de se comporter comme un maharajah. Dans ce contexte, rester au Parlement à attendre les élections ne sert à rien ! Il faut les provoquer.
Objectivement, la réunification de toutes les forces de l’opposition, parlementaire et extra-parlementaire, n’est-elle pas le plus sûr moyen de battre le MSM et ses alliés aux prochaines élections ?
— Peut-être que oui. Mais est-ce qu’une alliance de l’opposition est gérable et soutenable dans le temps ? Est-ce que ça va générer une nouvelle île Maurice ou est-ce que ce sera du pareil au même, c’est-à-dire vie divin dan boutey nef ?
Soyons clairs, ce que vous venez d’avancer signifie-t-il que le Reform Party n’envisage pas de se retrouver dans un regroupement de toutes les forces de l’opposition ?
— Nous voulons construire une nouvelle île Maurice avec les 80 réformes que nous avons déjà proposées sur les plus de 300 mesures sur lesquelles nous travaillons. Nous disons aux Mauriciens : si vous êtes d’accord avec ces mesures, votez pour le Reform Party. Mais est-ce que les vieux partis de l’opposition sont d’accord pour aller vers la modernité et abandonner les vieilles pratiques d’hier ? Exemple : une de nos propositions donne le pouvoir au peuple de révoquer un député quand celui-ci est reconnu coupable d’un délit grave. Est-ce que ces vieux partis vont ratifier cette proposition ?
Si on a bien compris, dans votre logique, les vieux partis doivent se rallier aux propositions du Reform Party pour envisager une possibilité d’alliance ?
— Ces vieux partis ne seront jamais d’accord avec nos mesures et nos propositions, qui visent à briser tout un fonctionnement, un système en cours depuis les 55 dernières années. J’ai eu l’occasion de côtoyer les leaders des vieux partis, et je me suis rendu compte que leur objectif est de faire Pravind Jugnauth partir le plus vite possible pour prendre sa place, sans programme ou plan pour ce qu’il faudra faire après pour changer le pays. Nous, nous avons un plan, pas eux. Nous nous disons il faut changer le système, eux disent il faut changer de gouvernement, pas de système.
J’insiste : est-ce qu’objectivement cette dispersion des forces de l’opposition ne va pas offrir un boulevard à Pravind Jugnauth pour les prochaines élections ?
— Non, parce que Pravind Jugnauth et son parti seront bottés hors du pouvoir par le peuple. The writings are on the wall et nous l’entendons dans les réunions que nous organisons aux quatre coins du pays.
Mais on dirait que pour ces réunions, vous vous concentrez sur les circonscriptions 4 à 14. Même si le Reform Party ne fait pas comme les vieux partis, ne suit-il pas quelques-unes de leurs pratiques ? Par exemple, celle de se concentrer sur le hindu belt pour tenir en compte ce que Pravind Jugnauth a qualifié de « réalités électorales » ?
— Ce sont des termes qui ont été utilisés pendant des années, mais qui n’ont plus cours aujourd’hui. Nous ne voyons pas Maurice en termes de « belt » ou de « réalités électorales ». Nous voyons une nouvelle île Maurice où chaque Mauricien pourra participer à la création de la nouvelle société dont nous rêvons. Savez-vous que dans une circonscription de 45 000 électeurs, il suffit de 15 000 pour être élu et il y a, selon nos calculs, dans chaque circonscription au moins 15 000 personnes qui veulent d’un vrai changement et se retrouvent dans les propositions du Reform Party ? Elles veulent d’une nouvelle île Maurice et il suffit d’un électeur sur trois pour changer le cours des choses dans le pays.
Selon vos projections, seul, le Reform Party peut-il faire élire suffisamment de députés pour que vous soyez le prochain Premier ministre du pays ?
— Mais je ne vous ai jamais dit que nous n’allions pas nous allier à d’autres partis ou forces politiques ! Nous sommes en train de finaliser une alliance avec En avant Maurice de Patrick Belcourt. Nous allons faire une conférence de presse la semaine prochaine pour annoncer la nouvelle. Nous allons aussi inviter tous ceux, partis ou personnes, qui sont prêts à travailler pour changer le système à venir nous rejoindre pour mettre en application notre programme avec leurs propositions qui viendront l’enrichir. Vous savez, il y a des membres d’autres partis, même des parlementaires, qui sont intéressés par notre programme et qui pourraient rejoindre cette troisième force. Nous avons eu des discussions avec d’autres formations non parlementaires depuis le début de l’année.
Sherry Singh et son One Moris, à qui s’est rallié Bruneau Laurette, pourraient-ils faire partie de la troisième force ?
— Je n’ai pas parlé à Sherry Singh, avec qui je n’avais pas de relations depuis que j’ai quitté le gouvernement. Mais je pense qu’il est en train d’aller, avec son parti, dans une direction contraire à ce que nous préconisons dans notre manifeste. J’ai connu Bruneau Laurette dans le passé, mais je ne sais pas ce qu’il est en train de faire aujourd’hui.
Bruneau Laurette serait-il un bon élément pour la troisième force ?
— Il est difficile de répondre à cette question à ce stade.
Comment prenez-vous le fait que Nando Bodha, au lieu de rejoindre votre troisième force, ait préféré Rama Valayden ?
— Est-ce qu’il a rejoint Rama Valayden, alors qu’il est encore dans ce qui reste de l’Entente avec Bérenger, Ramgoolam et Duval ? Bodha est tellement peu crédible dans son approche que je me demande s’il sait ce qu’il veut.
Donc, il n’est pas question de négocier une alliance avec les « vieux partis » ?
— Permettez-moi de vous répondre par une question. Est-ce que le PTr, le MMM et le PMSD vont conclure une alliance ? Je viens de poser la question que tous les Mauriciens se posent. Depuis décembre de l’année dernière, j’ai entendu Paul Bérenger dire que fin janvier tout sera finalisé. Dimanche dernier dans Week-End, Rajesh Bhagwan vous a dit que l’alliance n’était toujours pas faite. Le même jour dans l’Express Ritesh Ramful, SG du PTr, déclarait « pena okenn lalians PTR-MMM-PMSD ! » Je crois qu’avec cette histoire d’alliance, Ramgoolam est en train de mener Bérenger en bateau. Et que ce dernier veut tellement cette alliance qu’il va faire la même erreur qui lui a fait perdre dix élections d’affilée. Les die-hard mauves ne veulent pas voter pour Ramgoolam, tout comme les partisans rouges ne veulent pas de Bérenger. Par ailleurs, n’oublions pas que le MMM et le PMSD sont des ennemis de toujours. Les leaders du PTr, du MMM et du PMSD veulent de cette alliance, pas leurs bases, pas leurs électorats. Si le MMM, le PTr et le PMSD vont ensemble aux prochaines élections générales, nous ne serons pas dans le même camp.
Par conséquent, la seule solution pour les électeurs qui veulent d’un vrai changement c’est de voter pour le Reform Party…
— Je préfère dire la troisième force dont le Reform Party sera la locomotive. Nous n’allons pas parler, travailler et penser juste pour remporter les élections. Je crois qu’il est plus important encore d’avoir un programme pour ce qu’il faudra faire après. Et pour cela, nous avons besoin de partenaires qui sont des bosseurs, qui sont d’accord avec nos propositions et peuvent nous apporter une valeur ajoutée. Il faut que l’addition donne un plus. Politiquement, quand on ajoute PTr, MMM et PMSD, ça fait moins. Rappelez-vous de 2014 et de l’addition du MMM et du PTr qui devait donner 80% de votes, et on sait ce qui s’est passé par la suite. Aujourd’hui, nous allons avoir la même combinaison perdante avec, en plus, le PMSD.
Avant de voir les combinaisons et les additions, quelle est, selon vous, la force des partis sur le terrain ?
— À partir tous les sondages et enquêtes que nous avons faits sur le terrain, je crois que la situation électorale est la suivante : gouvernement 20 % ; MMM-PTr-PMSD 25 % ; les non-votants 25 %. Quand vous ajoutez ces trois chiffres, vous avez un total de 70% et il reste donc 30% (3 sur 10 électeurs) de personnes qui veulent d’un vrai changement. Je crois que si la troisième force parvient à convaincre ces 30% et que nous arrivons à pêcher dans les 20% de ceux qui ne veulent pas voter, nous pouvons arriver à un bon résultat.
Dans la réalité, ces 30% — en admettant que vous arriviez à les faire voter pour la troisième force — ne font pas une majorité…
— Bien sûr, mais 30% c’est plus que les 25% de l’opposition et plus que les 20% du gouvernement. C’est donc une occasion unique de faire émerger la troisième force et de lui faire remporter les élections. C’est le modèle qui a permis à Pravind Jugnauth de remporter les élections de 2019 avec 37% des suffrages. Mais cette fois-ci, c’est la troisième force qui l’emportera.
La politique mauricienne étant faite de retournements de vestes, de reniements et de changements d’alliances, est-ce que, si la situation l’exige, un accord MSM Jugnauth et Reform Bhadain est envisageable ?
— La réponse est définitivement non ! Et j’ajoute que nous ne sommes pas des politiciens comme les autres, ceux qui soutiennent le système en place. Nous voulons une nouvelle île Maurice, pas un arrangement ou une amélioration cosmétique de l’ancien.
J’admets que votre théorie est séduisante, mais est-ce qu’elle est applicable dans la réalité ? Quelques questions d’actualité pour terminer cette interview. Que pensez du Speaker, que vous avez déjà qualifié de goalkeeper du gouvernement, qui a dû, sur ordre de la cour, réintégrer Arvin Boolell qu’il avait, une fois de plus, suspendu ?
— Cette expulsion était un abus, comme la majeure partie des précédentes. Comment est-ce qu’on peut sanctionner au Parlement un député qui s’est exprimé en dehors du Parlement ? Les abus de pouvoir du Speaker sont une des raisons pour lesquelles il faut créer une nouvelle île Maurice.
Que pensez-vous de l’affaire Franklin, qui défraye la chronique depuis des semaines ?
— C’est l’illustration d’un système mafieux : le commerce de la drogue, commerce qui a déjà intoxiqué des milliers de personnes, principalement des jeunes à travers le pays. Tous ceux qui sont en train d’opérer ce trafic sont protégés par le système qui laisse entrer la drogue par la mer et les airs. En échange, les trafiquants doivent payer leurs complices en cash et on devrait pouvoir vérifier les gros mouvements d’argent. Mais on ne le fait pas. Les institutions supposées traquer les trafiquants de drogue et ceux qui blanchissent de l’argent ne fonctionnent pas comme il le faudrait. Certains de ces trafiquants sont carrément protégés par le système, comme on le voit dans l’affaire Franklin.
Arrivons à l’affaire de la chasse de Grand-Bassin dans laquelle serait impliqué le ministre de la Justice…
— Maneesh Gobin aurait dû avoir démissionné.
Sans attendre les conclusions de l’enquête de l’ICAC ?
— Prenons l’affaire Kistnen/Sawmynaden. Il y a eu une enquête judiciaire, le rapport de la magistrate qui a été envoyée au DPP, qui a demandé à police de loger un case devant la cour contre Sawmynaden. Huit mois se sont écoulés depuis, et rien n’a été fait. Et l’on s’étonne que les gens disent que la police fonctionne à deux vitesses ? Maneesh Gobin reste en poste malgré tout ce qui est publié tous les jours dans la presse et sur les réseaux sociaux, de manière détaillée, sur son implication dans cette affaire…
Pour le justifier, le Premier ministre a dit qu’il n’a eu aucun rapport sur son ministre de la Justice…
— Si j’étais Premier ministre…
Ne faudrait-il pas plutôt dire « quand je serai Premier ministre », Roshi Bhadain ?
— Si j’étais Premier ministre et que j’avais un des membres de mon cabinet, en plus le principal legal adviser du gouvernement, cité dans une allégation de bribe, je lui aurais demandé de démissionner sur-le-champ. J’aurais fait exactement ce que sir Anerood Jugnauth avait fait dans le cas Raj Dayal. Il a suffi qu’il entende les éléments sur l’affaire Bal Kouler diffusée sur une radio impliquant Raj Dayal pour demander l’ouverture immédiate d’une enquête par ses services. Il a demandé au PS de Dayal si c’était vrai que le ministre convoquait ceux qui avaient eu une EIA pour leur remettre lui-même le document. Le PS a répondu que c’était une pratique en cours. Après ça, SAJ a convoqué Raj Dayal pour lui demander des explications, qu’il n’a pas trouvées satisfaisantes parce que Dayal disait que c’était un complot monté contre lui. Il a dit à Dayal que sa défense ce n’était pas à lui qu’il devait la présenter, mais en cour, et il n’a pas hésité pour le révoquer comme ministre. Tout ça en dix minutes ! Voilà comment j’aurais géré l’affaire Gobin, comme SAJ qui a agi comme un Premier ministre digne de ce nom. Aujourd’hui, j’en vois un autre qui a protégé Sawmynaden malgré le rapport d’une enquête judiciaire, et qui protège le ministre de la Justice malgré tout ce qui a été dit et écrit sur cette affaire. Je ne parle pas en tant qu’avocat de la culpabilité éventuelle de Gobin, mais en tant que citoyen, après tout ce qu’on a tendu lu et compris, le ministre de la Justice aurait dû avoir démissionné. Le Premier ministre aurait dû l’avoir révoqué, comme le cas que je viens de mentionner. Mais on le sait : il y a un monde de différence entre la manière de diriger le pays de SAJ et celle de son fils !
Quel serait le mot de la fin de cette interview, qui va certainement augmenter le nombre de vos détracteurs ?
— Notre pays a besoin d’une troisième force politique pour construire la nouvelle île Maurice. J’invite tous ceux qui veulent participer à cette construction à rejoindre cette troisième force, dont le Reform Party est la locomotive.