Le Guide - Législatives 2024

Retour sur deux retentissants échecs de privatisation

Qu’on les dénomme “affermage”, “concession” ou carrément “privatisation”, deux précédentes tentatives de la part de gouvernements différents d’imposer un partenariat stratégique étranger à la Central Water Authority, organisme parapublic chargé de la gestion et de la fourniture de l’eau dans le pays, ont déjà échoué. Parce que ce genre de projets s’est heurté soit à une forte résistance syndicale, soit à celle de l’opposition parlementaire, quand ce n’était pas la convergence de position de ces deux contre-pouvoirs. Ivan Collendavelloo, le Premier ministre adjoint et ministre des Utilités publiques, a, sur un ton macronnien, affirmé à l’Assemblée nationale, mardi dernier, qu’il est, lui, “déterminé “ à aller jusqu’au bout. Aura-t-il plus de succès ? Selon la tendance qui se dessine, rien n’est moins sûr!

- Publicité -

Une chose est certaine, Ivan Collendevelloo n’aura pas la partie facile car, à nouveau, la contestation est en train de s’organiser. À travers pétitions et manifs comme celle organisée par le Regroupement des Travailleurs Sociaux devant l’Assemblée nationale durant la semaine. Pour une fois aussi, on constate que les organisations syndicales représentées dans le secteur parlent d’une même voix. Ce qui permet de prévoir une bataille non dépourvue d’idéologie. Comme cela avait été le cas en deux occasions passées, d’abord en 1994 sous un gouvernement Mouvement Socialiste Militant – Rassemblement Militant Mauricien (MSM – RMM), puis sous le gouvernement travailliste – PMSD en 1999.

Le scandale Lyonnaise des Eaux – Dumez

Mise sur pied en 1973 et administrée, bon an mal an, par des compétences bien locales, c’est en 1994 que, pour la toute première fois, le gouvernement et la Central Water Authority ont commencé à sérieusement envisager alliance avec un partenaire étranger. Le partenariat public – privé était déjà à la mode à l’époque et l’intention était alors de liquider la CWA en tant qu’entité 100% mauricienne pour créer à sa place une joint venture avec la multinationale française Lyonnaise des Eaux – Dumex. L’entreprise, s’il avait abouti, aurait alors pris pour nom La Compagnie Mauricienne des Eaux. Sans vilain jeu de mots, la démarche se termina en eau de boudin.

Effectivement, le gouvernement en place en 1994, une alliance MSM – RMM acculée par le MMM qui s’était retiré dans l’Opposition avec le Parti Travailliste, eut la très mauvaise idée de succomber à certaines sirènes du côté de la Seine. Toutefois, beaucoup plus que les politiques qui se rallièrent sur le tard à la contestation, ce fut la Union of Employees of CWA (UECWA affiliée à la Federation of Progressive Unions) qui engagea frontalement la bataille pour contrer un intense lobby qui s’exerçait sur le gouvernement. Le combat du syndicat devait bénéficier, indirectement et sans l’avoir sollicité, d’un coup de main de la Compagnie Générale des Eaux, autre multinationale française rivale, jusque-là, de Lyonnaise des Eaux – Dumez.

En fait, dès que le gouvernement MSM–RMM eut annoncé son projet, plusieurs multinationales européennes se lancèrent dans la course pour le contrat d’affermage de la gestion des eaux à Port-Louis. Parmi, Biwater et Severn Trent pour les Britanniques et Lyonnaise des Eaux – Dumez et La Compagnie Générale des Eaux (CGE) du côté français. Lyonnaise des Eaux était sur le point de décrocher l’affaire quand Michel Pille, ingénieur en chef à la direction de Générale des Eaux, vint à Maurice pour se plaindre que sa multinationale avait été menée en bateau. Dans les faits, il vint dire qu’il avait  précédemment fait la tournée de tous les bureaux concernés dans notre pays où on lui avait promis que la Compagnie Générale des Eaux allait également avoir sa chance de briguer le contrat, mais qu’à la fin de la journée, la Lyonnaise des Eaux avait tout raflé sans qu’il y ait eu d’appel d’offres de service. Un vive polémique s’ensuivit à l’Assemblée nationale. Pressé de questions par Paul Bérenger, le gouvernement nia que des ministres mauriciens et des officiels de la CWA avaient été à Paris pour discuter en secret tant avec la Lyonnaise qu’avec sa concurrente, la Générale des Eaux.

Dans le sillage de cette polémique, deux éléments troublants furent mis à jour: d’abord, la révélation que le Président de la France en exercice, Jacques Chirac, était intervenu personnellement dans l’exercice d’octroi du contrat d’affermage en adressant une lettre à son homologue mauricien, le Président de la République de Maurice, Cassam Uteem, pour lui demander de faire de sorte que Lyonnaise des Eaux – Dumez, que préside son “bon ami” Jérôme Monod, obtienne le contrat. Cette intervention de Chirac fut avérée quand, candidement, Cassam Uteem confirma avoir réceptionné ladite lettre et qu’il avait cru bon de la référer directement à la direction de la Central Water Authority par révérence envers le prestigieux occupant de l’Élysée.

Effet boomerang

La posture du Président de la République de Maurice dans ce cas fut en complète contradiction avec les pratiques en vigueur dans son propre pays, lesquelles, à ce jour encore, exigent que ce genre de contrat de marché public qui implique des millions de roupies passe obligatoirement par le Public Tender Board. Cassam Uteem en fut bien gêné, mais finalement, il put s’en tirer à bon compte.

Par contre, à un moment donné, la polémique se retourna contre l’opposition MMM elle-même comme un effet boomerang lorsqu’il fut établi que Mico Arunasalon, alors encore un de ses députés, avait également joué un certain rôle, celui d’avoir souvent accompagné Michel Pille lors de ses déplacements dans le pays, créant ainsi l’impression que Mico Arunasalon roulait pour la Compagnie Générale des Eaux. Le député MMM se défendit en reconnaissant qu’il connaissait effectivement Pille depuis 1991, qu’il l’avait rencontré en trois occasions, mais que son intérêt était uniquement de recueillir auprès de lui des arguments pour l’opposition afin de coincer le gouvernement. Avant que son député ne fut impliqué, il faut savoir que son parti, le MMM, insistait pour l’institution d’une commission d’enquête sur tout le projet d’affermage. Mais le gouvernement MSM–RMM s’arrangea pour habilement allumer un contre-feu en mettant sur pied un Tribunal Anti-Corruption dans le but évident d’entraîner Mico Arunasalon dans la mélasse. Toutefois – ironie, sans doute, de l’histoire –, le MMM s’en alla contester la constitutionalité de ce tribunal en Cour suprême. Et devinez avec qui pour conseil légal? Me Ivan Collendavelloo!

Les circonstances voulurent que le procès n’alla pas plus loin puisqu’entre temps, survinrent les élections générales de décembre 1995. La victoire de l’alliance MMM–Parti travailliste (deuxième 60 – 0 dans les annales) eut pour conséquence que le Tribunal Anti-Corruption fut rapidement démantelé et remplacé par l’Economic Crime Office. L’affaire Lyonnaise des Eaux – Dumex sombra ainsi dans l’oubli et avec elle, tout le projet d’affermage…

Il y eut une deuxième démarche d’imposer un partenariat public – privé à la CWA à partir d’août 1999 lorsque le docteur Rashid Beebeejaun était vice-Pm et ministre de tutelle. Et cette fois, La Lyonnaise des Eaux – Vivendi obtint non seulement un contrat d’affermage pour Port-Louis, mais pour toute l’île. Il faut relever également que d’abord, il n’y eut pas de remise en cause de la part de la Genérale des Eaux parce que, entre-temps, cette rivale avait été achetée par le groupe français Vivendi, laquelle était lui-même partenaire de la Lyonnaise des Eaux! Ensuite, le ministre Beebeejaun avait joué de la transparence en permettant aux membres du public d’avoir accès au contrat signé pour une concession d’une durée de 30 ans.

Le deuxième echec

Jack Bizlall et le Parti Lalit furent presque les seuls à ne pas être convaincus par ledit contrat qui sous-entendait le paiement de concession fees de Rs 8 milliards à la Lyonnaise sur 30 ans! Un référendum devait démontrer que sur 1180 employés de la CWA, 766 étaient contre la privatisation. Paul Bérenger et le MMM, eux, se contentèrent de dénoncer à l’Assemblée nationale “l’octroi without bidding sans précédent du projet à Lyonnaise – Vivendi” par la gouvernement PTr–PMSD. Cependant, à leur retour au pouvoir aux côtés du MSM après les élections de l’an 2000, ils parvinrent à mettre fin à ce contrat qui n’était pas rempli à la satisfaction de l’État. Échec donc, une deuxième fois d’un partenariat à la CWA. Ivan Collendavelloo, on le voit, devra beaucoup faire pour arriver à son but! Le temps le dira.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -