Notre invité de ce dimanche est le président du Mouvement Militant Mauricien (MMM), Rajesh Bhagwan. Dans cette interview réalisée vendredi après-midi, il revient sur la partielle de Quatre-Bornes, l’affaire Steven Obeegadoo, la démission de la présidente, la rentrée parlementaire et l’avenir politique du MMM.
Vous avez été absent de la scène politique pendant plusieurs mois pour des raisons de santé.
Vous savez, dans une voiture, les patins de freins finissent par s’user et il faut faire un servicing et les remplacer. Les ligaments de mes jambes étaient usés et j’avais depuis longtemps planifié une opération pour les remplacer. Cela a pris un peu plus de temps que prévu, mais tout a été fait, je suis en forme. Je reprends mes activités sur le terrain au sein de la circonscription, du parti, dont je suis le président, et au Parlement, la semaine prochaine. I am back !
Ceux qui ont pu dire que vous avez pris un congé en raison de la lourde défaite du MMM à la partielle de Quatre-Bornes racontent des histoires ?
Cela fait trente-cinq ans que je fais de la politique active, puisque j’ai posé ma candidature, pour la première fois, aux municipales de 1982. J’ai été conseiller municipal, maire, député, PPS et ministre, et j’ai connu des victoires électorales extraordinaires, des défaites cuisantes, mais je n’en ai jamais nourri d’amertume. On sort parfois grandi de certaines défaites, on apprend, on tire des leçons de la situation. Je ne fais pas partie de la catégorie de ceux qui sont toujours « wise after the event », et qui disent : on aurait du faire ceci ou cela… après !
Pendant les mois de votre « servicing », beaucoup de choses se sont passées dans le pays et au sein du MMM. Votre parti a été secoué par ce que la presse a qualifié d’affaire Obeegadoo, lequel a dit que s’il voulait continuer à exister, le MMM devait se repenser totalement. Que pensez-vous des propositions de Steven Obeegadoo pour réformer le MMM ?
Les propositions d’Obeegadoo ne font pas découvrir « l’Amérique lor map ! », comme on dit. Le MMM aura cinquante ans l’année prochaine et au cours de son histoire, il a connu des victoires, des défaites aux élections municipales et générales et a réussi à se réinventer à chaque fois…
… en sortant de 42 % aux générales de 2010 pour arriver à 14 % de l’électorat à la partielle de Quatre-Bornes, en 2017 !
Le MMM a été un « major player » sur la scène politique au cours des cinquante dernières années et il le sera encore au cours des prochaines élections générales. Je dis tout ça sans arrogance en me contentant de décrire la réalité sur le terrain.
Avant d’arriver aux prochaines élections générales, dites-nous ce que vous pensez des propositions de Steven Obeegadoo.
Je le côtoie depuis des années au MMM et je me demande si Obeegadoo n’a pas été trop souvent absent des instances du parti. Il n’a pas beaucoup participé aux travaux et aux discussions des instances pour des raisons personnelles. A un moment, il s’est mis à l’écart du parti, puis il est revenu. Il dit que le MMM doit se réinventer, mais nous le faisons tous les jours chacun à son niveau au parti. Après chaque victoire et chaque défaite, nous faisons une analyse de la situation, prenons les corrective measures qui s’imposent. Comme cela fut le cas après les élections de 2014 où un groupe de camarades dirigé par Obeegadoo a eu la responsabilité de faire une analyse des raisons qui ont mené à la défaite. Il ne faut pas mettre les intérêts personnels des individus avant ceux du parti. Et cela ne s’applique pas seulement à Steven Obeegadoo, mais à tous les membres du parti. Nous ne pouvons prendre des initiatives qui vont porter atteinte au parti, à sa crédibilité, à son image. Les propositions de Steven Obeegadoo ont été prises en considération et seront mises en application au fur et à mesure. Il n’y a pas lieu de courir comme un cheval fou au risque de faire une chute.
C’est vrai que l’alliance contractée en 2014 avec le PTr a causé beaucoup de préjudices au MMM. Je rappelle que tous aux MMM ont soutenu la candidate et fait la campagne de la partielle de Quatre-Bornes. Nous avons ensuite fait une analyse de la défaite dans une circonscription qui n’était pas un bastion du MMM…
Où je vous le rappelle que vous n’avez obtenu que 14 % des voix. C’est vraiment peu pour un parti qui se décrit comme étant un « major player » de la politique mauricienne !
Ce résultat était conjoncturel. Il ne faut pas oublier que nous avions dans cette circonscription un député qui a quitté le MMM en 2015. Il ne faut pas oublier non plus dans quelles circonstances cette partielle a eu lieu. Mais ce résultat ne m’a pas découragé, car il concerne une circonscription, pas l’ensemble du pays. Vous savez, la carrière d’un politicien se fait tout au long d’une chaîne : sa performance personnelle et sa présence sur le terrain, sa performance au sein de son parti, du point de vue des idées, du débat national, de ses propositions et de ses idées nouvelles. Et puis, il faut se rappeler que l’électorat ne supporte pas l’arrogance des élus, ceux qui n’ont pas le temps de discuter sur le terrain, qui sont toujours pressés, toujours occupés avec des dossiers sous les bras. Il ne suffit plus de passer dans la circonscription en voiture et de saluer de loin. Il faut aujourd’hui descendre de sa voiture, aller à la rencontre des gens, prendre le temps de les écouter, de comprendre leurs problèmes, et d’essayer à l’avenir de les résoudre. Il faut aussi avoir envie de faire de la politique sur le terrain, pas depuis les bureaux, pas uniquement sur les réseaux sociaux.
N’êtes-vous pas en train de dresser une liste des qualités que Steven Obeegadoo ne posséderait pas ?
Absolument pas. Je parle en général des qualités que doit avoir un député pour durer. Pour revenir à votre question sur les 14 % des voix de Quatre-Bornes, laissez-moi vous dire qu’ensuite nous avons procédé à une analyse circonscription par circonscription. Je n’irai pas jusqu’à dire que le MMM soit brillant dans toutes les circonscriptions. Nous avons des faiblesses, nous avons eu des manquements, il y a des tirs à rectifier et chacun doit assumer ses responsabilités. Je pense que certains camarades ont voulu aller trop vite, ont établi des bilans que je ne partage pas et, comme dans tout parti démocratique, « we agree to disagree ».
Cette attitude « agree to des-agree » a failli tourner en motion de blâme ou d’expulsion du parti contre le camarade Obeegadoo !
On n’a pas parlé d’expulsion, mais de carton jaune. Moi, je suis pour le rassemblement, non pour la division, surtout que nous sommes à la croisée des chemins. Nous devons rassembler toutes les valeurs, toutes les compétences qui se trouvent au sein du MMM. Il y a, au sein de parti, des vétérans et des jeunes qui contribuent déjà au débat pour l’avancement du MMM. Il y a des personnes qui travaillent incognito dans différentes instances et constitutions : tout cela fait partie du MMM. Mais il faut respecter les instances et la ligne adoptée par le parti. Il faut critiquer, remettre en question et dialoguer dans les structures du parti. En faisant des déclarations à gauche et à droite, on affaiblit le MMM sur qui on braque les projecteurs en laissant dans l’ombre les autres partis qui ont aussi leurs lacunes et leurs problèmes internes. Il faut donc arrêter de tirer des balles dans les pieds du parti, ce qui fait le jeu de nos adversaires.
Résumons : dans l’affaire Obeegadoo vous êtes plutôt du côté de la direction que du contestataire ?
Obeegadoo a le droit d’avoir des idées et des opinions, mais ce que je lui reproche c’est d’avoir donné l’impression que depuis décembre 2014, le MMM n’a rien fait par rapport à la défaite. Il faut que les instances soient respectées et ne pas donner l’impression qu’il y a au sein du MMM plusieurs partis.
Cette interview est réalisée le vendredi 23 mars et, depuis deux heures Mme Ameenah Gurib-Fakim a démissionné comme présidente de la République. Vos commentaires ?
C’est une des conséquences de l’affaire Sobrinho. De M. Alvaro Sobrinho pour qui le tandem Pravind Jugnauth-Ivan Collendavelloo — et à un moment Xavier Duval, quand il était au gouvernement — a déroulé le tapis orange à l’aéroport, au Réduit, au Bâtiment du Trésor, dans les ministères et les institutions. On a ouvert toutes les portes et donné toutes les permissions à l’homme d’affaires angolais et aujourd’hui tous viennent dire : « Pas moi ça, li ça ». — « Mo mo napa ti la, moi ! » Tout le monde sait qui est qui et qui a fait quoi dans cette affaire ! A l’heure où je vous parle, des ministres, de hauts fonctionnaires, des présidents et directeurs d’institutions sont dans leurs petits souliers. Mais qu’on le veuille ou non, il faudra instituer une commission d’enquête, une vraie, pas une menti, menti pour faire toute la lumière sur cette affaire. Mme Gurib-Fakim n’avait pas le droit, non seulement d’utiliser la carte, mais tout simplement de l’accepter. Et elle quitte le Réduit avec tous les avantages attachés à sa fonction : c’est révoltant. Il faut une vraie commission d’enquête.
Tout le monde réclame cette commission d’enquête, sauf le MMM qui refuse de faire cause commune avec les partis d’opposition sur cette question. Expliquez-nous la logique de cette surprenante prise position du MMM.
Xavier Duval convoque une réunion de tous les partis d’opposition, mais deux jours avant il a insulté le MMM sur toutes les radios. Comment peut-on aller s’asseoir dans une réunion avec quelqu’un qui vous insulte publiquement ?
Pour forcer la main du gouvernement, comme le souhaitent les Mauriciens, le MMM ne peut-il pez néné, boir di l’huile, mettre de côté son égo pour faire cause commune avec les partis d’opposition ? On pourrait facilement qualifier l’attitude du MMM de « childish » !
Je ne suis pas d’accord avec vous ! On n’a pas besoin du cinéma de Xavier Duval pour obtenir une commission d’enquête au Parlement. Je souligne que le PMSD a dit ne jamais avoir rencontré Sobrinho, alors que la presse vient de publier une photo de Mme Aurore Perrault aux côtés de l’Angolais ! Je dis que le PMSD a joué un mauvais rôle dans les décisions prises la semaine dernière à la State House, des décisions violant la Constitution. Le MMM ne va pas cautionner le jeu politique du PMSD.
En prenant le risque de ne pas obliger le gouvernement de nommer une commission d’enquête au Parlement ?
Qui vous dit que le gouvernement ne sera pas forcé de le faire ? Le MMM a toujours joué son rôle comme opposition au Parlement et il va continuer à le faire, sans être obligé d’aller assister à une réunion convoquée par le PMSD pour essayer de couvrir les agissements de certains de ses membres dans cette crise au sommet de l’Etat ! Toutes les actions prises au Parlement pour la nomination d’une vraie commission d’enquête seront soutenues par le MMM.
Pour commenter l’absence du MMM de son comité, Xavier Duval a déclaré ce qui suit : « Je me demande si le MMM est encore dans l’opposition ou déjà dans le gouvernement. » Il y a des rumeurs qui disent que les négociations pour les prochaines alliances électorales ont déjà commencé. Pour « sauver le pays », le MMM irait-il jusqu’à contracter une alliance électorale avec le MSM ?
Ou fine déjà tann dir ki chat boire dilé bouillante deux fois ? Ecoutez-moi bien : depuis les élections de 2014, les Mauriciens ne veulent plus entendre parler du mot alliance. Ils sont allergiques à ce mot. Des membres même de ma propre famille sont anti-alliance ! Le MMM a payé un très lourd prix pour l’alliance avec le PTr et il n’a aucune intention de recommencer l’expérience. Depuis plusieurs années, le mood de notre électorat est que le parti se présente seul aux élections avec Paul Bérenger comme Premier ministre. Ces rumeurs sont alimentées par le MSM et son NSS, le PMSD et le PTr. Au lieu de s’occuper du MMM, que Duval s’occupe des affaires de son parti, surtout après avoir perdu la caution de son candidat à la partielle de Quatre-Bornes ! Je suis catégorique : si le MMM scelle une alliance avec le MSM, il va disparaître politiquement ! Personnellement, je ne veux pas terminer ma carrière politique dans la boue.
Mais il peut arriver que pour des raisons « stratégiques », la direction du MMM décide d’une alliance.
J’ai déjà dit à qui de droit que, si le MMM fait une alliance, ce sera sans moi. Ma lettre est déjà prête…
Votre flacon de lysol aussi ?
J’étais contre l’alliance avec le PTr, mais j’ai suivi la majorité et je ne suis pas du genre à raconter ce qui s’est passé. Aujourd’hui, je dis que si le MMM se présente aux prochaines élections avec un autre candidat que Paul Bérenger au poste de Premier, ce sera sans moi. Face au fils Jugnauth et à Ramgoolam, Bérenger est le meilleur candidat…
Il n’est pas temps pour lui de passer le témoin, de céder la place à la relève ?
Bérenger a les capacités, l’expérience et le reste. Quant à la relève, il ne faut pas qu’elle pense qu’elle va tout avoir sur un plateau ! Il faut qu’elle travaille, qu’elle laboure, qu’elle sème, qu’elle arrose, qu’elle redresse la plante quand elle pousse de travers; qu’elle se fasse connaître et apprécier des militants et des électeurs. C’est grâce à cette manière de fonctionner que j’ai été réélu huit fois de suite dans la circonscription No 20.
Cette rumeur d’alliance avec le MSM n’a-t-elle pas sa source dans la déclaration de Paul Bérenger qui, après avoir rencontré le président indien, affirmait que l’Inde n’a aucune intention sur Agaléga, ce qui est la position du gouvernement mauricien?
Vous faites erreur. J’étais ministre dans les années 2000, quand la décision du projet de développer Agaléga, d’abord avec une compagnie mauricienne, puis avec l’aide de l’Inde, a été prise par le gouvernement mauricien. Bérenger a été convaincu de la déclaration du président de l’Inde, il n’a aucune raison de la mettre en doute. Mais cela ne veut pas dire que nous n’allons pas suivre la situation de près.
Vous avez dit précédemment que le MMM se trouvait à la croisée des chemins. De quelle croisée et de quels chemins parliez-vous ?
Nous sommes à la veille de nos cinquante ans et nous devons partir du passé pour réfléchir sur le futur, nous préparer pour l’avenir, prendre les bonnes décisions parce que le MMM a un rôle de premier plan a jouer dans l’avenir politique.
En êtes-vous sûr ? Sur le plan électoral, le MMM est passé de 42 à 14 % des voix. Au Parlement il a perdu le poste de leader de l’opposition et se retrouve numériquement moins fort que le PMSD. Vous êtes minoritaire dans l’opposition et vous me dites que vous avez un rôle de premier plan à jouer dans la politique mauricienne ! ?
Oui, nous sommes minoritaires, mais comme on a dû vous l’apprendre à l’école, quantité n’est pas synonyme de qualité. En dépit de notre petit nombre, qui a été à la pointe du combat de l’opposition au Parlement ? Qui a révélé les scandales Sumputh, Choomka, Trilochun pour ne citer que quelques-uns qui témoignent du copinage, des passe-droits, de l’opacité et de l’arrogance du gouvernement — dont a fait partie le PMSD —, sinon les députés du MMM ? Savez-vous que nos questions parlementaires sur le Metro Express, le nombre de morts sur nos routes, le nombre de braquages, ont été déjà posées avant même la rentrée parlementaire ? Avec la couverture en direct, les Mauriciens savent qui se donne en spectacle et qui fait son travail comme il le faut, au Parlement. Le MMM n’a pas besoin de dire qu’il apporte résultat sur résultat, on n’a qu’à suivre une séance pour savoir qui bluffe et qui fait son travail sérieusement. Les résultats se feront sentir aux prochaines élections.
Vous pensez vraiment qu’il est possible que le MMM remporte seul les prochaines élections avec Paul Bérenger comme candidat au poste de Premier ministre ? Ne faudrait-il pas vous dire, pour reprendre la phrase d’Arvind Boolell : Arrête revé camarade ?
Je réponds à votre question pour affirmer que je crois dans la compétence et dans la propreté. Quand les Mauriciens auront à choisir entre ceux qui traînent de grosses casseroles et celui qui n’a que son expérience et ses compétences, ce sera facile. N’oublions pas que Pravind Jugnauth a son affaire Medpoint en cour et que Ramgoolam est toujours empêtré dans ses coffres-forts ! Toutefois, il faudra que le MMM, tout le MMM se mobilise, s’organise, se batte pour arriver à ce résultat et moi je suis prêt pour la prochaine bataille électorale. Je suis sincèrement convaincu que le MMM doit briguer seul les suffrages avec Bérenger comme candidat au poste de PM.
Qui sera son principal adversaire, Pravind Jugnauth ou Navin Ramgoolam ?
C’est sur le terrain que se joue le match, pas sur un babyfoot ou avec des pronostics. Vous avez vu les députés MSM : Soodhun, Dayal, Tarolah. Vous avez vu comment Pravind Jugnauth, otage du Mouvement Liberater, refuse de donner des informations sur Mme Sumputh tout en allant dire à la MBC qu’il est là pour donner l’exemple de la transparence et de la bonne gouvernance ? Paul Bérenger ne traîne pas de boulets comme Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam. Ce que nous avons besoin de faire, c’est redonner au MMM la crédibilité qu’il a perdue en faisant alliance en 2014. Les Mauriciens ont encore espoir dans le MMM. Si nous ratons l’occasion nous allons disparaître de la scène politique.
Le match se joue sur le terrain, certes, mais, il se prépare avant par une étude des caractéristiques des adversaires. Alors, je vous repose la question : qui sera le principal adversaire du MMM aux prochaines élections, si aucune alliance n’est conclue ?
Le MSM s’est beaucoup affaibli avec les multiples scandales et sa manipulation quotidienne de la MBC. Le Parti travailliste a encore une base qui fait que, pour la prochaine échéance électorale, le match sera entre le PTr et le MMM.