Notre invité de ce dimanche est le secrétaire général du MMM, Rajesh Bhagwan, un des députés de l’opposition le plus souvent suspendu ou expulsé du Parlement. Dans l’interview qu’il nous accordé, cette semaine, Rajesh Bhagwan revient, forcément, sur la conduite du Speaker mais aussi sur les négociations menant à l’alliance électorale PTr/MMM/PMSD. « La seule solution pour sauver le pays », selon lui.
Vous êtes un des parlementaires de l’opposition le plus souvent expulsé et suspendu par le Speaker. Pour quelle raison est-ce qu’il semble s’acharner sur vous ?
— Je ne suis pas le seul à être dans son viseur puisqu’il harcèle l’opposition. Je suis entré au Parlement en 1983. Depuis, j’ai connu sept Speakers et j’aimerais profiter de l’occasion pour rendre un hommage au plus célèbre, au plus respecté et à la référence qu’a été sir Harilall Vaghjee. J’ai, donc, connu sept speakers. On a eu des clashes, des moments de tension et des affrontements verbaux, mais aucun d’entre eux n’a jamais agi comme celui qui occupe actuellement le poste. Nous n’avons pas toujours été d’accord avec Mme Hanoomanjee, mais il faut reconnaître qu’elle a eu le courage de faire son devoir en reprenant le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, et de lui demander de retirer des mots inappropriés ! Avez-vous déjà entendu l’actuel Speaker reprendre le PM, malgré tout ce que ce dernier dit et fait au Parlement ? L’actuel Speaker se comporte, on l’a déjà dit et répété, en goal keeper de la majorité, il agit comme le dhobi – mais sans classe – de la majorité. Il la protège et lui lave son linge sale! On l’a encore vu, mardi dernier, quand il crie « time out » pour permettre au ministre de la Justice de ne pas répondre à une question sur l’affaire du chassé de Grand-Bassin, en particulier le black label party. C’est pratiquement du cover up !
Tout le monde a compris que le travail du Speaker est de provoquer l’opposition et faire le maximum d’expulsions par séance. Mais est-ce qu’en répondant à ses provocations, l’opposition ne fait pas son jeu ?
— Pas du tout. Il y a une limite à tout, car nous sommes des êtres humains. Nous ne pouvons accepter d’être insultés par un Speaker qui quitte son siège, menace, hurle, pointe du doigt, fait allusion à des maladies des parlementaires ! Quelle différence avec ce qui se passe dans les parlements indien, français et britannique où le Speaker est respecté et respecte les membres, qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition, en toute impartialité ! La population mauricienne peut voir toutes les semaines sur la chaîne parlementaire quel est le niveau de ce Speaker et comprend pourquoi nous, au MMM, avons été contre sa nomination.
Justement, l’opposition – plus particulièrement le MMM – dit tout le temps qu’elle s’est opposée à la nomination du Speaker parce qu’il avait été rappelé depuis l’Égypte, où il était ambassadeur, en raison d’agissements inacceptables, mais ne dit jamais pourquoi. Si vous connaissez la raison, est-ce que ce n’est pas de votre devoir de politicien, qui prône la transparence, de rendre publique cette information ?
— On sait qu’il s’est comporté d’une manière qui a fait honte au pays, que des rapports ont été faits, un dossier constitué, et qu’il a été rappelé à Maurice. Cela s’est également produit quand il était aux États-Unis. Je ne peux pas en dire plus parce que, malheureusement, ce dossier, qui concerne plusieurs ministères, est couvert par de l’Official Secret Act et il est, on s’en est bien rendu compte, protégé au plus haut niveau.
Attention, il semblerait que le Speaker ait désormais juridiction sur les déclarations des parlementaires, même celles faites en dehors du Parlement ! C’est, en tout cas, le sens de sa déclaration contre Arvind Boolell, qui a été suivie, comme d’habitude, par une motion d’expulsion votée par la majorité. Donc, vos propos aujourd’hui pourraient irriter le Speaker.
— Mais comme le savez, la Cour suprême a donné raison à Arvind Boolell, vendredi dernier…
…attention : la Cour Suprême n’a pas donné raison à Arvind Boolell, elle a gelé la suspension pour deux séances en attendant de se prononcer sur la question posée, dans le cadre d’une affaire qui doit être logée.
— C’est déjà une victoire. Zot finn bizin galoupe en désordre ! Le fait brutal est le suivant : le Premier ministre, avec la complicité de son chamcha Steeve Obeegadoo, soutenu par son goalie de Speaker, a voulu interdire l’accès du Parlement à Arvind Boolell. Ce dernier sera présent dans l‘hémicycle mardi prochain et c’est un désaveu pour le PM, son chamcha et le Speaker, qui sont tous des avocats ! C’est une première victoire dans le combat contre la dictature et l’autoritarisme qui règnent au Parlement. Soutenu par toute l’opposition, Arvind Boolell va entrer un case pour demander à la Cour suprême de mettre fin à l’arbitraire en attendant qu’on débarrasse le pays du MSM, et le Parlement du Speaker actuel aux prochaines élections.
Pour Roshi Badhain, du Reform party, une des manières d’en finir avec le gouvernement – et le Speaker – serait que six députés de l’opposition démissionnent pour obliger le gouvernement à faire des élections générales. Que pensez-vous de la proposition de celui qui se présente comme votre challenger à Beau-Bassin ?
— Mo napa pran Badhain so tracas ! Quelle a a été sa performance à l’élection partielle de Quatre-Bornes où il avait été précédemment élu sous les couleurs du MSM ? Eu égard à son passé, ses changements de partis, de positions et de discours, je n’accorde pas une grande importance aux propos de Roshi Badhain. Il a son opinion sur la question que vous posez, que je ne partage pas. Personnellement, je pense qu’il faut aller aux élections générales anticipées.
Comment expliquez-vous le fait que les partis d’opposition n’arrivent pas à conclure une alliance, en dépit des négociations qui ont commencé depuis des mois ?
— Kifer ou oulé ki nou galoupé ? Le plus important pour le pays c’est de faire en sorte que les prochaines élections soient free and fair, sans trucages, sans la possibilité qu’un bulletin de vote d’une circonscription puisse se retrouver dans l’urne d’une autre circonscription. Dans cet optique, un document a été préparé et sera soumis à la commission électorale. Par ailleurs, il ne faut oublier que nous allons conclure une alliance entre trois partis pour le bien du pays, qui est dans une situation catastrophique, qui donne envie de pleurer, comme vient de le dire le Cardinal Maurice Piat.
Vous n’êtes pas un peu gêné, pour ne pas dire envieux, que la parole du Cardinal Maurice Piat pèse plus et a plus de répercussions que celle des partis de l’opposition ? Par rapport à la déclaration du Cardinal, on pourrait être tenté de penser que la parole de l’opposition n’est plus crédible.
— Vous faites erreur : le Cardinal est une autorité morale dont la parole a apporté une added value à ce que l’opposition dit et dénonce depuis des mois. Il est venu apporter du poids à ce que nous répétons depuis des mois sur la situation sociale, économique, sur l’étendue du trafic de la drogue, les injustices, les passe-droits, etc. Le Cardinal est venu reprendre, à sa façon et dans son langage, les faits que nous dénonçons à chaque séance du Parlement. Nous menons le même combat. Le pays va mal et demande un changement drastique, une rupture avec les pratiques d’aujourd’hui et la façon de gouverner. Il réclame la méritocratie, un pays propre et une nouvelle équipe qui va régler tous les problèmes en cours.
…une partie du pays souhaite que les partis d’opposition s’unissent pour réaliser tout ce que vous venez de dire. L’opposition veut remplacer le gouvernement, mais elle est incapable, tout au moins jusqu’à l’heure, de conclure une alliance pré-électorale !
— Je vous le répète : c’est une alliance avec trois partis politiques qui doit être faite avec attention et précaution, parce que nous avons tellement eu, dans le passé, des alliances politiques qui n’ont pas tenu la route, pour diverses raisons. C’est pourquoi nous prenons le temps, afin que toutes les conditions positives de réussite soient réunies. Nous travaillons déjà ensemble au Parlement. et très bien d’ailleurs, dans cette période de négociations entre le PTr, le MMM et le PMSD.
Il est évident, surtout après ce que vous avez dit précédemment, que Roshi Badhain ne fera pas partie de cette alliance. Quid de Nando Bodha et de son Entente de l’Espoir. Li finn mort entre deux roches, comme le dit la chanson créole
— Je constate que vous revenez, encore une fois, sur Roshi Badhain. Il a fait son parti et ses congrès, s’est présenté comme futur Premier ministre, c’est son problème. Je n’ai pas à me préoccuper de lui, à moins qu’il ne pose à Beau-Bassin. À ce moment-là, nous verrons ! Quand à Nando Bodha, il est dans le groupe parlementaire de l’opposition, mais il a déjà choisi son positionnement politique en s’alliant avec Rama Valayden, c’est son choix et je le respecte.
J’insiste : est-ce que si on parvenait à regrouper toutes les forces de l’opposition, parlementaire ou pas, l’alliance qui est en train de se faire ne serait pas plus forte encore pour aller aux élections ?
— Maurice c’est Maurice et il y a beaucoup de distance entre le rêve et la réalité. Chacun des trois partis a son histoire et sa force électorale et ça prend du temps de bien doser entre les anciens et les nouveaux. Plus on est nombreux dans une alliance, moins on a de chances qu’elle fonctionne comme il faut. Les trois partis dont nous parlons se sont habitués les uns aux autres; nous fonctionnons bien ensemble et il reste juste des choses à finaliser dans les jours et les semaines à venir…
… avant le premier mai, jour où, selon certaines informations, des annonces pourraient être faites sur l’alliance dans le cadre d’un grand meeting conjoint rouge, mauve, bleu.
— Il y a eu une intention de faire quelque chose le 1er Mai, mais le gouvernement a déjà bloqué toutes les places possibles pour la tenue d’un grand rassemblement. Je crois que dans la conjoncture actuelle, il faut laisser le 1er Mai aux syndicalistes et aux travailleurs, et nous concentrer sur la finalisation des conditions de l’alliance. Je tiens à souligner que c’est une opinion personnelle. Je me rends compte qu’il y a une grande impatience et une grande attente, mais quand on court trop vite sans avoir balisé le parcours, on risque de tomber. Il faut une alliance qui va durer, après que toutes les condition aient été discutées et approuvées par les instances des différents partis, et que tout soit clair pour tout le monde.
Il a été déjà annoncé qu’en cas de victoire, Navin Ramgoolam sera Premier ministre et que Paul Bérenger aura d’importantes fonctions dans le gouvernement. Est-il que Xavier Luc Duval ira au Réduit ?
— Comme je ne fais partie des négociateurs, je ne peux ni confirmer ni infirmer ce que vous venez de dire. Mais ne vous inquiétez pas : tout ce qui est discuté, négocié et finalisé sera présenté à la population qui, en dernier recours, aura le mot final. Ce que nous voulons c’est de mettre toutes les chances de notre côté. Je peux vous dire que les militants de nos trois partis sont pour cette alliance. Certes, nous avons eu des différends dans le passé…
…vous avez déclaré, par exemple, en 2019, que si le MMM faisait alliance avec le PTR, votre lettre de démission était déjà écrite…
–… nous avons eu des différends, nous nous sommes opposés. L’incident que vous citez a eu lieu et les paroles ont été prononcées dans un contexte politique précis, qui n’est plus le cas aujourd’hui. En tant que député depuis bientôt 40 ans, en tant que vétéran de la politique, je regarde aujourd’hui l’avenir. L’alliance sera faite dans le respect et la confiance des uns et des autres et de nos électorats réunis.
l Vous savez aussi bien que moi qu’une partie importante de l’électorat – certains l’estiment à plus d’un tiers – dit qu’il n’a plus confiance dans les partis politiques et refuse d’aller voter. Est-ce que vous avez compté cet élément dans vos calculs qui vous mènent vers la victoire ?
— Je suis un politicien de terrain et pas uniquement celui de ma circonscription. Je vais dans les bazars, les supermarchés, les temples et les églises, je parle aux gens et je les écoute parler sur les radios privées, et je lis leurs posts sur internet. Je vous dis aujourd’hui que quand nous aurons présenté l’alliance, notre programme et les personnes qui vont l’appliquer, nous allons avoir une adhésion massive de la population. Je ne parle pas de 100% ou de 60 zéros, mais nous allons remporter cette élection avec suffisamment de votes pour pouvoir changer le pays : ce que réclame un majorité de Mauriciens. Il y a une vague qui est en train de se lever contre Pravind Jugnauth, ses ministres et ses chamchas, et leur arrogance qui les submergera. Ils n’auront pas de place pour se cacher après les élections.
En utilisant le terme chamcha, je suppose que vous voulez parler des deux anciens membres du MMM : Steve Obeegadoo et Alan Ganoo.
— Le premier nommé, qui disait vouloir faire la politique autrement, s’est transformé en valet de Pravind Jugnauth juste bon à présenter ou seconder les motions pour expulser les parlementaires de l’opposition du Parlement. L’autre s’était d’abord rendu célèbre en 2019 en se disant en alliance avec le PTr le matin, avant de rejoindre le MSM dans l’après-midi ! Il s’est illustré récemment en donnant à Pravind Jugnauth la photo de Jasmine Toulouse, dont tous les membres de la famille ont travaillé pour qu’il soit élu et ré-elu à Rivière Noire. Il aura à payer pour cette autre trahison.
l Abordons d’autres sujets d’actualité. Que pensez vous de cette affaire de chassé à Grand-Bassin dans laquelle serait impliqué le ministre de la Justice ?
— C’est une honte ! L’Attorney General soupçonné dans une affaire de bribes ! Un ministre qui donne 600 arpents des terres de l’État en location à un individu condamné pour trafic de drogue ! Si SAJ était encore vivant et PM, Maneesh Gobin aurait été révoqué sur le champ. Il y a quelque chose qui lie Pravind Jugnauth et Maneesh Gobin, sinon le Speaker ne l’aurait pas protégé comme il l’a fait au parlement. Sans oublier la machine à laver le linge sale du gouvernement : l’ICAC. Dès qu’un membre ou un proche du gouvernement est mentionné dans une affaire, ou bien l’ICAC ferme le file ou elle commence une enquête qui prend des mois et des années et n’aboutit jamais. Comme Angus Road.
Quel sont vos commentaires sur l’affaire Franklin ?
— Savez-vous qu’elle est la question que toute l’île Maurice se pose : comment est-ce qu’Alan Ganoo, qui se flatte de connaître tous les habitants de sa circonscription par leur prénom, peut ne pas savoir qui est Franklin ? Qui peut le croire ? Par ailleurs, comment expliquer que tous les départements de la police chargés de combattre la drogue et la corruption, de casser les reins aux trafiquants, ne sont pas au courant de l’existence de Franklin et de ses business !
L’ADSU vient subitement de découvrir l’existence d’un trafic de fil de cuivre volé et fondu et dans lequel serait impliqué Sherry Singh
— L’ADSU semble ne pas avoir su que pendant 15 ans, Sherry Singh était comme kanson ek simiz avec Pravind Jugnauth, qu’il y a eu des piscines parties à son domicile. Nous savons comment Shery Singh a été protégé et qu’il a dilapidé les fonds de MT, dont ceux du CSR. Ce n’est pas pour rien que Bérenger a refusé de le recevoir quand il a voulu faire le tour des leaders politiques du pays. Ce MSM qui, aujourd’hui, découvre le château de Sherry Singh, oublie qu’il a été le campaign manager du parti aux élections de 2014 et après, qu’il a été un membre fondateur et très intime de la kwizinn pendant des années. Les Mauriciens ne sont pas des imbéciles, ils suivent de près ces affaires, n’ont pas la mémoire courte et sauront, le moment venu, régler les comptes. Je dis au MSM et à ses chamchas de se rappeler le proverbe qui dit « cent jours pour le voleur, un jour pour le maitre ! »
Que pensez-vous du parti politique, ou socioculturel, que Shery Singh vient de lancer et que Bruno Laurette a rejoint ?
— Je vous parle du haut de mes 40 ans d’expérience politique : c’est un parti mort-né.
Est-ce qu’on peut résumer votre interview par cette phrase : seule solution pour le pays, l’alliance PTr/MMM/PMSD ?
— Vous le dites sur un ton ironique, moi je le dis sérieusement. Mes amis me qualifient de bulldozer…
…et vos ennemis de dinosaure…
— Je suis terre a terre, je ne suis pas communal, sinon je n’aurais pas pu, en me prénommant Rajesh, être élu et ré-élu dans une circonscription dont la majorité des électeurs font partie de la communauté dite générale. Je suis convaincu que l’alliance PTr/MMM/PMSD est la seule solution pour sauver le pays. À la veille de mes 75 ans, je suis déterminé à mettre tout ce que j’ai d’énergie pour tirer Pravind Jugnauth et son équipe de l’Hôtel du gouvernement.
Est-ce que vous n’aviez pas cette même détermination pour servir d’autres alliances que le MMM a contractées dans le passé, et qui ont éclaté par la suite ?
— Jamais nous ne nous sommes retrouvés dans la situation dans laquelle se trouve actuellement le pays. Tout doit être fait pour mettre fin au règne de Pravind Jugnauth et je suis confiant que le Mauricien, qui lui aussi veut d’un changement en profondeur, accordera sa confiance aux leaders de l’alliance qui est sur le point d’être conclue. Ces leaders ont une responsabilité devant l’Histoire et je suis convaincu qu’ils vont l’assumer.
Un militant sceptique m’a demandé de vous poser cette dernière question : est-ce que cette alliance des trois partis pourra durer si elle remporte les prochaines élections ?
— Avec leur expérience de la politique, les dirigeants des trois partis savent qu’ils sont attendus au tournant par un peuple qui, après ce qu’il a dû endurer pendant le règne de Jugnauth, ne fera pas de cadeau à l’alliance PTr/MMM/PMSD. Nous n’avons pas droit à la moindre erreur. C’est pour cette raison que nous prenons le temps pour bien négocier les conditions et les détails de l’alliance.