Cette question effleure souvent l’esprit de ceux qui font face au deuil. Le jour d’anniversaire marquant le décès d’un proche, il arrive que la mélancolie prenne le dessus sur le quotidien.
Les jours plus paisibles laissent alors la place à des jours nostalgiques qui permettent d’aller au plus profond de nos entrailles. Cet état invite non pas à nous concentrer sur les émotions qui nous habitent, mais à faire un constat de notre état intérieur et à tâter le pouls de nos sentiments, certes, mais aussi de là où nous en sommes. Mine de rien, tels de furtifs frissons qui nous traversent, des blessures et des égratignures liées au passé peuvent subsister et assombrir nos jours et nos nuits.
Les flashbacks qui pop-in font partie du deuil et nous pouvons les accueillir avec parcimonie, si nécessaire, et avec bienveillance, toujours. Quelques conditions express sont néanmoins nécessaires ; celles de ne pas séjourner trop longtemps dans cet état et de le vivre avec une démarche particulière : laisser les tréfonds de notre moi s’exprimer avec sagesse et générosité, y mettre un peu de baume, avant d’appliquer un pansement, sans s’attendre à une fin complète du deuil, style “That’s all folks !”
Puis, nous passons à une autre étape, tout en étant clair : les émotions remontées ne se tairont pas nécessairement et les difficultés liées au deuil n’auront pas toutes des solutions. Une chose, par contre, est certaine : les bouleversements ne seront, eux, pas éternels. Dieu merci !
Revenons, donc, à ces jours de nostalgie qui flanquent nos épreuves en pleine face et qui, bien qu’ils puissent arriver tel un inquiétant tsunami émotif, ces jours-là doivent être affrontés et non pas refoulés. Au final, ils sont souvent libérateurs et instructifs, car il y a des peines qui (se) transforment, des difficultés qui renforcent et des déceptions qui enseignent. Le meilleur peut être tiré de tout. Et là, c’est justement une occasion d’apprendre.
Dans cette démarche intérieure, il importe d’accepter de se perdre pour se retrouver et d’apprendre à mieux se connaître. C’est fou de réaliser qu’il faut toute une vie pour se comprendre et se trouver, alors qu’il ne suffit parfois que d’un regard pour pardonner, d’un sourire pour aimer et d’un geste de tendresse pour réconforter.
La vie est bien complexe et ce n’est pas plus mal, au moins on en saisit la valeur. Si elle s’apprenait en un jour, en un claquement de doigt ou par un simple coup de bâton magique, cela se saurait depuis la nuit des temps. Par contre, quelques claques et coups de bâtons nous rappellent que la durée de la traversée ne nous appartient pas et ils nous aident à bien évaluer la difficulté de notre parcours avec toutes les vallées, les ravins et les collines qu’il comporte.
Il nous reste tant à faire, à saisir, et la manière de procéder n’est pas listée dans un mode d’emploi. Notre chemin nous dompte et nous aide à faire un constat (à l’amiable, de préférence) : bien que rien n’est jamais gagné d’avance, tout n’est jamais vraiment perdu !
Tous ces beaux mots se perdent sur ce papier couché, surtout pour ceux qui ont une vie tranquille, sans coups durs et sans contrecoups. Mais s’il y a une chose qui remet tout en perspective, c’est bien l’absence d’un être cher, parti déjà.
En pensant à ces personnes, tant de souvenirs remontent et effleurent nos esprits. On en cherche quelques-uns, alors que d’autres s’éveillent sans qu’on le veuille, d’autres encore veulent être repoussés d’une main. De toutes ces images qui reviennent, des pensées surgissent comme par exemple des “si seulement…” et une question subsiste : “Qu’auras-tu laissé ?”
Loin d’être un tableau de compte et une liste à cocher, cette question nous met face au concret de la vie qui permet de savoir quelles traces de nous seront laissées.
“Qu’auras-tu laissé? Quelles réponses peuvent venir aux esprits quand cette question est évoquée ? À part les combats et les passions ? La joie de vivre et la volubilité ? Le partage et l’entraide ? L’amour pour la famille, le plaisir de la belle musique, le désir d’un monde plus humain ? Qui sait, peut-être un peu de bouderie et de colère, d’engueulade et d’incompréhension ? Des enfermements douloureux et des déferlements vomis ? Possiblement un peu de mots blessants et de regards froids. Les soirées arrosées et les bons gueuletons ? La passion pour un métier, la combativité, le dégoût du paraître et la condamnation de la malhonnêteté ? Serait-ce, peut-être, l’acharnement à faire la lumière sur la vérité pour un monde plus éclairé ? “Qu’auras-tu laissé ?”
Que peut-on laisser de valable derrière nous, à part ceux que nous aimons, bien sûr ? Une main tendue aux plus démunis ? La lutte toutes griffes dehors devant des charognards qui tournent autour de leurs victimes et qui les tourmentent ? Que restera-t-il de nous, qu’aura-t-on transmis ? Vous êtes-vous déjà posé ces questions ? D’ailleurs, est-il bien nécessaire de se les poser ?
Qu’aura-t-on laissé des chemins parcourus, des voyages, des batailles, des rires, des rêveries, du temps partagé, des gens aimés ?
Certes, on aimerait bien laisser des traces épatantes, mais qu’en est-il si le souvenir laissé est celui d’une épave épuisée, affaiblie ? Pour avoir tout, tant, donné ! Ce qui peut être donné et qui ne l’est pas, est perdu, alors autant donner ! Où serait alors le mal puisque cela serait un nouvel apprentissage de la vie ?
Je pose, sur cette question, un regard qui se voudrait être aussi clair qu’une eau pure à sa source. Les choses à laisser ne sont-elles pas l’amour, les valeurs, l’honnêteté, la bienveillance et l’espérance ?
“Qu’as-tu laissé ?” Et s’il était donné à tous de vivre d’une manière telle que nous pourrions répondre : “Je laisserai un peu de moi, beaucoup d’espérance et des valeurs humaines vécues jusqu’à perdre haleine.”