Les débats parlementaires en direct à la télévision ont permis de montrer qu’au-delà du brouhaha hebdomadaire, des joutes verbales entre politiciens et des affrontements avec la Speaker, il y a aussi des élus qui faisaient leur travail de parlementaires avec beaucoup de pertinence et d’objectivité afin d’éclairer la population sur des projets gouvernementaux où l’opacité ou le manque de maîtrise du dossier sont apparents.
Parmi ceux-là figure Osman Mahomed, député du PTr au N°2, ingénieur civil de formation de la National University of Singapour et de la Nanyang University of Technology de Singapour, ex-fonctionnaire qui a été responsable de la Commission Maurice Île durable et qui fait de la politique active depuis depuis 2014. Il s’est fait remarquer par ses questions pertinentes sur le Metro Express, le Safe City Project et la Turbine à gaz de Fort Georges, autant de projets d’investissement qui totalisent environ Rs 40 milliards. Week-End est allé à sa rencontre.
Osman Mahomed, vous êtes très critique, surtout au Parlement, sur le dossier Metro Express. Qu’est-ce qui vous hérisse dans ce projet ?
J’ai été en charge du projet Maurice Île durable et le transport durable est une des choses en lesquelles la commission a profondément cru. Le Metro Express, certes, pourrait résoudre le problème de congestion routière qui a des répercussions majeures sur l’environnement (pour ce qui est de la pollution) et sur l’économie. J’ai toujours cru dans le Mass Transportation et l’ancien gouvernement, dirigé par Navin Ramgoolam aussi. D’ailleurs, c’est lorsque l’ex-Premier ministre a été en visite à Singapour que tout ce projet a été déclenché. Pour y avoir effectué mes études et travaillé pendant plusieurs années, je connais très bien Singapour et son système de métro et, plus particulièrement le Light Rail Transit. C’est parce que j’en ai une certaine expérience que je m’intéresse de près à ce projet.
Êtes-vous donc pour ou contre le projet Metro Express ?
Je suis pour l’introduction du Mass Transportation et le concept du projet métro léger. Je suis d’accord sur le fond du projet, mais pas sur la forme. Mon parti, le PTr, l’a souvent souligné : sur sa forme actuelle, ce projet suscite de nombreuses interrogations. J’ai d’ailleurs soulevé plusieurs questions parlementaires sur ce dossier. La première fois, en février 2015, il nous avait été annoncé que le projet de Mass Transportation avait été rangé au placard, fermé dans une promesse électorale de l’Alliance Lepep. Lorsque j’ai voulais savoir pourquoi le projet avait été mis aux oubliettes, à mon grand étonnement, le ministre Bodha annonça, en mai 2016, que le gouvernement reprenait du projet. Il a été intégré au budget un mois plus tard. Depuis, je garde l’œil sur ce projet, car il faut en comprendre les motivations.
Quelle en est votre analyse depuis 2016 ?
Ce qu’il y a de positif dans le projet, c’est qu’il s’agit d’un projet de Mass Transportation. Pour une petite île comme Maurice, avec une population grandissante et une économie qui se développe rapidement, il est primordial de trouver une solution à la congestion routière. Sur le plan économique, cela devient un atout, car avec moins de congestion, les employés seront à l’heure au travail et seront moins stressés. Cela devrait aussi avoir un impact sur notre facture d’importation d’essence, car, pour l’heure, quand vous et moi consommons de l’essence, c’est le pays qui achète, ce sont les devises qui quittent le pays. Avec un système de transport de masse, le pays devrait économiser beaucoup d’argent.
Vous contestez néanmoins bien des aspects de l’actuel projet.
Évidemment, car il y a plusieurs faiblesses dans son application. De la façon que le PTr avait conçu ce projet, idéalement, le métro devait passer en hauteur. Or, nous constatons que, presque partout, le métro passera sur le sol, ce qui occasionnera plus d’embouteillage, notamment aux intersections où les automobilistes seront bloqués à chaque fois que passera un train.
L’idéal aurait été d’avoir des lignes aériennes et des stations en hauteur. Un autre problème concerne les urban terminals. Je comprends que celui de Port-Louis soit en cours. Quelle garantie avons-nous que celui de Rose-Hill se concrétise ? Et en cas d’arrêt des travaux, qu’adviendra-t-il de cette station en hauteur ?
On avait aussi évoqué le Park & Ride, mais qu’est-ce qui poussera quelqu’un, disons habitant d’Ebène, à laisser sa voiture au garage, marcher jusqu’à Rose-Hill pour prendre le métro ? Un vrai système aurait fait que cet usager puisse garer sa voiture dans l’Urban Terminal de Rose-Hill avant de s’engouffrer dans le métro. C’est ce que nous, au PTr, avions envisagé.
Vous avez aussi évoqué les problèmes d’alimentation électrique.
Une autre faiblesse, et non des moindres, sur laquelle j’ai attiré l’attention au Parlement, ce sont les câbles électriques du métro. Le ministre des Utilités publiques a annoncé au Parlement que le CEB, pour des raisons de réductions de risques en temps cycloniques, mais aussi esthétiques, dépensera des milliards de roupies pour enfouir les câbles électriques sous le sol. A l’heure actuelle, nous avons des câbles électriques aériens. C’est ambigu et paradoxal.
Et la météo aussi, apparemment, vous interpelle dans ce projet.
Permettez-moi d’enfiler ma veste d’ingénieur. J’ai attiré l’attention sur le fait que le design de ce projet tient en compte une vitesse de 100 milles à l’heure, ce qui équivaut à une résistance à des vents cycloniques de 160 km/h. Lorsque nous faisons des designs à Maurice pour les structures résistantes aux vents cycloniques, nous travaillons sur une basic risk speed de 250 km/h. Je me demande s’il n’y a pas eu erreur de calcul pour le Metro Express. Dans lequel cas, nous pouvons demain voir tout le système s’effronder lorsqu’il y aura un cyclone. Quel sera également l’impact des inondations sur le réseau ? A-t-on tenu compte d’une one happening in 100 years dans le design ? Et quid des effets du mauvais temps durant la construction ?
Vous n’êtes pas tendre non plus sur la rentabilité du projet ?
L’étude de faisabilité aussi pose problème. Aujourd’hui, nous en sommes à ce point que chaque année nous pulvérisons les records d’importation de voitures. Je ne dis pas qu’il faut empêcher les gens d’acheter une voiture, mais il faut une politique d’accompagnement pour encourager les gens à voyager en métro. Autrement, le système ne sera plus rentable. Le ministre a indiqué que dans les meilleurs des cas, il s’attend à une moyenne de 90 000 voyageurs par jour. Atteindrait-on quotidiennement cet objectif dans quinze ans pour recouvrer les investissements? Même Singapour, qui dispose de tout un arsenal pour contraindre les gens à voyager par le métro, a roulé son système de MRT à perte pendant des années. Aujourd’hui, c’est devenu tellement facile d’acheter une voiture à Maurice. Et pour moi, ces facilités face au projet Metro Express sont diamétralement opposées. Il faut une politique d’accompagnement.
Le projet cependant suit son cours. Quels seraient vos suggestions ou conseils ?
Par rapport à ce que je viens de dire, l’absence d’un bon project management est un grave manquement. A ce jour, à quelle figure nationale peut-on identifier le métro ? Tous les grands projets ont besoin d’une identification. Par exemple, on dira de l’aéroport que c’est le projet de Serge Petit. Mais pour le Metro Express, quel technicien, quel ingénieur pourra dire qu’il a mis en œuvre ce projet à Maurice ? Das Mootanah a été nommé, mais n’a pas encore pris ses fonctions. Sans une project management team, on risque de se retrouver avec de mauvaises surprises et aller dans n’importe quelle direction.
Vous soumettez le ministre Bodha, dans l’hémicycle, à un feu roulant de questions ? Pensez-vous qu’il maîtrise le projet ?
Je ne puis inclure le ministre dans le débat parce qu’il n’est pas un technicien. Il est un décideur politique. Quand les gens critiquent Anil Baichoo pour la route qui s’est effondrée, ce n’est pas directement de sa faute. Il était un responsable politique, pas un ingénieur. Son travail n’est pas d’aller voir ce qu’il y a sous terre. Ce sont les ingénieurs, les consultants qui doivent assumer leurs responsabilités, car ils sont grassement payés pour cela. Idem pour le projet Metro Express. Le ministre Bodha a le devoir de mettre en place une équipe de personnes compétentes qui pourront gérer le projet. Nous voyons déjà qu’au fur et à mesure qu’avance le projet, le gouvernement est en train d’adapter de nouvelles solutions aux conséquences qu’il n’avait pas nécessairement évaluées au début.
Pour vous, ce projet pas été bien pensé et conçu ?
Pour les câbles électriques et les risques cycloniques, il est clair qu’il y a des manquements. Notre particularité c’est que nous sommes un site cyclonique. Avec des vents de 250 km/h, le train restera-t-il stable ? Autre exemple : j’ai été à La Butte où certaines maisons ont été rasées et d’autres, attenantes, pas. Lorsque le train passera, il y aura certainement des vibrations. Si le train freine brutalement, quel sera l’impact sur ces maisons et ces familles qui y habitent ? Le fait qu’on n’a pas fait de EIA est un grave manquement.
Dans une de vos récentes questions parlementaires, vous avez soulevé un point relatif aux caractéristiques écologiques du métro…
L’écologie c’est l’étude des relations entre les plantes, les animaux, les personnes et leur environnement et les équilibres entre ces relations. Lorsqu’on considère l’avenue Roland Armand, on est septique quant aux décisions prises par les autorités de transférer cet espace vert naguère très apprécié derrière la station du CEB, où tous les câbles aériens de la station sont très élevés, et représentent un danger pour la santé. Est-ce un changement écologique pour les gens qui y vivent ? En ville, à côté des maisons, avec toute la pollution sonore qui sera générée, peut-on encore parler de projet écologique ? Je pense que si une étude EIA avait été faite, cela aurait démontré ce qu’il faut faire pour rectifier les mauvais calculs qui risquent d’avoir des conséquences graves plus tard.
Pensez-vous que la cohabitation train/véhicules sera facile à Maurice ?
Aujourd’hui, une voiture n’est pas un facteur de réussite sociale, c’est un must, car c’est un moyen de transport. Mais il faut penser à l’avenir, c’est-à-dire au développement durable. Il faut développer cette culture de voyager par le métro qui va définitivement apporter un changement à Maurice. Et je maintiens que ce projet, imaginé par l’ancien gouvernement, est un bon projet. Mais c’est la façon dont elle est mise en place et dont elle sera gérée qui fera la différence. Certes, les automobilistes sont indisciplinés à Maurice. La courtoisie n’est pas notre fort. D’une façon ou d’une autre, les automobilistes devront s’adapter au métro.
Les quelques questions parlementaires sont-elles suffisantes pour cerner le dossier Metro Express, ou ce sujet mérite-t-il un débat national ?
Lorsqu’il est évoqué au Parlement, le dossier prend une autre envergure. Et c’est cela mon objectif. La dernière fois que j’ai abordé la question, j’ai posé quatre questions techniques. Parce que j’ai envie de comprendre le projet et j’ai envie d’apporter une contribution à mon pays. J’ai vécu à Singapour et je sais comment cela fonctionne et quelles en sont les contraintes. Les raisons pour lesquelles je pose des questions, c’est pour que le pays puisse profiter d’un projet abouti. Oui, un débat national est aussi nécessaire. Cependant, cela dépend comment il se fait.
Un autre dossier sur lequel on vous voit très actif, c’est celui du Safe City. Qu’est-ce qui vous fait peur ?
La façon dont ce projet sera appliquée, le manque de transparence et son coût. Par manque de transparence, je veux dire : comment sommes-nous arrivés à confier un projet à une compagnie privée, Mauritius Telecom, qui parallèlement nous fera payer son lease agreement estimé de Rs 15 à Rs 19 milliards sur les prochains 20 ans. Avec, par-dessus le marché, une garantie de l’État avec le prêt de l’EXIM-China à MT ? Comment l’État peut-il prendre le risque au nom d’une compagnie privée ? A l’heure où le pays bouge dangereusement vers des dettes d’un trillion de roupies et où le FMI a tiré la sonnette d’alarme, il faut se demander si ce projet est vraiment une priorité.
Le ministre mentor a fait comprendre que c’est pour contrôler le Law & Order à Maurice ?
Il y a plusieurs zones d’ombre. Quelle est la véritable finalité de ce projet ? Outre la police et MT, la compagnie Huawei est l’une des protagonistes. Une simple recherche sur cette compagnie chinoise par rapport aux caméras de surveillance fait ressortir que même le FBI en Amérique a pointé du doigt Huawei. S’agissant de MT, mis à part qu’il contrôle notre système de téléphonie et celui de la connectivité internet, désormais c’est la surveillance des citoyens qu’on met entre ses mains. Et comme MT a toujours été géré par des nominés politiques, que ce soit pour son CEO ou son chairman, la perception est qu’avec l’installation des 4 000 caméras à travers l’île, c’est beaucoup d’informations qui ne seront pas seulement entre les mains de la police qui reste une institution, mais entre les mains d’une compagnie privée au service du gouvernement. Si c’est le cas, ne met-on pas certaines catégories de gens, notamment les politiciens et les activités politiques directement sous surveillance, par exemple, durant une période électorale ? Cela pourrait devenir un outil politique. C’est une potentialité forte que nous devons combattre avec force.
Vous n’êtes donc pas rassuré ?
Hormis cette perception que je viens de citer, la question est de savoir quelle est la garantie que ce système fonctionne. Bien souvent, par exemple à la prison, à l’aéroport lorsque nous avons dû avoir recours à des caméras de surveillance, nous avons appris que c’est justement à ces heures-là que ces caméras ne fonctionnent pas. C’est pourquoi je demande à la police et à MT : quelle garantie elles nous donnent que ces caméras fonctionneront en toute circonstance? Y aura-t-il des pénalités très lourdes pour sauvegarder nos intérêts face à aux prestataires de service ? Il faut des dispositions pour que dans le futur, en cas de nécessité, on puisse take the supplier to task.
Comment protéger la liberté individuelle et la vie privée avec un tel projet de surveillance 24 heures sur 24 ?
Il y a eu un projet similaire mis en place en Angleterre, mais cela a été fait en consultation avec toutes les parties concernées. Cela a pris beaucoup de temps, car il a fallu rassurer la population. Des consultations étaient nécessaires pour définir les paramètres. Chose qui n’a pas été le cas jusqu’ici à Maurice. Je lance donc un appel pour rassurer la population qu’il n’y aura pas d’abus comme cela a été le cas dans certains pays.
Votre autre cheval de bataille est la centrale électrique de turbine à gaz de Fort Georges. Quelle est votre opinion sur cette affaire ?
Le coût estimé de ce projet est de Rs 8, 2 milliards, pour lequel le CEB devrait débourser Rs 2, 3 milliards dans le présent exercice financier. J’avais trois questions parlementaires sur ce projet mardi dernier, mais j’ai dû les retirer parce que nous sommes tous partis avec Arvin Boolell, dans une démarche de solidarité, après son expulsion par la Speaker. Je trouve ce projet discutable pour trois raisons : d’abord, c’est la pertinence et les raisons pour lesquelles le CEB se lance dans ce projet en juillet 2018, alors que la demande de pointe prévue de 510 Mw pour 2017 est aujourd’hui à 460 Mw seulement. 50 Mw de moins, soit environ 10 % de moins prévus pour 2017 dans le Plan intégré d’électricité du CEB de 2013.
N’est-ce pas dû à la baisse de l’activité économique, conséquence directe de la situation économique morose actuelle ? Deuxièmement, je me pose la question de savoir si le gouvernement n’a pas mis la charrue avant les bœufs pour ce projet. Des offres ont déjà été reçues pour les turbines à gaz de Fort Georges. Le gouvernement peut-il confirmer qu’il sera toujours possible de faire fonctionner ces turbines spécialisées à Maurice ?
Troisièmement, je suis très préoccupé par ce qui se passe sur le projet CCGT (Combined Cycle Gas Turbine) dont les offres ont été ouvertes le mercredi 6 juin 2018. Ainsi, l’un des plus bas soumissionnaires, METKA, de Grèce, est une société dont le propriétaire est actuellement interrogé pour corruption ou blanchiment d’argent, selon des articles parus dans la presse internationale. D’autres informations circulent selon lesquelles des représentants de cette compagnie ont rencontré plusieurs politiciens et VVIP’s lors du Forum sur l’énergie en Afrique qui a eu lieu en juin à Maurice, et d’autres réunions subséquentes avec les officiers du CEB. J’espère obtenir des réponses à mes interrogations.
Quels secteurs seront la cible de vos flèches au Parlement bientôt ?
Ce mardi, j’ai retiré mes PQ’s, parce que je serai à l’étranger pour participer au Forum parlementaire de la SADC et au Dialogue de haut niveau d’OXFAM à Maputo, Mozambique, du 17 au 20 juillet 2018. Mais le mardi 24 juillet, je concentrerai mon attention sur le secteur de l’eau, avec quatre questions sur l’affermage proposé et toutes ses implications .