Issa Ramjan avait 86 ans. C’était un habitant du Hochet, Terre-Rouge. Son corps avait été retrouvé le jour de Noël derrière le supermarché Jumbo de Riche-Terre. Les conclusions de l’autopsie ont établi qu’il est décédé d’un oedème cérébral suivant une agression. C’est le 27 décembre que son présumé meurtrier a été interpellé, un jeune homme de 24 ans habitant Baie-du-Tombeau.
Louis Raymond Berthelot avait, lui, 72 ans. Il avait été retrouvé gisant dans une mare de sang le 13 décembre à Ebène. Cet habitant de la région de Camp-Levieux était vigile. Transporté aux soins intensifs de l’établissement hospitalier de Candos, le vieil homme est décédé le 27 décembre des suites d’une fracture du crâne causé par des blessures. Ses funérailles ont eu lieu le 28 décembre. La police privilégie la thèse de foul play et, pour l’heure, son ou ses agresseurs n’ont pas été identifiés.
Imaginez Sir Anerood Jugnauth, qui aura 89 ans durant le premier trimestre de 2019 en train de faire le vigile, il y a trois ans, à l’âge d’Issa Ramjan. Improbable, impossible. Et pourtant dans ce pays qui dit bien traiter ses personnes âgées, dans cette Smart Mauritius qui fait un tam-tam lorsqu’elle reçoit le robot Sophia et qui est embarquée dans le développement de l’intelligence artificielle, il y a des vieux qui travaillent toujours à 86 ans.
Le faisaient-ils par obligation, pour arrondir leurs fins de mois, pour se payer quelques petites fantaisies ? Avaient-ils été abandonnés par leur famille? Ce sont des questions qu’il nous importera de creuser pour comprendre ce phénomène de vigiles très âgés alors que la médecine ne préconise le travail de nuit que pour une courte durée, parce qu’il est maintenant reconnu qu’il est nuisible pour la santé et que des rotations bien organisées pour récupérer sont recommandées.
Cette affaire de deux vigiles tués à quelques jours d’intervalle soulève aussi des questions sur le rôle des autorités industrielles. Comment le ministère du Travail peut-il tolérer que des compagnies emploient des surveillants de nuit septuagénaires et octogénaires ? Où est l’inspectorat du travail ? Ses effectifs ne travailleraient-ils que le jour et, le plus souvent, dans le confort de leur bureau ?
On s’émeut, avec raison, des conditions de travail et d’hébergement des travailleurs étrangers, mais quid de nos tontons faisant le guet la nuit et exposés à des personnes malintentionnées, des malfrats qui n’ont aucun respect pour leur grand âge et qui sont prêts à tuer pour ce qui se révèle souvent un maigre butin ?
Même s’il n’a rien fait pour empêcher que des personnes âgées travaillent comme vigiles, on serait très intéressé de connaître le suivi de ces deux affaires par le ministère du Travail et des Relations industrielles. Savoir, par exemple, qui sont ces sociétés qui, en sus d’être dans l’illégalité, poussent la cruauté jusqu’à employer, à manifestement moins de frais, des personnes d’un âge aussi avancé.
Seront-elles poursuivies, condamnées pour avoir enfreint la loi ou attendrons-nous, sans rien faire, qu’il y ait d’autres victimes ? Augmenter la pension, c’est bien. En profiter pour se bomber le torse après, c’est très bassement politicien. En faire un slogan de campagne électorale, ça peut être payant, mais lorsqu’on a, en même temps, des cas comme ceux d’Issa Ramjan et de Louis Raymond Berthelot, deux de trop, on a besoin de réfléchir au-delà des slogans ronflants et décider de ce que sera le contenu social et humain de Smart Mauritius.
Autre couac indigne de notre Smart Mauritius, la panne de courant qui a paralysé la National Transport Authority le 26 décembre. Ce qui a été une grande source d’inconvénients pour les automobilistes qui avaient besoin des divers services du régulateur. L’incident est venu démontrer que ce service essentiel qui dépend des données informatiques de ses clients pour fonctionner ne dispose pas de générateur et que c’est la panique pour la NTA et la fureur pour les usagers. Quelle ironie pour un pays qui brandit son futur tramway comme la vitrine de la modernité !
Smart Mauritius, cela devrait aussi suggérer des institutions smart et surtout des personnes smart. Quelle honte que d’écouter les sornettes de ce commissaire de prisons, celui que le ministre mentor et son fils considèrent comme un crack qui est en train de révolutionner la gestion pénitentiaire ! Ils étaient tous deux présents le jeudi 27 décembre dernier lors d’une cérémonie de “passing out parade” des 146 nouvelles recrues. Jamais avare d’un commentaire saugrenu ou d’une déclaration à l’emporte-pièce, il s’est une nouvelle fois fait remarquer mercredi dernier lors de cette cérémonie. Excité sans doute par la présence de ceux qui l’ont installé, Vinod Appadoo a eu un langage très châtié comme d’habitude pour parler de ses responsabilités et de ceux qu’il accueille dans ses prisons.
Il a rappelé que ses prisons ne sont pas des “lakaz mama” et a annoncé un régime plus sévère pour ses pensionnaires. Il vient de découvrir que le poulet qui leur est servi est trop goûteux et que le budget poulet est de Rs 7 millions annuellement.
Appréciez le constat, apparemment tardif, que les prisonniers “manz zis blan ek lakwiss zot bizin manz tou ce ki ena dan enn poul, zot mem pou nourri, zot mem pou ofer sa”.Pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas poursuivre dans le même florilège raffiné et choisi : “Ena dimoun pa kapav vinn dan prison 20 à 30 fois. Li continié vini pour zwir bann privilez ki gagne dan ban prison ? Nou pa kapav aksepte sa ban zafer la ! »
Gageons que Maneesh Gobin appréciera cette expression d’engagement soutenu en faveur des Droits de la personne et qu’il n’éprouvera aucune difficulté ni embarras à vanter le comportement exemplaire des institutions mauriciennes, et surtout l’avant-gardisme et la classe de ceux qui les dirigent devant les instances internationales. Des smart people quoi !