Le Guide - Législatives 2024

Me Antoine Domingue : “Le Commissaire de police doit être destitué !”

Notre invité de ce dimanche est le Senior Counsel, Me Antoine Domingue. Dans cette interview, réalisée vendredi après-midi, il partage son analyse des événements ayant suivi le jugement accordant une libération conditionnelle à l’activiste politique Bruneau Laurette.

- Publicité -

 Est-ce qu’avec ce qui vient de se passer cette semaine dans le monde du judiciaire et de la police, on a assisté à des cas isolés ou au déroulement d’une stratégie ?

— Pour bien comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire, il faut en établir la chronologie. Le nœud du problème c’est que le Police et le bureau du DPP, qui conduisaient conjointement l’affaire, se sont opposés à la libération sous caution de Bruneau Laurette en soulevant trois objections. La magistrate, qui avait le devoir de se prononcer sur les objections, les a étudiés, avant de les rejeter en posant des conditions drastiques pour la libération sous caution.

Ces conditions sont quand même énormes : deux cautions d’un million de roupies chacune, une reconnaissance de dette de dizaines de millions, une surveillance policière 24/24, l’interdiction de communiquer par téléphone satellitaire et de se retrouver à 500 mètres de la côte. Comme l’a dit un des partisans de Laurette, « C’est pire que la prison ! »

— Le problème, ce ne sont pas les conditions imposées, mais le fait que la Cour ait ordonné la libération sous caution de Bruneau Laurette. Dès que la magistrate a fini de lire son ruling, la représentante du DPP s’est mise debout pour demander un stay of execution. Cette disposition du Bail Act permet au Commissaire de police ou au DPP de demander un report de la décision afin d’aller demander à la Cour suprême de set aside le ruling de la magistrate. Ce stay, qui a été accordé, va à l’encontre de deux principes constitutionnels : celui de la séparation des pouvoirs entre le judiciaire, l’exécutif et le législatif, et celui de l’indépendance du judiciaire. Par conséquent, la demande du stay of execution qui a permis de ramener Bruneau Laurette en prison est, de mon point de vue, anticonstitutionnelle.

 Il existerait une section de la loi mauricienne qui est anticonstitutionnelle ?

— Cette disposition légale par laquelle le Parlement a voulu donner le pouvoir au CP et au DPP de suspendre une décision du judiciaire et de maintenir en prison est anticonstitutionnelle, même si elle n’a pas encore été remise en cause devant la Cour suprême. D’après mes recherches, cette section du Bail Act ne passe pas le test de la constitutionnalité. Pour moi, cette disposition pose un problème. C’est pourquoi j’attire l’attention dessus. Il faut bien comprendre qu’il n’existe pas de Bail Act pour chaque catégorie d’offenses à la loi. Il existe un seul Bail Act et un seul principe qui s’applique pour tous les détenus provisoires. À un moment donné, avec les inquiétudes face à la prolifération de la drogue à Maurice, le Parlement avait cru bon de faire voter une loi interdisant la libération sous caution dans les cas de trafic de drogue. Cette nouvelle provision de la loi avait été contestée par feu Me Guy Ollivry et Me Moonshiram devant la Cour suprême qui l’avait struck down parce qu’elle était anticonstitutionnelle. Le pouvoir d’ordonner la libération conditionnelle ou le maintien en prison relève uniquement du judiciaire.

Donc, la représentante du DPP annonce que son bureau fera appel…

— …non, le terme appel ne peut pas être utilisé dans ce cas. Il y a notification que le bureau du DPP demandera une review de la décision de la magistrate devant la Cour suprême. Review signifie qu’il faut aller persuader la Cour supérieure, c’est-à-dire la Cour suprême, que la décision de la magistrate était aberrante et perverse. Une review de ce genre a eu lieu en 2005 dans le cas Hurnam. La Cour suprême avait accepté la version du DPP d’alors, décision qui avait été, par la suite, renversée par le Privy Council.

Revenons à la chronologie, suite à la suspension de la décision de la magistrate, il y a un délai de 7 jours à partir du prononcé du jugement pour que le CP ou le DPP – ou les deux conjointement – confirme la demande de review. S’ils ne le font pas, le détenu est automatiquement libéré et les conditions du jugement entrent en application. Dans le cas qui nous occupe, le 7e jour étant dimanche, la date butoir arrive le lundi 27 février.

Il y avait, donc, une possibilité que le DPP ne confirme pas la demande de review ?

— Cette possibilité a visiblement posé problème au MSM et à ses apparatchiks. Samedi, pendant que l’affaire est en délibéré au bureau du DPP, les apparatchiks du parti soleil ont commencé à poster des attaques sur la page Facebook de Sun tv. Un site qui s’en était pris auparavant à des journalistes, qui sont allés faire une déposition à la police et à la cyber crime unit. On leur avait dit qu’une enquête était ouverte, mais rien ne s’est passé depuis. Sun tv, dont le gestionnaire est supposé être recherché par la police, est un relais du parti soleil. Il s’est permis de faire de très graves allégations sur le DPP, le senior Magistrate qui a donné le ruling, un ancien chef juge et l’avocat qui a plaidé l’affaire de Bruno Laurette. Le samedi à 21h, le DPP rapporte le cas à la police, et Sun tv disparaît subitement de la toile.

Vous pensez que Sun tv a été informé de la plainte du DPP ?
— Quelle autre conclusion tirer de tout ça ? À peine la plainte du DPP faite à la police, Sun tv disparaît  de Facebook. Par ailleurs, il y a une déclaration du Premier ministre qui, entre autres choses, vient exprimer son anxiété sur le fait que la mafia a de l’influence sur certaines institutions et sur certaines personnes dans ces institutions. Puisque le PM dit savoir qui est les mafiosi, les institutions et les personnes qui en font partie, pourquoi ne donne-t-il pas leurs noms ? Pour moi, quand on met tout ça ensemble, c’est une tentative de mettre la pression sur le DPP pour qu’il aille le lundi 27 février maintenir la demande de review du jugement sur Bruneau Laurette.

Si je vous ai bien suivi, il y a un parti politique dont les apparatchiks ne veulent pas que Bruneau Laurette soit remis en liberté conditionnelle. Pour s’y opposer, ils se livrent à des attaques sur Facebook et le PM participerait à cette campagne pour faire pression sur le DPP à travers la déclaration que vous avez citée ?

— À quelle autre conclusion peut-on arriver en examinant la séquence des évènements comme nous sommes en train de le faire ? Allez faire faire une transcription de la déclaration du PM qui parle même de présumés criminels, un terme qui n’existe pas dans la loi mauricienne et qui reviendra plus tard dans le « débat ».

Selon tous les éléments que vous avez mentionnés, tout semble avoir été orchestré pour faire pression sur le DPP et maintenir Bruneau Laurette en prison ?

— Il n’existe pas d’autre conclusion possible. Mais malgré ces pressions, lundi, le DPP publie un communiqué pour expliquer pourquoi il ne demande pas une review de la décision de la magistrate. Cette décision ayant été communiqué en Cour à la magistrate, le prisonnier est, donc, libéré sous conditions. Le lendemain soir, je participe à une émission radio sur tous ces éléments avec d’autres participants au cours de laquelle on annonce qu’un press release de la police vient de tomber. La première chose qui choque dans ce document, c’est l’utilisation par le Commissaire de police du terme evil precedent sur le jugement et la non-opposition du DPP. Il faut souligner que le CP fait sa déclaration un jour après le délai pendant lequel il aurait pu légalement défendre son « argument ». S’il avait eu une différence de vue sur cette question avec le DPP, le CP avait eu 7 jours pour le dire et il ne l’a pas fait ! Ce qu’il faut aussi savoir, c’est que dans la journée de mardi, le Commissaire donne une déclaration à Ion News, qui est, semble-t-il, un des porte-parole du parti du soleil.

Qu’est-ce qui vous permet de dire ça ?

— Tout d’abord, le fait que le gros de la déclaration du Commissaire donnée à Ion News se retrouvera dans le press release de la police, dont le désormais fameux terme « evil precedent ». Parenthèse : quand les journalistes insultés par Sun tv avaient porté plainte à la police, Ion News s’était permis de les traiter de « drama queen » ! Donc, le CP fait une déclaration à Ion News qui se retrouve dans son communiqué, qui est repris par tous les relais du pouvoir MSM, pour ne pas dire ses propagandistes.

Selon votre lecture des événements, le Commissaire de police vient de rejoindre le band wagon qui critique la liberté conditionnelle accordée à Bruneau Laurette.

— Bien évidemment. Selon mes informations, le Commissaire aurait été sur une voie de garage une semaine avant et le communiqué ferait partie de ses « arguments » pour qu’il soit maintenu à son poste.

Il existe également une autre interprétation de la chronologie : les attaques du CP contre le DPP auraient pour origine le fait que ce dernier a fait appel contre la grâce présidentielle accordée au fils du CP.

— Je sais que depuis qu’il a été nommé, le DPP n’a pas eu l’occasion de rencontrer le CP. J’en conclus que la relation entre le CP et le DPP a souffert du fait que Rashid Amine a poursuivi le fils Dip, qu’il ait contesté la grâce présidentielle et qu’il ait repoursuivi le fils Dip dans une autre affaire très sérieuse de détournement de fonds de plusieurs dizaines de millions devant la Financial Crime Division, ce qui ne serait pas du goût du CP. Mais dans cette dernière affaire, la presse a découvert que le fils du CP a bénéficié des services de la police pour l’escorter, le faire passer par le garage des magistrats, entrer en Cour par la porte réservée aux magistrats et sortir de la même façon. Comment peut-on utiliser les ressources de l’État pour ce genre de manigance ? La presse a posé à juste titre cette question qui n’a pas fait l’objet d’une réponse ou d’un communiqué de la police ! Revenons à l’autre communiqué qui révèle, en fait, une animosité du CP pour le DPP et qu’en venant conspuer publiquement la magistrate, il a commis un outrage à la Cour, en toute impunité.

Nous vivons, donc, dans un pays où le CP, en colère parce que le DPP a poursuivi son fils pour fraude financière grave – et pour lequel dans un cas, il a déjà été condamné – peut l’attaquer publiquement !

— Je ne vous le fais pas dire! Je paraphrase Shakespeare pour dire “there is something which is rotten in this kingdom.” Le CP est en train de sortir son fiel et de le jeter sur le DPP dans la mouvance de ce qui se passe dans le pays, depuis samedi dernier. Le fait que Sun tv soit devenu un soleil couchant sur le net ne signifie pas que les attaques et insultes sur les réseaux sociaux ont disparu. D’autres ont pris la relève comme le fan club de Pravind Jugnauth – dont une des modératrices n’est nulle autre que cette ministre qui avait été contrainte à la démission en raison de ses fréquentes visites aux prisonniers. Si c’est possible, les nouvelles attaques sont pires que celles du défunt (pour le moment) Sun tv, sans que les autorités dites responsables ne réagissent ! Un avocat a ajouté son grain de sel en disant qu’il avait des preuves que les posts du supposé ex-Sun tv ont été mis en ligne par quelqu’un de la MBC. C’est un autre élément à verser au dossier.

Qu’est-ce que toutes ces attaques groupées veulent dire, selon vous ?

— Qu’il existe des personnes à Maurice qui veulent faire entrer la politique au prétoire. On jette de la boue sur ceux qui suivent et respectent la loi. La magistrate est evil ; ce n’est pas elle qui a écrit le jugement, mais son parrain ; le DPP a reçu l’argent de l’avocat de la défense pour ne pas faire une demande de révision au jugement. On cherche à décrédibiliser ceux qui sont crédibles et respectés. Mais il n’y a pas que le CP qui en a contre le DPP. Si on veut en rajouter, on pourrait aussi rappeler que depuis la fin de l’année dernière, le DPP avait advised prosecution contre Yogida Sawmynaden, colistier du PM, pour détournement des appointements de son constituency clerk qu’il avait émargé au nom de la Vve Kistnen. On est debut mars 2023 et on attend toujours que M. Sawmynaden soit convoqué aux Casernes Centrales et charged, avant que le dossier reparte au Parquet pour qu’il soit poursuivi.

Comment faire pour mettre fin à ces situations, dans lesquelles nous sommes plongés ?

— Il faut un signal fort! Je crois qu’il faut faire appel à la Disciplinary Forces Service Commission pour commencer une procédure devant le tribunal constitutionnel afin de faire partir le Commissaire de police, comme on l’avait fait dans le cas de Raj Dayal.

Carrément ?! Parce que le CP a fait un communiqué de presse sans lequel il a, entre autres, utilisé le terme « evil precedent » par rapport à un jugement d’une magistrate et parce que le DPP n’a pas demandé la review de ce jugement ?!

— Il n’y a pas que ça dans son dossier. Rien que le fait que le fils du CP ait été entouré et protégé par la police pour arriver discrètement en Cour cette semaine, est suffisant pour destituer le CP. Raj Dayal l’a été pour bien moins que ça !

Est-ce que le fait d’éventuellement destituer l’actuel CP changera la situation ?

— Je dirais qu’il faut commencer quelque part. C’est tout ce que nous pouvons faire dans les limites de la loi.

Quel serait l’objectif final de tous ces faits que nous avons évoqués et qui sont survenus en quelques jours seulement ?

— Quand on s’asseoit, qu’on analyse les faits, qu’on les remet dans le contexte pour essayer de rassembler le puzzle, il n’y a qu’une seule conclusion, qu’un seul pattern. Le mot d’ordre était : il ne faut pas que Bruneau Laurette recouvre la liberté. Et on a tout essayé pour parvenir à ce résultat. Est-ce que la question de la libération sous caution d’un suspect devrait être du ressort de la politique ? Est-ce que les politiciens du gouvernement n’ont pas suffisamment de problèmes à régler et de dossiers à étudier, au lieu de s’occuper du sort de M. Laurette ?

Est-ce qu’ils se rendent compte qu’en ce faisant, ils sont en train de faire de Bruneau Laurette un prisonnier politique victime du système, presqu’un martyr ?

— C’est déjà fait. On n’a pas besoin de faire un sondage pour le savoir !

Donc, tout cela a été fait pour empêcher un aspirant politicien de faire campagne?

— M. Laurette est un adversaire politique de taille, un gros piquant pour le MSM, et il va peser lourd. Pour les apparatchik politiques orange, il ne faut pas que ce bougre-là sorte, il faut qu’il soit enfermé jusqu’à ce que la Cour suprême se prononce, dans plusieurs mois. Je ne dis pas que Bruneau Laurette peut devenir Premier ministre, mais que, valeur du jour, sa nuisance value est grande et, en tout cas, redoutée par les spin doctors et autres apparatchik du parti du soleil couchant.

Plus que l’alliance – toujours en gestation – du PTr, du MMM et du PMSD ?

— Dans l’esprit des apparatchik orange, Laurette est plus redoutable que l’alliance des partis de l’opposition. Je me demande si cette opinion n’est pas partagée par un grand nombre de Mauriciens ?

Vous avez demandé la convocation d’une réunion spéciale du Bar Council. Pour quelle raison ?

— Depuis samedi dernier, le Bar Council n’a pas réagi aux graves attaques contre les membres de la profession, sous prétexte qu’il n’est pas au courant de quoi que ce soit. Ayant réfléchi à la situation et passé en revue les différents scénarios possibles, j’ai décidé de demander une réunion urgente de l’ensemble de la profession pour condamner, sans réserve, les attaques dont nous avons longuement parlé. J’ai appris que des employés d’une étude, qui a des liens avec des corps para étatiques, ont été menacés par leur supérieure, qui est la présidente du Bar Council, pour avoir signé la pétition !

Est-ce que cela signifie que le Bar Council is part of the game ?

— Le Bar Council, tout comme le barreau, est politisé. Il y a eu des interférences politiques lors des dernières élections et, s’il le faut, je dirai ce que je sais en temps et lieu.

Pourquoi ne pas le dire maintenant ?

— Il vaut mieux nous concentrer sur l’affaire qui nous occupe. Le reste viendra plus tard.

Qu’est-ce qui vous a mis en colère dans cette affaire au point de vous pousser à dire tout haut, très haut même, ce que beaucoup chuchotent, vous qui avez la réputation d’être un avocat qui pèse et choisit ses mots ?

— Parce que je vais bientôt avoir 70 ans et que je suis choqué de voir la dégradation du pays, et personne n’élève la voix, personne ne dit ce qu’il y a à dire, chacun étant occupé à faire semblant de ne rien voir. Il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, pas pire sourd que celui qui ne veut rien entendre, et pire muet que celui qui refuse de parler. Je le dis depuis plusieurs années : le pays est en train d’amorcer une descente aux enfers. Quand on est au fond d’un trou, il faut arrêter de creuser. Il faut que l’on se ressaisisse collectivement : tout le monde peut voir la situation qui se dégrade, réfléchir, tirer les conclusions qui s’imposent et le dire. Se taire laisse le champ libre à ceux qui veulent pourrir les institutions, par conséquent, le pays.

Il n’existe personne qui puise intervenir et agir comme arbitre dans ce « débat » qui secoue le pays ?

— Si nous avions un Président élu au suffrage universel, tirant sa légitimité de ce vote, on aurait pu faire appel à lui. Mais le Président actuel a été élu par le MSM et ses partenaires, sur proposition du Premier ministre. Même s’il le voulait, même s’il avait les …….. pour le faire, comment pourrait-il intervenir contradictoirement dans un débat dans lequel le PM a déjà pris position ?

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -