Quand en 2015 sir Aneerod Jugnauth avait annoncé la nomination d’une Commission d’enquête sur la drogue, cette décision avait été bien accueillie par rapport à l’importance que le trafic avait pris à Maurice. Les trois ans des travaux de cette Commission ont révélé à quel point les trafiquants s’étaient organisés avec l’implication de certaines institutions censées les combattre. Les auditions, qui ressemblaient parfois à des épisodes de feuilletons télévisés, avec témoins vedettes et coups de théâtre, ont révélé que le trafic était devenu une véritable industrie avec ses soutiens, ses défenseurs, ses stratèges et ses complices à très, très haut niveau. Plus que le nombre de saisies – plus accidentelles que voulues, écrivent les Commissaires –, ce sont les ravages que l’on constate chez les plus jeunes avec les drogues synthétiques qui indiquent à quel point Maurice est gangrénée par ce fléau. Tout au long de ces travaux, le Premier ministre n’a pas manqué une seule fois de dire et de répéter sa détermination “à casser les reins des caïds et de leurs complices, qui qu’ils puissent être.” Ses propos forts ont été, toutefois, démentis par ses actes avec, notamment, la nomination à un poste ministériel d’une avocate dont la Commission avait noté le nombre de visites à des trafiquants de drogue emprisonnés. Ce que l’opposition avait alors qualifié de claque à la Commission avait autorisé à s’interroger sur le volonté du PM à réellement faire ce qu’il déclarait ou s’il se contentait de réciter des éléments de langage fournis par sa cuisine privée qui, elle-même, n’hésite pas a copier la communication de Donald Trump ou d’Emmanuel Macron. Et puis, la Commission a continué son travail, écouté, questionné, analysé et commenté avant de produire un rapport de plus de deux cents pages. La publication de ce rapport, qui devait être prêt à la fin de l’année dernière, a subi plusieurs reports et ce n’est qu’à la fin de juillet qu’il a été remis au Président. Mais bien avant, tout le monde savait que ce rapport allait épingler, dénoncer, citer et surtout recommander des mesures à prendre d’urgence. Dans la mesure où Pravind Jugnauth avait annoncé sa détermination à faire de la lutte contre le trafic de la drogue une de ses priorités, on s’attendait à ce qu’il s’organise pour que les recommandations du rapport soient mises en pratique dans les meilleurs délais. On pensait qu’il allait battre le fer pendant qu’il était chaud et profiter de la publication du rapport pour prendre des décisions fortes. On s’attendait à ce que le Conseil des ministres tienne une réunion spéciale pour discuter du contenu du rapport et que les experts soient sollicités pour son application. Or, cela fait plus de dix jours que le rapport a été remis au PM et on ne voit rien venir sinon quelques effets d’annonce. Le gouvernement, qui a traité ce rapport comme un simple item de son ordre du jour hebdomadaire, a annoncé la création d’une commission interministérielle présidée par le PM pour en étudier les recommandations. Cela fait plus d’une semaine que cette annonce a été faite et la commission interministérielle n’a pas encore été créée officiellement. Mais pourquoi faut-il nommer une commission inter-ministérielle pour étudier le rapport de la Commission d’enquête de la drogue? Est-ce que cela serait, comme beaucoup commencent à le penser, un moyen de ne pas prendre des décisions qui pourraient provoquer des remous politiques au sein de l’alliance gouvernementale? Car s’il faut autant de temps juste pour nommer la commission interministérielle, combien de temps vont prendre ses membres — très occupés, en commençant par son futur président qui cumule déjà deux portefeuilles — pour prendre connaissance du rapport, étudier ses recommandations et faire les leurs? Au rythme où vont les choses, l’étude sur le rapport ne sera prête qu’après les prochaines élections générales. Est-ce le but recherché? En tout cas, les avocats cités dans le rapport sont beaucoup plus rapides que le gouvernement dans leurs réactions. Deux d’entre eux annoncent qu’ils jureront des affidavits pour contester les parties du rapport les concernant, la semaine prochaine. Est-ce que d’ici là, la fameuse commission interministérielle chargée de faire un rapport sur le rapport aura été constituée? Cette manière de faire de Pravind Jugnauth autorise à questionner sa détermination “à casser les reins aux caïds de la drogue et leurs complices, qui qu’ils puisent être.” En tout cas, sur ce sujet, il est définitivement beaucoup, beaucoup plus lent que son père.
Jean-Claude Antoine