Est-ce que ces trois années passées dans l’opposition — et avec interdiction de quitter le pays — auront permis à Navin Ramgoolam de changer ? On serait tenté de le croire en lisant le compte rendu de sa dernière conférence de presse. Le leader des rouges a exhorté les Mauriciens à « aret asiz dan lakaz », à « ouver zot lizié aster la mem », parce que sinon il sera trop tard pour redresser le pays. En d’autres mots, l’ancien Premier ministre demande aux Mauriciens de descendre dans la rue pour protester contre l’augmentation du prix des carburants. Mais, malin, Ramgoolam n’utilise pas l’expression descendre dans la rue et n’utilise pas non plus les réseaux sociaux pour le faire. Il sait que la police mauricienne, si lente dans son fonctionnement quotidien, est super rapide quand il s’agit d’interpellations liées à des messages postés sur les réseaux sociaux.
Depuis décembre 2014, on ne compte plus le nombre d’internautes interpellés, longuement interrogés et inculpés provisoirement d’avoir attenté à la sûreté de l’Etat en postant des messages sur Internet. Rappelons le cas de cet informaticien que la police avait pris pour un terroriste. Il avait été arrêté manu militari et son ordinateur saisi. Mais le problème, c’est que ces limiers, ne comprenant rien au fonctionnement d’un ordinateur sophistiqué, ont été obligés de relâcher l’informaticien. Il y a eu également le cas de cet autre internaute arrêté pour avoir posté un message disant qu’un ancien ministre — surnommé l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite — n’avait pas payé les frais d’un séjour en clinique. Ce qui, pour les limiers, équivalait à une attaque contre l’Etat ! Cette semaine, deux autres internautes qui protestaient contre l’augmentation du prix des carburants et qui avaient demandé aux Mauriciens de manifester leur mécontentement en bloquant les routes, ont été interpellés. Nous aurions aimé que la police fasse également diligence dans d’autres affaires et ouvre des enquêtes sur-le-champ. Comme dans le cas de cette lettre adressée à l’ICAC au Premier ministre et à la presse et qui contient de troublantes révélations sur le passé et le présent du Commissaire de police et d’inquiétantes informations sur la manière dont les promotions et les bourses seraient monnayées à la police. Ces informations ne sont-elles pas susceptibles de faire l’objet d’une enquête autant que celle concernant le contenu des messages postés sur Internet ?
Mais revenons à Navin Ramgoolam, qui aurait changé, pour lui rappeler quand il était au pouvoir sa police n’avait rien à envier en matière de répression à celle du gouvernement en place. Déjà, à l’époque, la police avait pris l’habitude d’interpeller ceux qui étaient considérés comme les adversaires du régime. Combien de politiciens et de syndicalistes ont été interpellés, traînés en cour sous une accusation provisoire, libérés sous caution, avant que, des mois plus tard, les « charges » ne soient rejetées par la cour ?
Pour le moment, le leader des rouges surfe sur la vague de mécontentement qui s’est levée avec l’augmentation du prix des produits pétroliers. Après l’essence — dont le prix n’avait pas baissé en dépit d’une chute du baril de pétrole sur le marché mondial — nous aurons droit aux augmentations du tarif d’électricité et de celui de l’eau courante. Même quand cette eau n’est pas filtrée comme les 6 000 mètres cubes du réservoir de Bagatelle que la CWA injecte dans le réseau des basses Plaines Wilhems depuis décembre de l’année dernière, comme l’a déclaré la semaine dernière le directeur de la CWA ! Il faut s’attendre à des augmentations de tous les produits qui utilisent le pétrole et ses dérivés. C’est ainsi que la note des restaurants va prendre l’ascenseur sans oublier les prix des burgers, pizzas, faratas, dholl puris et autres fritures qui font partie de la nourriture quotidienne des Mauriciens.
Nous sommes donc arrivés au temps des augmentations, ce qui est du pain bénit pour les partis d’opposition et Navin Ramgoolam entend bien en tirer profit. Il demande aux Mauriciens d’arrêter d’accepter tout et n’importe quoi et promet qu’il va préconiser une politique de rupture avec celle que pratique le gouvernement actuel. Et au cas où il aurait été mal compris, il prend la peine de préciser : « Rupture veut dire rupture, kasé, koupé. Bizin enn sanzman mentalité. Nou bizin sanz nou system. » Le problème c’est que ce n’est pas la première fois que Navin Ramgoolam annonce qu’il a changé et compte prôner une politique de rupture. Il l’avait promis en 2005 juste avant d’instituer sa politique de « put our people first » qui n’avait pas grand-chose à envier à la politique « la kuisinn » que pratique actuellement le MSM. Pour toutes ces raisons et en attendant qu’il démontre le contraire, il faut prendre les engagements de Navin Ramgoolam pour ce qu’ils sont : des promesses électorales qui n’engagent pas toujours ceux qui les font.