Deux fidèles et vieux potes se revoient au ciel. Isaac et Tristan, boulimiques du travail, se grattent la tête pour savoir quoi faire pour passer le temps. Les deux compères ont alors une idée surprenante : créer un journal pour le remettre aux habitants de la terre.
Ils installent leur bureau à un endroit avec une vue imprenable sur le paradis et sur nous, afin que leur compte-rendu soit fidèle.
Sans plus attendre, ils se mettent au boulot, plume de paon à la main et papyrus posé sur un petit nimbostratus. Ils scrutent en bas et en haut et, bien vite, les informations arrivent.
Au paradis, les habitants sont dociles au présent telles que les branches le sont au vent. Le soleil fait ressortir le satin qui brille sur la peau de ceux qui s’y éternisent et le jardin flamboie de millions de fleurs de types différents et multicolores. Chaque instant est un instant d’éternité et tout infime geste est empreint de douceur et de tendresse, ce qui le rend ô combien savoureux, avec un goût d’infini.
Il n’y a ni rouille, ni moisi, ni ver, ni mites (et même pas de mythes). Tout resplendit dans une pureté indescriptible comme l’eau pure à la sortie de sa source.
Le silence est la langue universelle et l’expression de la gratitude est la mélodie de la joie. On y reçoit sans rien donner et on donne tout sans rien recevoir. À part des sourires, bien évidemment. Voyons ! C’est le b.a-ba !
En haut, point de mélancolie des jours heureux et le crépuscule est annonciateur d’un jour meilleur.
Issac, hyperactif, se lève, s’assoit, bondit, se penche sur la terre, observe et se remet à écrire. « Ceux d’en bas devraient en prendre de la graine. Ils porteraient ainsi des fruits bien meilleurs au lieu de récolter acidité et amertume. » Tristan écoute son ami qui écrit tout ce qu’il examine. Le constat n’est pas fameux et ils aimeraient bien voir cette vie à travers un kaléidoscope.
Ils savent que la vie ici-bas est complexe et que nous faisons face à autant de contradictions que d’imprévus. Ils savent aussi que bien qu’il ne faut qu’un regard pour aimer, il faut toute une vie pour comprendre et qu’aucun paquet de joie n’est disponible sur les rayons des supermarchés, ni même dans les magasins de santé et de bien-être.
Soudain, comme s’ils avaient les jambes de l’inspecteur Gadget, Isaac et Tristan s’inclinent au plus près de notre atmosphère pour nous regarder. Ils sont surpris d’être témoins de ces nombreux crânes qui avancent dans les rues, sans même qu’ils perçoivent le bout du nez des passants : les gens circulent tête baissée sur leurs portables. Puis, ils voient et sentent l’herbe brûlée par le temps et les jardins débordant de soucis. Tristan laisse échapper : « Oh, la, la ! Tout ça n’est pas bien beau à voir. »
Mais une fois l’étonnement passé, nos deux acolytes s’adoucissent en regardant une femme qui profite joyeusement du câlin des rayons du soleil et, beaucoup plus loin, un enfant, visage tendu vers le ciel, qui se réjouit des caresses des gouttes de pluie sur sa peau.
Ils sentent les parfums qui donnent du baume à nos vies, ressentent ce besoin de nous battre pour vivre et pressentent que nos jours sont plus faits de déceptions que de victoires. Souvent, une seule victoire suffit, mais nous n’avons pas toujours la sagesse pour l’apprécier à sa juste valeur.
Nos amis voudraient que nous expérimentions, en toute chose, le besoin du don de soi, la liberté et le soulagement qui accompagnent le pardon et la paix qu’on trouve dans l’abandon, puisqu’en fait, rien ne peut être totalement sous notre contrôle.
Les complices s’aventurent à écrire, non sans raison, que la tension est palpable chez nous et que nous ne portons plus autant attention à l’autre, au prochain.
Ils s’offusquent de la rareté des relations saines, des amitiés qui se tissent de plus en plus difficilement et sont attristés par notre rythme de vie. Stop ou encore ?
Stop car, déjà, le premier exemplaire de ce petit journal du ciel est rempli.
De là où je suis, je regarde l’immensité de cet azur au-dessus de ma tête qui abrite les deux gars et me demande si le ciel représente le toit de mon âme, et s’il sera un jour son repose-pied. Drôle de délire, je le conçois !
Je décide de faire un bon bout de chemin pour récupérer cette édition manuscrite pas comme les autres et me tire au sommet du Kilimanjaro. À cet endroit, je suis sûrement à mi-chemin entre le ciel et la terre. Je me mets sur la pointe des pieds et tends les bras le plus possible pour atteindre le morceau de papier. Isaac traverse un cumulus, s’allonge et fait une petite ouverture. Il se penche, s’agrippe fermement au nuage de la main gauche, puis étire l’autre bras, tenant dans la main les infos enroulées et retenues autour par un fil d’or. J’effleure du bout des doigts le petit journal. Encore quelques millimètres et je l’aurai. Encore un petit effort… ça y est ! Je le tiens et ne le lâche pas.
Témoin du travail minutieux des deux collègues et curieuse comme pas deux, je détache le fil et déroule la merveille pour parcourir les lignes. Je suis privilégiée d’avoir en mains les recommandations d’urgence nationale du Ministère des VVV (Vraies Valeurs de la Vie) descendues du ciel.
Je parcours les articles qui ressemblent à un carnet de bord. Au fur et à mesure que je lis, les mots s’effacent, les phrases disparaissent. Bien que perplexe, j’en comprends la raison : une fois que le passé est vécu, faisons-en un constat juste et passons à la prochaine étape ! Y résider serait nous y enfermer.
Je termine ma lecture et, du journal, il ne reste plus que le titre, Le Petit Journal du Ciel, écrit en lettres dorées soulignées de rouge vif, comme une signature d’or et de sang.
Ces pages redevenues blanches augurent un bien bel avenir puisque le ciel fait confiance à ce peuple ici-bas pour les remplir à nouveau. Soit ! Que la fête, donc la vie, continue !
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