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Le chant des haricots

Je comprends parfaitement votre étonnement devant ce titre apparemment farfelu. Mais je vous assure, il n’est pas imaginé de toutes pièces.

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Alors que je prépare de bons petits haricots verts pour le dîner, tadaaa ! Surprise ! J’entends des oisillons piailler de toute leur force. J’imagine déjà de minuscules têtes avec des duvets collants, des corps frêles, dépourvus de plumes, et des becs ouverts pointant vers le haut. Tel n’est pas ma contrariété devant l’éventualité de découvrir entre des casseroles ou dans un placard de ma cuisine une colonie d’oiseaux naissants. Je prête l’oreille pour trouver l’inimaginable. À droite ? Non. Ils ne sont pas à gauche non plus, pas dans les buffets du bas ni dans ceux du haut. Pourtant, les cui-cui sont bien réels, insistants en plus. Les pauvres, ils cherchent désespérément leur maman-oiseau, qui ne peut plus rentrer puisque les fenêtres
sont désormais closes.

« Mais où sont-ils ? » me dis-je. Je prête une oreille attentive pour me rapprocher du nid
douillet. Là, oui, je me rapproche ; encore plus près ; c’est ça, je brûle. Mais ça chauffe ! ! !
Euh… oui, c’est bien de la plaque à gaz que sort cet étrange chant de désespoir !
Déconcertée, je ne peux que constater que ce sont les haricots dans la casserole qui se
donnent en spectacle tout en se laissant réchauffer et attendrir. Ils poussent la chansonnette alors qu’ils sont sur le feu.

Ces sons inattendus des aliments ne sont pas rares lors de la préparation des repas. J’ai déjà été témoin d’un autre talent d’aliment : celui des « lalos » dans le poêlon qui imitaient une pluie diluvienne. Ces éclats auditifs sont des indicateurs qui guident les bons cuisiniers (je n’en suis pas une, visiblement) pour la cuisson de certains aliments.
Mais en ce qui me concerne, heureusement que le ridicule ne tue pas. Ma pauvre Camille !
« Oreilles imaginatives et sensibles ! » lance avec raison mon époux, bien calé dans son
fauteuil. Il m’entendait m’exprimer, seule, à voix haute. Toujours au fourneau, spatule à la main droite, et la main gauche sur la hanche, ce commentaire me vaut quelques réflexions, sur le sensible et la sensibilité, inspirées par l’écoute d’un podcast de Joël Guibert.

Nous vivons quand même dans un monde où le sensible a pris une très (trop ?) grande
ampleur. C’est tout à fait juste et bon de savoir et de comprendre ce que l’on ressent dans les différentes situations. Il est tout aussi important d’identifier nos émotions, surtout quand nous vivons des événements extrêmes, tragiques ou forts. Poser les mots sur les maux et sur ce qui est beau est une devise en or. L’émotion en soi est naturelle et bonne, alors que l’absence d’émotions ou l’incapacité à les reconnaître ou les ressentir pourraient être source de problèmes. Mais combien de fois entendons-nous le sage et bienveillant conseil : « Fais comme tu le sens ! » Est-ce là une recommandation astucieuse ? C’est à bien y réfléchir… Par exemple, si aujourd’hui on me demandait comment je me sens par rapport à une situation X, je pourrais dire que je suis en colère et que j’ai envie de dire mes quatre vérités au monde entier.

Et demain, puisque je me sens mieux, je dirai que j’ai envie d’assumer cette situation seule, sans rien révéler. Ou encore, aujourd’hui, je me sens seule, et demain, je sens que l’on respecte mon intimité. Je peux un jour me sentir une âme extrêmement généreuse et
m’embarquer dans toutes sortes d’engagements, et le jour d’après le regretter amèrement
parce que ma décision a été prise sous le coup d’un ressenti non discerné. Comment me
sentirai-je alors ?

Autre aspect : lorsqu’on agit comme on le sent, c’est plein de sincérité, ce qui est une qualité essentielle dans ce monde parfois traître. Mais une question me taraude : est-ce que la sincérité, qui relève de ma vérité à un moment précis, marche-t-elle toujours de pair avec la vérité ? L’exemple suivant que donne Joël Guibert vaut son pesant d’or et est bien explicite. Le jour du mariage, un nouvel époux dit à sa dulcinée : « C’est promis, je t’aimerai toute ma vie. »

Cela est sincère, oui. Mais est-ce la vérité ? Par ailleurs, cette dernière doit-elle toujours avoir préséance sur la sincérité ?
Bien philosophique tout cela, et bien loin de moi l’envie de répondre à ces questions, là comme ça, du bout des doigts sur le clavier. Honnêtement, je ne le sens pas ! Surtout que je ne détiens pas la vérité.

Mais de temps en temps, il est bon de se poser des questions, surtout les bonnes. Il est bon aussi et surtout de vouloir se comprendre les uns et les autres. Nous côtoyons les gens, nous mangeons et buvons ensemble, nous rigolons et nous nous amusons ensemble, mais rarement nous entendons leur peine ! Et devant une tentative d’écoute, pleine de compassion, nous pouvons sincèrement leur dire : « Fais comme tu le sens ! » sans savoir ce qu’ils vivent au plus profond d’eux. Et puis, un jour, ils font comme ils le sentent : se jettent d’un immeuble (comme
cette jeune écolière dans la semaine), blessent leur ex-épouse (comme le Bangladais il y a
quelques jours), volent, prennent leur première dose de drogue, claquent la porte et partent, quittent leur travail, déconnent… D’autres prennent des décisions quand même plus joyeuses : se marient sur un coup de passion, prennent un billet d’avion sur un coup de tête, lancent un business en un tour de main, etc. Mais dans ces cas-là, l’histoire ne dit pas si la décision était la bonne.

Bien heureusement, il y a aussi ces sentiments et ces émotions exprimés et entendus qui
sauvent la vie. Il y a ces écoutes suivi de : « Fais comme tu le sens ! » qui aident à prendre les bonnes décisions. Il y a ces gestes qui réconfortent et ces présences qui apaisent.
Waow ! Le chant des haricots m’a amenée bien loin et la mélodie m’a valu un temps de
réflexion rocambolesque. Mais cela valait le coup de faire cette petite danse intellectuelle. Je sens que quelques-uns d’entre vous m’empruntent le pas… ou pas. Bref, faites comme vous le sentez !

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