Quel est «l’argument» dont dispose la Présidente pour contraindre le Premier ministre à surseoir à une décision prise à l’unanimité par le Conseil des ministres ? C’est la question que les Mauriciens se posent à la veille de la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance de leur pays. Une célébration qui, depuis la fin de la semaine, est en train de ressembler à une espèce de farce conçue dans les officines d’une république bananière, où tout peut être marchandé. Revoyons la séquence de l’affaire qui occupe la une de l’actualité locale et qui commence à intéresser les médias internationaux.
Il y a dix jours, l’express publie le relevé des transactions d’une carte bancaire attribuée par Planet Earth Institute — une ONG fondée par l’homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho — à la présidente de la République. Le relevé établit que la carte bancaire a été utilisée une vingtaine de fois par la Présidente, fin 2016, à l’étranger, en particulier dans des boutiques duty free. Un montant de presque un million de roupies a été dépensé pour divers achats de bijoux, de vêtements et de chaussures haut de gamme. Après la publication de l’article, la Présidente nie les faits et met au défi le journal de prouver l’authenticité du document bancaire. Le Premier ministre adjoint, qui avait naguère lu dans les yeux d’Alvaro Sobrinho qu’il était l’honnêteté personnifiée, dénonce la publication du document, sans s’attarder sur les troublantes informations qu’il contient.
On commence alors à s’interroger sur la curieuse pratique présidentielle consistant à utiliser une carte bancaire destinée à financer les activités d’une ONG pour acheter des bijoux, des robes et des chaussures, entre autres. Samedi dernier, la Présidente fait savoir par le ministre Mentor qu’elle avait remboursé toutes les dépenses de la carte de crédit. En ce faisant, elle reconnaît l’authenticité du document bancaire et son ultimatum tombe aux oubliettes des mauvaises stratégies de défense. Dans les jours qui suivent, la Présidente parvient à réaliser un miracle politique : réunifier toutes les oppositions pour réclamer sa démission. Mercredi dernier, la Présidente sort de son silence, se dit victime d’un complot, se pose comme une pauvre femme attaquée, demande à ses “sœurs” de faire entendre leur voix et annonce qu’elle a la conscience claire et ne compte pas démissionner.
Le lendemain, le Premier ministre réunit la presse pour annoncer qu’il a rencontré la Présidente et qu’il est en désaccord avec elle sur son explication de l’utilisation de la fameuse carte bancaire. Il est tellement insatisfait que, dans l’après-midi, il discute de l’affaire au Conseil des ministres qui décide d’entamer les procédures pour destituer la Présidente, qui refuse de démissionner. Deuxième miracle politique : la Présidente réussit à faire l’unanimité contre elle entre l’opposition et le gouvernement ! Le ministre Mentor est chargé d’aller annoncer la nouvelle à la Présidente, qui campe sur ses positions. Elle dira la même chose au Premier ministre, mais vendredi, les sources à l’Hôtel du gouvernement annoncent que la démission aura lieu dans la matinée, ce qui évitera au gouvernement d’entamer les procédures de destitution.
Dans l’après-midi de vendredi, coup de théâtre : le Premier ministre réunit la presse pour une déclaration de moins de trois minutes. Il annonce que la Présidence démissionnera « entre les fêtes de l’indépendance et la rentrée parlementaire. » Mme Gurib-Fakim, que le Conseil des ministres avait décidé la veille de destituer de son poste, ce qui avait été officiellement annoncé et repris par la presse étrangère, reste en poste pour « quelques jours encore » pour présider les cérémonies de l’indépendance ! On pensait qu’avec le temps, Pravind Jugnauth finirait par avoir l’étoffe d’un Premier ministre. Mais son “arrangement” avec la Présidente fait réaliser qu’il en est encore au niveau du tussor !
Ce qui s’est passé au sommet de l’État vendredi dernier ressemble aux pratiques en cours dans certains pays au siècle dernier, où les maintiens en poste se négociaient comme le prix des pommes d’amour au Marché central. Mais en dehors de l’aspect marchandage de cette affaire, qui donne à l’île Maurice l’image d’une république bananière où tout s’achète et tout se vend, reste la question primordiale : quel est “l’argument” dont dispose la Présidente pour contraindre le Premier ministre à surseoir à une décision prise à l’unanimité par le Conseil des ministres ?