— Pourquoi tu as une figure tracassée, comme ça ? C’est parce que l’Angleterre n’est pas en finale de la Coupe du Monde.
— Aio, tu sais bien que je regarde le foot de très loin, moi. C’est mon bonhomme qui ne sait plus où il en est avec sa Coupe du Monde.
— Qu’est-ce qui lui arrive comme ça ?
— D’abord, il était pour l’Italie, puis pour l’Espagne qu’il a remplacée par l’Allemagne et après il a été pour le Brésil…
—… dis-moi un coup : il ne pipe que pour les perdants, ton bonhomme ?
— Quand je lui ai dit ça, il a dit que c’était à cause de moi, que j’avais une bouche cabri, toi. J’ai arrêté de faire des commentaires, ce qui ne l’a pas empêché de supporter l’Angleterre. Tu as vu ce qui s’est passé !
— Dis à ton bonhomme de ne surtout pas jouer au loto ! Quelle est son équipe pour la finale ?
— Il a arrêté de dire. C’est vrai que tous ses amis se moquent de lui. C’est pas chic pour lui, toi.
— C’est à cause de ça même que tu parais décon, comme ça ?
— Non… il m’est arrivé une affaire… j’ai honte… mais je ne sais pas si je peux te raconter…
—… parce que tu n’as confiance en moi. Mari ça ! Et dire qu’on se connaît depuis l’école primaire !
— C’est pas ça… c’est pas que je n’aie pas confiance en toi… mais…
—… mais quoi alors ? Tu crois que je suis capable de causer sur toi derrière ton dos…
—… je ne dis pas ça… mais tu sais parfois une parole peut chaper de ta bouche un coup comme ça…
— Si tu penses ça de moi, alors laisse tomber. Allez bye.
— Hé toi, donc ! Attends… je vais te raconter, mais tu gardes ça juste pour toi, hein.
— Mais oui, toi. Enfin, je ne suis pas une lagazette siffon bleu, tout de même !
— Très bien, je te fais confiance. Lundi dernier, mon bonhomme m’a demandé de verser un chèque à la banque pour lui. Il m’a dit qu’au lieu d’aller faire la queue au comptoir, on pouvait déposer le chèque dans un ATM…
—… mais est-ce qu’il t’a dit que tous les ATM ne sont équipés pour ce service-là ?
— Il a dû me dire, mais je ne l’ai pas écouté. Aio, si je devais écouter tout ce qu’il me dit, jamais je ne finirais, toi.
— Qu’est-ce qui s’est passé alors ?
— Je suis allé à un premier ATM où on m’a dit qu’il fallait aller dans un autre. Je suis allée et là-bas, j’allais mettre l’enveloppe dans la fente de l’ATM quand j’ai entendu une voix…
—… tu as entendu QUOI ?
— J’ai entendu une voix qui sortait de l’ATM.
— A quelle heure c’était ? Tu avais bu ?
— Mais non, toi, enfin voyons ! Il y avait un quelqu’un à l’intérieur de l’ATM, un technicien, je crois, qui m’a dit dit : « Napa mette l’enveloppe, ou pou bloque machine la. »
— C’est pas vrai ! C’est comique. Et c’est cette histoire amusante-là que tu as honte de raconter ?
— Attends un peu, c’est pas fini. Le type qui était dans l’ATM m’a dit qu’il était en train de faire un check et de revenir faire mon versement dans une demi-heure.
— Et alors ?
— Donne-moi le temps de te raconter, foutour va ! Je suis allée faire un tour dans les magasins et je suis revenue à l’ATM et j’ai attendu mon tour. Tu vas pas me croire : la machine a avalé et l’enveloppe et ma carte bancaire d’un seul coup, toi.
— Ça arrive parfois. Qu’est-ce tu as fait alors ?
— Moi, je croyais que le monsieur était encore dans l’ATM et je lui ai dit : « Hé ou la ranne mo cheque ek mo carte ». Comme il ne répondait pas, je me suis énervée et j’ai tapé sur la machine en criant plus fort : « Napa kokin mo carte, ranne moi li mo dire ou ! »
— Ne me dis pas que tu as fait ça ? Et il avait du monde près de toi ?
— Oui, toi. Il y avait une dame et un monsieur. Ils m’ont dit de me calmer, que la machine ne pouvait pas me répondre…
—… tu leur as dit qu’avant il y avait un technicien dans l’ATM…
—… je leur ai dit… ils m’ont répondu : « Oui, oui, calmez-vous, parce que le monsieur est allé ailleurs. » Ils m’ont parlé comme à un enfant, je te dis.
— Aster, je comprends pourquoi tu avais honte.
— Ça, c’est rien du tout comparé au reste.
— Ah bon ! Qu’est-ce qui est arrivé après.
— Ben, le lendemain je suis allée à la grande banque pour récupérer ma carte. Et là, j’ai vu que tous les employés me regardaient d’un drôle d’air. Ils avaient tous un petit sourire moqueur.
— Tu te fais des idées.
— J’ai compris après, parce qu’un ami de mon bonhomme lui a raconté que toute la banque savait ce qui m’était arrivé.
— Ça arrive à beaucoup de personnes de voir leur carte avalée par la machine.
— Oui, mais ces personnes ne menacent pas l’ATM en lui disant : « Hé ou la napa kokin mo carte. Ranne moi li, mo dire ou ! »
— Mais comment l’ami de ton bonhomme a su ce que tu avais dit ?
— Il l’a vu et entendu.
— Il était près de l’ATM ? Ça tu ne m’avais pas dit.
— Il m’a vue et entendue sur la vidéo de la caméra qui surveille l’ATM, comme tous les employés de la banque. Tu comprends pourquoi j’ai honte de raconter cette histoire. Une fois encore c’est à cause de mon bonhomme que je passe pour une folle qui menace des machines !
— Mais qu’est-ce qu’il a fait, le pauvre ?
— S’il était allé verser son chèque lui-même, ça ne serait pas arrivé !
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