Il n’a rien voulu entendre…

Il n’a rien voulu entendre. Il a préféré écouter sa chef de cuisine, les paillassons et les affairistes qui l’entourent, et cela l’a conduit à une déroute qu’il n’aurait jamais pu imaginer. Même dans ses pires cauchemars ! Pravind Jugnauth a été terrassé dans ce qui était considéré comme son fief par trois débutants autant que ses 59 autres collègues, brutalement bottés hors de l’Assemblée Nationale, ce lieu qu’il n’a eu de cesse, depuis 2014, de confondre avec la salle de réunion du Sun Trust.
Il n’a rien voulu entendre depuis qu’il s’est immiscé par l’imposte dans le bureau du Premier ministre, sur l’insistance de sa chef de cuisine et les pressions exercées pour que SAJ se retire en janvier 2017.
Si l’ancien Premier ministre a réussi à rempiler aux élections de 2019, c’était simplement parce qu’il a profité que le PTr et le MMM, les deux premiers partis politiques du pays, aillent en ordre dispersé à ce scrutin.
Il n’a rien voulu entendre de la réalité des chiffres, malgré ses maigres 37% recueillis à la triangulaire de 2019, et il a pris son succès relatif comme un blanc-seing pour asseoir son pouvoir partisan et familial sur tous les leviers de l’État. Les deux-tiers du pays qui étaient contre lui et son MSM, il a choisi de les ignorer avec une arrogance décuplée.
Il n’a rien voulu entendre, alors que, très tôt, durant son mandat, il a eu son premier coup de semonce. Une marée humaine de dizaines de milliers de personnes a, le 29 août 2020, envahi les rues de la capitale dans le sillage du naufrage du Wakashio un mois plus tôt et la marée noire qu’il avait provoqué dans le lagon de Pointe d’Esny.
Il n’a rien voulu entendre lorsque, sous les fenêtres de son bureau au Bâtiment du Trésor, ce même samedi 29 août 2020, était pour la première fois scandé le désormais fameux BLD devenu depuis l’acronyme le plus utilisé durant la dernière campagne l’électorale. C’est d’ailleurs sous des cris de BLD qu’il quittait le centre de dépouillement de Quartier Militaire, lundi dernier, après avoir concédé aller au-devant d’une « grande défaite ».
Il n’a rien voulu entendre parce qu’il a pensé que ses cadeaux, puisés des poches des récipiendaires eux-mêmes, sa présence constante et indécente aux activités socioculturelles – relayée par la MBC et son directeur servile – allaient lui assurer la majorité dans le pays.
Il n’a rien voulu entendre de la colère des citadins lorsqu’à trois reprises, il leur a privé de leur droit légitime de choisir ceux qui dirigeraient leurs villes. C’est parce que Pravind Jugnauth a longtemps pensé que les 4-14 étaient complètement acquis qu’il a, par contre, organisé des villageoises en novembre 2020.
Lorsque les choses n’ont pas tourné en sa faveur, il s’est arrangé pour renverser les majorités élues en faisant ce que son régime a toujours su faire de mieux : exercer des pressions, traquer les proches, acheter et, ainsi, se fabriquer des majorités de circonstance qui ont conduit au cirque permanent, de révocations, de démissions et de procès en Cour qu’auront été, depuis, les Conseils de district.
Il n’a rien voulu entendre de tant d’avertissements, des nombreuses mises en garde de l’opposition, des organisations non-gouvernementales, des syndicats, mais aussi d’organismes de surveillance étrangers qui ont aussi tiré la sonnette d’arme sur un régime en voie accélérée d’autocratisation.
L’ex-PM qui n’a jamais vraiment endossé le rôle d’un chef de gouvernement et qui n’a, finalement, été qu’un petit leader de parti et de clan a, face à la contestation, déployé son arsenal répressif pour faire taire ceux qui élevaient trop la voix, au Parlement et dans la rue.
Il a fait jouer sa machine répressive et oppressive jusqu’au dernier jour de la campagne électorale, pensant que la brutalité lui attirerait des dividendes. Lorsqu’un simple automobiliste décide de dégager la vue d’un rond-point encombré par des oriflammes orange fluo du plus mauvais effet visuel et surtout dangereux pour les usagers de la route, il est interpellé, puis détenu pendant six jours, alors que de vrais bandits et de grands trafiquants bénéficient d’une exceptionnelle bienveillance de la part des autorités et que les assassins de Sooparamnien Kistnen, son propre agent, courent toujours.
Lorsqu’un policier ouvre sa porte à un candidat de l’opposition et qu’il a le malheur de poser une question sur la toile sur une rumeur d’arrivée de bulletins de vote pré-remplis, il est arrêté et détenu toute une soirée, avant d’être remis en liberté conditionnelle.
Tout cela, avec la censure des réseaux sociaux, a provoqué une profonde colère dans la population qui, empêchée de s’exprimer, était déjà exaspérée par les faillites à tous les niveaux de la gestion publique, le Parlement et toutes les institutions, l’Éducation, la Santé, la lutte contre la drogue et la criminalité.
Le mépris pour le peuple aura accompagné Pravind Jugnauth jusqu’au dernier jour. Son choix de candidats a dit beaucoup de ce qu’il est, préférant s’entourer de personnages quelconques, plutôt que des gens capables de réflexion et d’un peu de hauteur de vue.
Proposer ses propres révoqués Vikram Hurdoyal et Ivan Collendavelloo et ses écartés Ravi Rutnah ou Ravi Yerrigadoo, pour ne citer qu’eux comme candidats, et propulser un Sooroojdev Phokeer – viré du perchoir comme directeur de campagne dans trois circonscriptions –, c’est insulter l’intelligence de la population.
Surprenant le résultat du 10 novembre avec une telle toile de fond ? Pour ceux qui croient que les cadeaux font tout, peut-être. La semaine dernière, nous évoquions ce sentiment qui se résumait ainsi « gard to kas, rane nou nou liberté ». Le 27 octobre, nous parlions du sentiment de liberté qui avait soufflé sur le pays, une fois le Parlement dissout.
Durant la campagne, d’autres chaînes visibles et invisibles ont sauté, culminant, après la proclamation des résultats, avec l’hymne national, les chants de la libération et les danses de la communion populaire autour du quadricolore doublement célébré : celui de la nation toute entière et celui des couleurs de l’Alliance du Changement.
Il est des moments comme ceux-là qui créent d’immenses attentes. À charge pour les nouveaux dirigeants d’être à la hauteur de telles espérances.

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