Les Mauriciens sont patients, tolérants, capables d’accepter beaucoup de choses mais une fois que les limites du tolérable sont franchies, ils le font savoir et réagissent. Parfois avec une force insoupçonnée. Ils l’ont fait aux dernières élections générales de la semaine dernière en votant massivement contre le gouvernement sortant, alors que l’on pensait qu’ils étaient malléables et pouvaient se laisser acheter avec une augmentation des allocations sociales ou des pensions. Car il ne faut pas oublier que l’essentiel de la campagne de l’alliance Lepep ne comportait que cet argument : votez pour nous et vous n’aurez plus besoin de travailler grâce à nos diverses allocations . Xavier Luc Duval avait même fait le compte des allocations et pensions : avec les Rs 7000 que promettait l’alliance Lepep, le Mauricien n’aurait plus besoin de travailler pour gagner sa vie, il allait devenir un assisté de l’état. Avec tout ce que ce statut comporte de renonciation à la dignité et au respect de soi. C’est ce mépris de la personne humaine que les électeurs ont sanctionné en envoyant l’Alliance Lepep et ses associés dans le carreau de cannes de la défaite. Ils ont refusé d’être pris pour des gens sans principes, capables de troquer leur devoir civique contre une promesse d’augmentation des prestations sociales. En fin de compte, comme le soulignent pas mal d’observateurs, les électeurs mauriciens ont plus voté CONTRE le programme de l’Alliance Lepep que POUR celui de l’Alliance du Changement. C’est une nuance dont les vainqueurs des élections doivent tenir compte en traitant les électeurs comme des personnes responsables et non pas comme de assistés qui se contentent des allocations sociales. Les premières mesures de l’Alliance du Changement diront si ses dirigeants ont bien reçu le message de l’électorat qui revendique une nouvelle manière, plus moderne de gérer le pays ou s’ils n’ont rien compris en se contenant de suivre les traces de leurs prédécesseurs.
La nomination des ministres va donner une indication claire et nette de la volonté du nouveau gouvernement de tenir la promesse fondamentale dont il a fait le slogan de sa campagne : la changement et la rupture avec les pratiques du passé. La désignation des candidats en respectant ce que Pravind Jugnauth avait qualifié de « réalités électorales mauriciennes » avait indiqué qu’en dépit de leurs discours, les dirigeants de l’Alliance du Changement pouvaient ne pas tout à fait respecter leurs engagements. Est-ce que la composition du futur cabinet ministériel, dont on retarde l’annonce, va également se faire en suivant les réalités électorales : c’est-à-dire le respect des équilibres communaux aux dépends de la compétence et de l’efficacité ? Il parait que les nominations à la tête de l’état vont respecter les équilibres de la représentativité communale. L’annonce, presqu’officielle, que le poste de Speaker reviendrait a Me Shirin Aumeeruddy Cziffra fait craindre le respect de la règle non écrite mais respectée. Si personne ne remet en cause son passé a la tête de plusieurs institutions locales et internationales, on peut se demander si la nomination de Me Aumeeruddy – Cziffra est un signal fort en faveur du changement et de la rupture avec les pratiques du passé ou un respect des équilibres communales a la tête des institutions du pays. Au lieu d’être, comme Navin Ramgoolam aimait a le répéter pendant la campagne électorale, un pont entre le passé et le futur certains pourrait penser que cette nomination , et d’autres encore, pourrait être perçue comme une retour vers le passé excluant les jeunes, qui ont massivement voté pour l’alliance du Changement.
Les partisans de l’alliance du Changement vont sans doute trouver cette chronique prématurée ou déplacée er réclamer que l’on donne un moratoire au nouveau gouvernement avant de commencer a le critiquer. Ils ont tort : ce n’est pas quand un arbuste a mal grandi qu’il faut le redresser, mais avant qu’il ne commence à pousser de travers. C’est pendant qu’on a encore le temps de remettre les choses en place qu’il faut intervenir, avant que les mauvaises habitudes ne soient prises et que la complaisance et le refus de la remise en question ne soient institutionnalisés. Ce n’est pas pour cette manière de faire que les électeurs ont voté massivement pour l’Alliance du Changement dimanche dernier.
Jean – Claude Antoine
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