Avec le premier round des consultations pré budgétaires – soit, avec les partenaires sociaux – bouclé en fin de semaine, un invité surprise, littéralement un Gate Crasher, s’est présenté. En effet, jeudi dernier, le cours mondial du baril de pétrole, qui a épousé la courbe ascendante depuis plusieurs mois, devait franchir un seuil critique. Le Brent Crude, soit l’étalon sur le marché du pétrole, était coté à 78 dollars américains, soit le cours le plus haut depuis novembre 2014, où le litre d’essence à la pompe était au-dessus des Rs 50 à Maurice. Déjà, les yeux sont tournés vers la prochaine réunion du Petroleum Pricing Committee (PPC) de la State Trading Corporation (STC), annoncée dans les jours à venir, en vue de revoir les prix pétroliers au détail. Mais les répercussions des pressions sur le marché pétrolier se feront ressentir à tous les niveaux de l’économie, à un peu moins d’un mois de la présentation par le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, du budget 2018/19. Le fait indéniable est que la Budget Cell et Lakwizinn de l’Hôtel du gouvernement devront conjuguer leurs stratégies avec les risques d’une reprise de l’inflation, séquelle de la hausse des prix pétroliers, mais aussi par rapport à la performance dans différents secteurs, dont les opérations d’Air Mauritius , s’éloignant de la zone de profitabilité ou encore sur la performance positive du Central Electricity Board (CEB). Toutefois, du côté des opérateurs économiques, notamment les entreprises tournées vers l’exportation, les propositions de la Mauritius Export Association (MEXA), visant à Redynamising the Export Potential of Mauritius, en marge des préparatifs budégtaires, revêtent toute leur importance et soulignent l’urgence de la situation.
Dans les prochains jours, l’économie restera suspendue à la décision que devra entériner le PPC de la STC. D’ailleurs, intervenant sommairement lors d’une sortie publique, vendredi, le ministre du Commerce Ashit Gungah a tout simplement parlé de “situation inquiétante.” Il a rappelé que pour les deux précédents exercices du PPC, les prix à la pompe ont été maintenus avec des injections du Price Stabilisation Account. Au début du mois dernier, le déficit du fonds de stabilisation s’élevait à Rs 180,2 millions, laissant croire à l’imminence d’une révision des prix à la hausse après celle de la fin de décembre de l’année dernière.
Ceux qui privilégient la thèse de la hausse à brèves échéances n’hésitent pas à mettre en avant le fait que vu l’aspect incontournable de cette majoration, le meilleur scénario politique serait d’opter pour les prochains jours, au lieu de repousser cette échéance. “L’évolution du cours du pétrole sur le marché mondial indique qu’un renversement de la tendance n’est pas pour demain. Tôt ou tard, les prix devront être rajustés. Mieux vaut le faire maintenant qu’à la veille de la présentation du prochain budget car cette majoration des pétroliers pourrait occulter les mesures contenues dans le budget”, fait-on comprendre dans les milieux proches de Lakwizinn du Prime Minister’s Office.
En cas de décision avant la fin de la semaine prochaine, le Monetary Policy Committee de la Banque de Maurice, qui se réunira vendredi, devra se pencher sur les effets des nouveaux prix pétroliers par rapport à l’inflation pour cette année. Déjà, depuis janvier dernier, la reprise inflationniste se confirme, vu la flambée des prix des légumes en raison des pluies diluviennes. Analysant les dernières données, Statistics Mauritius, qui révèle que le panier de la ménagère (CPOI) a accusé une hausse de 3,8% de janvier à avril de cette année, ajoute que “the headline inflation rate for the twelve months ending April 2018 is thus estimated at 5% compared to 1.5% for the twelve months ending April 2017. Using the linking factor, the year-on-year inflation rate for April 2018, as measured by the change in the CPI for April 2018 relative to April 2017, is estimated at 3,7% inflation.”
Parmi les secteurs à surveiller dans le sillage d’un éventuel rajustement des prix pétroliers, il y a le transport en commun, qui a contribué à hauteur de 3,2% dans la hausse du CPI en ce début d’année. Les compagnies d’autobus, en particulier les opérateurs individuels, poussent régulièrement pour une augmentation du ticket. De toute évidence, ils n’hésiteront pas à revenir à la charge avec leurs réclamations. Toujours dans le domaine du transport, mais cette fois-ci aérien, les perspectives s’annoncent déjà difficiles pour la compagnie aérienne nationale, Air Mauritius.
Les spécialistes en la matière sont unanimes à reconnaître qu’un baril de pétrole au-delà des $ 70 ne fait nullement partie du Profitability Matrix d’Air Mauritius, qui dut concéder une Two-Tier Salary Revision au préjudice des membres du personnel navigant pour tenter de désamorcer une menace de grève, toujours latente malgré tout. Le bilan des opérations pour le premier trimestre de 2018/19, soit d’avril à juin de cette année, et les prévisions pour le premier semestre, se terminant au 30 septembre prochain, devront confirmer l’envergure de la zone de turbulence dans laquelle évoluera Air Mauritius avec ou sans Hedging de sinistre mémoire. Mais tout un chacun s’accorde à dire que “the national airline must expect and be prepared for tough times ahead.”
Tough times ahead
Au sein du CEB, le tableau financier devrait se présenter de manière différente que celui dépeint par le Chairman du conseil d’administration, Mootoosamy Naidoo dans le dernier rapport annuel, disponible sur le Website. “On the financial side, thanks to the falling prices of heavy fuel oil and coal on the world market, coupled with low interest rates on borrowings, the CEB ended the year 2015 with a net surplus of Rs 1,767 M, as compared to a net surplus of Rs 1,436 M for 2014”, écrit le Chairman dans le rapport pour l’exercice financier au 31 décembre 2015.
Les profits subséquents générés par le CEB devaient encore faire preuve de robustesse, avec une pointe de Rs 3 milliards. Depuis le début de cette année, l’équation financière s’avère être en déphasage avec une facture d’huile lourde en ligne avec la réalité du cours mondial du pétrole. Certes, il ne faudra pas s’attendre à voir les mêmes profits dans les livres de compte du CEB, mais cette flambée des prix pétroliers pourrait accélérer le réflexe en faveur d’un poids plus conséquent des sources d’énergie renouvelables à Maurice. La politique déclarée est de parvenir à un Energy Mix de 35% de Renewable Energy d’ici 2025 et la flambée des prix, causée davantage par la géopolitique, découlant du bras de fer entre les États-Unis et l’Iran, accompagné de sanctions économiques des États-Unis, que par la loi économique de l’offre et de la demande, pourrait se constituer en agent facilitateur pour réaliser cet objectif national.
Window of Opportunity
Néanmoins, l’industrie sucrière, qui a été à l’avant-garde de l’exploitation de sources d’énergie renouvelable, avec la bagasse, n’est pas au mieux de ses possibilités avec une production en constante baisse. La bagasse représente 17% de l’Energy Mix avec toute réduction du volume de bagasse pesant lourd dans l’équation du CEB. Des 452 062 tonnes enregistrées en 2008, la production de sucre en 2017 n’a été que 355 213 tonnes, réduisant du même coup le potentiel énergétique à partir des centrales à bagasse. Dans ce cas de figure, difficile pour l’industrie sucrière de prendre avantage dans l’immédiat de cette Window of Opportunity offerte par le bail de pétrole approchant les $ 80 avec d’autres prévisions pessimistes à $ 100.
Toujours dans le contexte des consultations pré budgétaires, Business Mauritius se fait l’avocat pour plaider en faveur de l’élaboration d’un “National Biomass Framework to prepare for alternative sources to replace coal and fossil fuels.” Au préalable, le secteur privé réclame “a clear roadmap, including the assessment of demand and supply in terms of peak and base load for the next five years, as well as commitments in terms of renewable energy, a model that encourages private investment with the necessary review of the legal framework and of the various existing schemes of the CEB to give predictabilty to investors in the sector.”
Décollage
D’aucuns souhaitent que dans ce contexte international avec des incertitudes pesant sur le cours pétrolier, le prochain budget pourrait dévérouiller les investissements dans le domaine de la production énergétique pour faire de Maurice un leader dans la région. Business Mauritius maintient qu’en prélude au décollage des secteurs émergents, comme l’Ocean Economy, ou l’industrie de la santé, “opportunities in three specific sectors could significantly push out the production function, namlely energy, infrastructure and the circular economy.”
D’autre part, le prochain budget pourrait prescrire la thérapie pour faire l’industrie sucrière sortir de sa léthargie conjoncturelle, avec une tonne de canne à Rs 11,000 et même Rs 10,000, selon le Joint Technical Committee,alors que le seuil de rentabilité est de Rs 17,000, élimination des quotas d’exportation sur le marché européen oblige. Depuis la fin de la semaine dernière, le ministre de l’Agro-Industrie, Mahn Seeruttun est en présence du rapport du Joint Technical Committee, préconisant un Turnaround Planpour ce secteur. Vu la composition consensuelle de ce comité avec la présidence assurée conjointement par le PS Goondea du ministère de l’Agro-Industrie et l’ancien Chief Executive Officer de Business Mauritius, Raj Makoond, la mise à exécution des recommandations ne devrait pas présenter de grosses difficultés car il y va de “the immediate, medium and long term survival of the industry” et aussi du tissu socio-économique du pays.
Analyse sectorielle : La manufacture ambitionne 25% du PIB d’ici 2030
Le document de la Mauritius Export Association (MEXA), intituléRedynamising the Export Potential of Mauritius, soumis au Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth, dans le cadre des préparatifs pour le budget, brosse un tableau sans complaisance de la manufacture. L’ambition de ce secteur économique, qui contribue 14% au Produit Intéreur Brut actuellement, est de passer à 25% d’ici à 2030. Consciente du contexte économique, la MEXA souligne que “whether we will reach the 25% mark by 2030 will depend on many economic and structural factors.” Ce mémoire sur le budget fait un survol de la situation et énumère une série de recommandations et de propositions car “it is imperative that we rethink and redefine the competitive advantage of the Mauritian Export Manufacturing Sector at large and that we cannot rely only on our traditional manufacturing philosophy to take us towards this ambitious goal.”
D’entrée de jeu, l’état des lieux du secteur manufacturier reconnaît que “the capabilty of the Mauritian productive sector has been fast eroding” et qu’au cours de ces dix dernières années, ce secteur n’a nullement été gâté en terme de FDI, avec un 0,85%, contre les 26% pour le Real Estate. La carte de visite du secteur des exportations en 2017 se décline comme suit:
— une décroissance de
7 % à 11% dans le textile et la confection
—une baisse de 24% dans le segment des perles et des pierres précieuses
—une réduction de 57% dans la bijouterie
— une croissance de 12% dans le Seafood Hub
— une hausse de 9% dans l’holorgerie
— une amélioration de 3% dans les équipements médicaux, et
— une progression de 9% dans les Textile Fabrics & Yarns.
La MEXA relève un paradoxe pour ce qui est du secteur du Seafood, qui a connu une amélioration de 12% dans les exportations l’année dernière. D’abord, les opérations dans ce créneau ont été affectées par la mise à exécution de la formule de quota pour le Yellowfin Tuna avec la résolution 1601 de l’Indian Ocean Tuna Commission. De ce fait, les conserveries de thon ont tourné au ralenti pendant quatre mois et le problème a perduré au cours des deux premiers mois de cette année. Même si le chiffre d’affaires avec les exportations du Seafood a progressé en raison des prix rémunérateurs obtenus, il demeure non moins vrai que les recettes ont essuyé une baisse de Rs 600 millions l’année dernière.
La situation est encore plus inquiétante au chapitre des débouchés d’exportation. La conclusion de la MEXA est cinglante: “From a market perspective, there has been a drop in our traditional markets, namely United Kingdom and France. But the massive decline of 22% of our exports to the United States market is most worrying.”
Les autres facteurs constituant des handicaps pour les exportations comprennent la roupie forte avec l’”offshore capital flows spilling into the local market”, ce que la MEXA présente comme “a particular strain of Dutch Disease”, les procédures laborieuses pour les Work Permits au ministère du Travail, l’introduction du Minimum Wage de Rs 9,000 par mois à partir de janvier prochain, soit coûtant Rs 400 millions de plus dans ce secteur avec des incidences directes sur la compétitivité.
De l’autre côté du tableau, la MEXA rappelle que la décroissance de 9% de 2016 a été atténuée à 4% l’année dernière avec la perspective d’une stabilisation du secteur des exportations cette année. Une lueur d’espoir se résume à des investissements de quelque Rs 1,6 milliard encourus au cours de ces trois dernières années par cinq opérateurs dans le Textile & Apparel. Les exportateurs continuent à tirer bénéfice des mesures annoncées dans les deux précédents budgets avec “the Speed To Market Scheme benefitting the entire export sector, be it textile and non-textile export companies, irrespective of the size of the company.”
Devant les difficultés des exportateurs pour pénétrer le marché américain, la MEXA prévoit l’extension du Speed to Market Scheme vers cette destination et soumet une requête pour des fonds de l’ordre de Rs 200 millions pour les deux prochaines années. Dans le même souffle, la Marketing and Export Promotion Strategy doit être réorganisée et renforcée avec la MEXA désirant avoir son mot dans les allocations du budget de promotion des exportations.
L’une des composantes de l’Export Transformational Strategy consiste à convertir Maurice en un Regional Textile & Apparel Hub pour l’océan Indien. “Our vision for the textile & apparel sector is to make it become a Fast-Fashion Integrated Textile & Apparel Hub headquartered in Mauritius. We should turn the delocalization process into an opportunity for Mauritius”, propose la MEXA. Pour traduire dans le concret ce projet, la compagnie aérienne national Air Mauritius devra opérer un Low-Cost Cargo Freighter Service entre Maurice et Madagascar avec en complément une libéralisation des services cargo entre les deux îles.
D’autre part, avec l’Africa Strategy, la MEXA signifie son intention de sonder la possibilité d’un Africa Warehousing Project, dont une étude de faisabilité démarrant le mois prochain pour l’ouverture d’un Mauritius Warehouse, sous forme de comptoir de commerce en Tanzanie en vue de desservir un marché régional de quelque 104 millions de consommateurs. Cette démarche vise à combler une importante lacune dans la mesure où “the present product push strategy having a number of structural weaknesses and show a low level of penetration of Mauritian exports into the regional market that are covered mainly by COMSA and SADC member countries.”
Plus loin, la MEXA rappelle par rapport à l’Africa Warehousing que “the project is conceptualized so as not only to act as a warehouse to provide storage facility but to also act as a showcase of Mauritian products. It will focus on importing goods from Mauritian manufacturers and service suppliers with a view to be a wholesale outlet to customers in Tanzania. It will also act as a distribution centre for the above mentioned neighbouring countries.”
Pour se donner les moyens de cette Export Transformational Strategy, la MEXA mise sur un Export Hub Equity Fund de Rs 1 milliard, géré conjointement par le gouvernement et le secteur privé. “The lack of local venture and equity capital is a significant weakness for developing an entrepreneurial eco-system, especially in new sectors. This Fund would attract a new profile of investors to Mauritius as well as allow the emergence of local ambitious entrepreneurs who do not have access to traditional bank finance. However, it is critical that such a fund be managed by professional managers with experience in venture and private equity”, ajoute la MEXA pour soutenir cette approche.
La MEXA revient également sur tout le volet d’allègements fiscaux allant du Waiver pour les droits de douane sur les matières premières à l’exportation en passant par la généralisation de la Corporate Tax Incentive jusqu’à une révision du Grant System for Training and Capacity Building sur le plan des ressources humaines. Ces propositions s’inscrivent dans le cadre des Export Competitiveness Strategies.
Le grand oral budgétaire des ministres et députés
Avec la fin des consultations avec les partenaires socio-économiques, le PM et ministre des Finances Pravind Jugnuath s’attaque au grand oral budgétaire des ministres et des députés de la majorité. À la conclusion, l’échéance de la présentation du budget à l’Assemblée nationale, probablement le vendredi 8 juin, devra se préciser. Ainsi, le coup d’envoi des consultations sur le budget 2018/19 sera donné mercredi. Invariablement, chaque ministre disposera d’une demi-heure pour défendre ses propositions, sauf pour le cas d’Étienne Sinatambou.
Le Deputy Prime Minister et ministre des Utilités publiques Ivan Collendavelloo sera le premier à être reçu par le Grand Argentier avec probablement le dossier de la privatisation de la Central Water Authority (CWA) et également celui de la majoration des tarifs d’eau à l’ordre du jour.
Ce même mercredi verra la vice-PM et ministre des Administrations régionales, Fazila Daureeawoo et le ministre des Affaires étrangères Vishny Lutchmeenaraidoo se présenter au Prime Minister’s Office. Il va de soi quand dans le cas de Fazila Daureeawoo, le projet de développement à Agaléga, dont le G to G Agreement avec l’Inde, devrait être au centre des échanges, même si toutes les procédures d’allocation des contrats relatifs relèvent de la responsabilité de New-Delhi.
Jeudi, six ministres sont au programme, notamment celui de la Techologie, des Communications et de l’Innovation, Yogida Sawmynaden; celui de l’Infrastructure publique, Nando Bidha; Leela Devi Dookhun (Education), Anil Gayan (Tourisme), Anwar Husnoo (Santé) et Ashit Gungah (Industrie et Commerce). Le vendredi est exclusivement réservé à Étienne Sinatambou avec une première demi-heure pour le dossier de la Sécurité sociale et l’autre tranche de 30 minutes pour l’Environnement.
Les consultations sur le budget avec les ministres reprendront le mercredi 23 mai pour prendre fin le vendredi 25 avec Roubina Jadoo-Jaunbocus, juste avant les députés de la majorité, alors que les Private Parliamentary Secretaries sont annoncés pour mercredi après-midi avec une heure d’échanges pour eux.