Du Tac au Tac : Expulsé pour la première fois du Parlement — Fabrice David : « J’ai été surpris par la brutalité et le ton du Speaker à mon égard »

Fabrice David a répondu favorablement à notre demande d’interview Tac-O-Tac, où nous voulions connaître ses états d’âme après sa première expulsion du Parlement, sa vision du budget, du retour éventuel de l’extraction du sable et enfin de la tension dans sa circonscription avec l’arrivée de Jasmine Toulouse, pressentie pour une candidature de l’Alliance de l’opposition.

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Vous avez subi votre première expulsion du Parlement mercredi dernier. Comment avez-vous vécu ce moment ?

J’ai été profondément surpris par la brutalité et le ton du speaker à mon égard. Il m’a ordonné « Diboute ta ! Diboute ta ! » d’une manière que je n’emploierais même pas envers mon chien. Mon expulsion a été rapide, brutale et complètement injustifiée à mes yeux. Cela s’est produit après que le Speaker a menacé la veille les députés de l’opposition de sanctions s’ils ne se levaient pas à son arrivée ou à son départ. Une menace qu’il a mise en œuvre dès le lendemain matin avec moi comme première victime manifeste. Mercredi, je suis resté assis lorsqu’il est entré conformément à notre pratique établie depuis plus de deux ans. Je me suis levé pour l’hymne national, que je respecte au plus haut point, puis je suis resté assis en attendant le Deputy Chairperson of Committees, l’honorable Ashley Ittoo. Je tiens à préciser que mon choix de rester assis n’était pas dirigé contre l’honorable Ittoo, mais visait plutôt à exprimer notre désaccord avec le Speaker et son traitement de l’opposition parlementaire lors des débats.

Vous aviez pourtant des relations plutôt cordiales avec le Speaker, avec lequel vous avez assisté à une conférence internationale d’ailleurs…

Dans le cadre des missions parlementaires internationales, les délégations mauriciennes, composées à la fois de membres du gouvernement et de l’opposition, ont la responsabilité cruciale de représenter un front uni pour défendre les intérêts de Maurice à l’étranger pour assurer une voix cohérente et efficace sur la scène internationale. En revanche, lors des travaux parlementaires à Maurice, nous sommes confrontés à une réalité où les députés sont divisés en deux camps distincts : la majorité et la minorité. Cependant, il est impératif que ces divisions n’entravent pas le bon fonctionnement du Parlement. Le président de l’Assemblée nationale joue un rôle crucial en tant qu’arbitre impartial. Il est également essentiel qu’il s’impose les mêmes normes de discipline qu’il exige des autres parlementaires.

Cette histoire est derrière vous. Dans quel état d’esprit reprenez-vous le Parlement mardi ?

Je retournerai au Parlement dès mardi et observerai l’attitude du Speaker à mon égard. Je suis une force tranquille. Malgré la brutalité et le ton condescendant du Speaker, je suis resté calme et fidèle au code de conduite de l’opposition parlementaire. Je suis prêt et vigilant. Mes collègues et moi continuerons de nous asseoir, comme nous le faisons depuis plus de deux ans. Le comportement du Speaker semble contradictoire et nous interroge sur ses motivations. Que va-t-il faire mardi ? Expulser tous les membres de l’opposition ? Ou rien ? On verra bien. La véritable question c’est pourquoi sanctionne-t-il maintenant l’attitude de l’opposition ?

Vous avez une idée ?

Je crois que le Speaker se venge, car nous approchons de la dissolution du Parlement. Il semble que notre choix de rester assis ou debout le dérange profondément, bien plus que ce que je pensais initialement. Il semble avoir attendu la dernière ligne droite avant la dissolution pour nous sanctionner et se faire justice.

Vous avez critiqué le gouvernement actuel pour sa gestion économique. Quels sont, selon vous, les principaux échecs de la politique économique du gouvernement MSM au cours de la dernière décennie ?

Effectivement, c’est un bilan de 2014-24 sous deux mandats du MSM, avec deux Premiers ministres, père et fils, et trois ministres des Finances. Le constat est criant : la société mauricienne s’appauvrit. Sous la politique monétaire du gouvernement, la roupie mauricienne a dévalué de plus de 35% de manière calculée. En 2014, j’ai souligné dans mon discours sur le budget que si une famille mauricienne avait économisé Rs 1 million, cela équivalait à 33 000 dollars américains. En dix ans, ce même million de roupies est désormais équivalent à seulement 21 000 dollars américains. L’économie de Maurice a fondu de plus de 30% sous le régime du MSM, accompagnée d’une dette d’environ Rs 430 000 par habitant, un fardeau pour chaque nouveau-né. Cette dette publique croissante se traduira inévitablement par des augmentations d’impôts dissimulées, pesant encore davantage sur le contribuable dans un contexte de dépréciation continue de la roupie et d’inflation croissante. Importer 80% de notre consommation signifie que la dévaluation de la roupie rendra plus coûteux tout ce que nous achetons de l’étranger, affectant directement les prix dans les supermarchés, pharmacies et commerces, exacerbant ainsi une spirale inflationniste.

L’extraction de sable pour réhabiliter les plages frappées par l’érosion côtière est une mesure controversée. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous considérez cette décision comme un « retour en arrière » et plus en détail comment l’exploitation du sable perturbe les écosystèmes marins ?

L’interdiction de l’extraction de sable date de 2001 et a été prise par l’ancien ministre de l’Environnement Rajesh Bhagwan. Cette décision reposait sur des études scientifiques montrant les graves impacts sur l’écosystème marin à Maurice. La comparaison avec les Maldives, où les conditions sous-marines sont très différentes, n’est pas raisonnable. Mais surtout pas valables du point de vue scientifique. À Maurice, nos bancs de sable sont plus stables et favorisent l’établissement de la vie marine. Pomper du sable perturberait cet équilibre fragile, affectant les courants marins et détruisant l’écosystème sous-marin sans justification basée sur des études d’impact environnemental claires. Et on va créer un problème et amplifier un autre. Il n’y a pas de logique. Cette annonce budgétaire est basée sur quelles études ? Y a-t-il eu une étude d’impact environnemental ? Si oui, où est le rapport qui nous démontre qu’on peut extraire du sable sans perturber, sans tuer notre écosystème marin ?

Quelles sont les mesures spécifiques, les alternatives que vous proposez pour atténuer ces perturbations et protéger nos côtes ? Comment est-ce que vous envisagez de restaurer nos zones côtières déjà affectées ?

Il est crucial de stopper la pollution provenant des activités humaines qui se déversent dans nos lagons et dans la mer. Cela nécessite une réglementation stricte et un changement de nos pratiques de production et de gestion des déchets, ainsi que de l’utilisation excessive de pesticides et autres produits chimiques qui se retrouvent lessivés dans nos lagons par les eaux pluviales. Il est essentiel de mettre en place des systèmes de filtration en amont pour prévenir la pollution. En outre, il est urgent de reboiser nos espaces côtiers en remplaçant rapidement les filaos par des arbres endémiques qui stabilisent le sable et en replantant des herbiers et d’autres plantes adaptées aux plages pour renforcer leur résistance à l’érosion. Il est impératif de cesser de bétonner nos littoraux et de limiter le développement le long de nos côtes, afin de préserver nos plages dans leur état naturel. Mais il ne faut plus continuer à développer sur nos pas géométriques. Laissons la route, laissons la plage libre, à l’état naturel.

Parallèlement, le ministre des Finances a annoncé l’établissement de 250 fermes coralliennes…

Cultiver des coraux pour restaurer ceux endommagés est bénéfique, mais il est crucial de protéger aussi les coraux existants, car leur croissance et leur rôle dans les écosystèmes marins prennent des années. Les coraux cultivés ont été vulnérables aux cyclones et aux eaux de pluie chargées de produits chimiques, compromettant leur développement. Pour sauvegarder les coraux, il est primordial d’arrêter la pollution par les eaux usées, j’insiste, qui affecte gravement nos récifs coralliens.

Quelles réglementations souhaitez-vous mettre en place pour contrôler l’exploitation du sable dans les lagons ?

Ce budget prévoit d’amender la Removal of Sand Act pour autoriser l’extraction de sable. Il est crucial d’arrêter cette initiative pour éviter les dommages aux écosystèmes. La loi actuelle doit être maintenue, et de nouvelles mesures doivent être légiférées pour renforcer la protection des plages et du littoral, notamment en limitant les constructions qui contribuent à l’érosion côtière.

Dans un autre registre, sur le plan politique, la candidature de Jasmine Toulouse, annoncée au Numéro 1, votre circonscription, semble créer des tensions au sein du PTr et de l’Alliance. Comment accueillez-vous l’arrivée de cette candidate MMM ? Qu’est-ce qui provoque cette divergence d’opinions par rapport à sa candidature ?

Il n’y a aucune tension. J’ai récemment animé une réunion du CLP N°1 où chacun a pu s’exprimer librement. Nous sommes solidaires au sein de notre alliance et nous travaillerons ensemble comme une seule équipe, quel que soit le choix des candidats. Les décisions sur la composition des listes appartiennent à la direction du parti. Je donne évidemment mon avis. Et je respecte les décisions qui sont prises. Notre objectif est clair : gagner ensemble pour éjecter le MSM du pouvoir et obtenir la majorité parlementaire. Je n’ai pas encore rencontré personnellement Jasmine Toulouse. Peu importe qui sera choisi, je suis déterminé à travailler en équipe avec elle ou tout autre autre colistier/ères pour atteindre notre objectif commun : assurer la victoire de notre alliance dans notre circonscription et à travers le pays.

Comptez-vous renforcer l’unité au sein de l’alliance pour les prochaines élections, surtout avec les tensions internes signalées ?

J’apprécie la démocratie pour sa vivacité et sa capacité à permettre à chacun de s’exprimer librement. Comme on dit en anglais, « sometimes we have to agree to disagree. » Je suis optimiste de nature et je prône l’apaisement. Les tensions et les débats sont normaux, car nous sommes tous humains, mais je suis là pour unir et soutenir notre équipe dans la circonscription N°1, rappelant que cette circonscription n’appartient à personne. Chacun est libre de se porter candidat et de faire campagne, dans le respect mutuel et en reconnaissant les droits de chacun. Je le répète, nous n’avons qu’un seul adversaire, c’est le régime MSM.

La mobilisation de l’opposition va reprendre plus intensivement. Mais avez-vous une idée de quand les élections générales se tiendront ?

La date clé est le 21 novembre 2024, date limite pour la dissolution du Parlement, marquant cinq ans depuis les dernières élections de 2019. L’élection partielle prévue en octobre pourrait ne pas avoir lieu, selon moi. Je ne vois pas l’État aller dépenser des millions de roupies pour faire élire un député ou une députée qui ne siégera que quelques jours ou quelques semaines. Ça n’a aucun sens. Je prévois que le Parlement sera dissous avant octobre, potentiellement dès fin juillet, avec des élections possibles fin août, dans le sillage du budget 2024-25, avec ses cadeaux… Quoi qu’il en soit, l’opposition intensifie sa mobilisation en vue des élections. Si les élections devaient avoir lieu le mois prochain, nous sommes prêts….

Kathleen Pierre

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