Le chapitre des auditions de la commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ancien juge de la Cour suprême Paul Lam Shang Leen, est clos depuis mercredi dernier, soit au lendemain des célébrations du 50e anniversaire de l’indépendance et du 26e de la République. Un fait inéluctable : l’ombre du trafiquant de drogue Peroumal Veeren, le prisonnier à la chaîne en or d’une valeur de Rs 1 million, plane de bout en bout sur les travaux de cette commission.
Toutefois, avec le rapport par le Chief Investigating Officer de la commission, l’assistant-surintendant de police Hector Tuyau, document complémenté d’une dizaine d’annexes de damning evidence, la partie est loin d’être réglée pour 17 des 31 hommes de loi ciblés par les enquêtes de la commission, 37 membres de la force policière, dont 11 sont des propriétaires de chevaux au Mauritius Turf Club, 102 officiers de la Prison et deux money changers, entre autres, sans compter 7 029 individus ayant établi des contacts téléphoniques illégaux avec des prisonniers.
Par le truchement de dissemination reports, la commission Lam Shang Leen pourrait réclamer des enquêtes de la part des institutions compétentes, allant de l’Office of the Director of Public Prosecutions (ODPP) dans les cas des members at the Bar, à la Banque de Maurice pour les money changers, en passant par la Financial Intelligence Unit et l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) pour les cas présumés de blanchiment de fonds au terme des différents textes de loi respectifs. En tout cas, dans sa closing intervention publique, Paul Lam Shang Leen a annoncé que le rapport devra être prêt dans deux mois, sous-entendant que la rédaction de ce qui se présentera comme un volumineux document a déjà été entamée.
Le fil conducteur des travaux de la commission d’enquête instituée par la présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, upon the advice de l’ancien Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, le 14 juillet 2005, tourne autour du personnage de Peroumal Veeren, présenté comme le Pablo Escobar local, purgeant une longue peine d’emprisonnement pour trafic de drogue avéré. Tout au long des séances d’audition, au rythme de trois fois la semaine, l’ombre de ce trafiquant de drogue, se promenant avec une chaîne en or d’une valeur d’au moins Rs 1 million dans les couloirs de la prison centrale, a plané. Et pour la dernière séance publique, il ne pouvait en être autrement.
L’ultime charge contre Peroumal Veeren, qui a retenu les services dans le temps de toute une pléiade d’hommes de loi, dont le chef de file présumé est identifié comme le Senior Member at the Bar Raouf Gulbul, qui a dû soumettre sa démission en tant que Chairman de la Gambling Regulatory Authority (GRA), a été donnée par le Chief Investigating Officer de la commission, l’ASP Tuyau. Dans son rapport et sans entamer l’intégrité de toute éventuelle enquête au pénal, celui-ci apporte un éclairage nouveau sur les connexions de Peroumal Veeren et des autres caïds de la mafia, dont Siddick Islam, alias Ner, et l’Africain Christopher Kabinda. Ces trafiquants de drogue, opérant des réseaux à partir de leurs cellules en prison, ont été rattrapés par les mémoires des cartes SIM saisies sur eux. Dans le cas de Peroumal Veeren, deux numéros de téléphone cellulaire, à savoir le 54734577 et le 58549383, ont mis à nu toute sa stratégie et ses liens.
Ainsi, l’examen de l’itemized billing de ces deux numéros révèle 854 contacts téléphoniques avec un numéro spécifique en Afrique du Sud et enregistré au nom de Martha Elizabeth Roux, aussi connue sous le nom de Michelle, et 55 autres fois à un numéro en Tanzanie. Le numéro de téléphone de Michelle Roux en Afrique du Sud figure également dans le karne laboutik du même Veeren saisi vers la fin de 2016. « Instructions to Navind Kistnah » Michelle Roux est fichée à l’Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) car, le 2 juin 2003, elle avait été interpellée à sa descente d’avion au Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport avec 1216 grammes d’héroïne dans ses valises. Le destinataire de cette cargaison de drogue n’était autre que Peroumal Veeren, circulant à moto. Ce dernier fut appréhendé lors d’une opération de controlled delivery de l’ADSU et avait été condamné initialement à 34 ans de prison. Condamnée également, Michelle Roux, qui avait été rapatriée en Afrique du Sud le 18 février 2013, a continué à entretenir des liens avec Peroumal Veeren. La teneur ds messages SMS dans le inbox des téléphones saisis dans la cellule de Peroumal Veeren confirme des instructions et des directives à des complices en liberté pour des opérations de trafic de drogue. Mais les secrets de la mémoire d’un des téléphones cellulaires en possession de Peroumal Veeren s’annoncent compromettants pour Navind Kistnah, en détention dans l’enquête sur la saisie record de 135 kilos d’héroïne d’une valeur marchande de Rs 2,5 milliards, dissimulés dans huit compresseurs.
Avec ce nouveau développement, Navind Kistnah n’a plus aucune chance de bénéficier du statut de star witness dans l’enquête de l’ADSU sur les saisies record de mars de l’année dernière. Jusqu’ici, lors de son interrogatoire marathon à l’ADSU, Navind Kistnah, âgé d 34 ans, a toujours fait l’impasse sur ses liens avec Peroumal Veeren. Or, le rapport de l’ASP Tuyau à la commission contient des preuves irréfutables à ce sujet avec les forensic conclusions de la carte SIM n°54734577 de Peroumal Veeren. Des SMS ont été décryptés émanant de ce dernier à Navind Kistnah au sujet de l’acquisition de compresseurs pour importer de l’héroïne. « The IT report in respect of the said SIM Card contained incriminating SMS which clearly indicated that the prisoner had given instructions to Navind Kistnah who was using SIM Card No 58908051, to purchase equipment (air compressors) for importation of drug », note le document remis à la commission.
Toujours au chapitre des chefs de file du trafic de drogue tirant les ficelles de la prison, que ce soit d’une cellule à la prison centrale de Beau-Bassin ou dans une autre à l’Eastern High Security Prison de Melrose, le rapport Tuyau fait état des agissements de l’Africain Kabinda. Arrêté le 30 juin 2000 pour le délit de trafic de drogue et condamné, ce ressortissant étranger est considéré comme étant encore actif. En 2008, il avait bénéficié de deux transferts de fonds pour un montant de Rs 1 068 004 par le truchement de Maertens Law Chambers en Belgique. Les fonds avaient transité sur les comptes d’une femme, qui avait été arrêtée pour importation d’héroïne en décembre 2013. « On 29 April 2008, the lady had remitted a sum of Rs 50 000 to a barrister.
The said barrister used to visit Peroumal Veeren in jail and had been in communication with the prisoner through phone whilst latter was serving sentence », souligne l’ASP Tuyau, avec l’identité de cet homme de loi sous le sceau de la confidentialité. Mafia partiellement démantelée Mention est également faite du cas de Siddick Islam, le prisonnier avec une importante quantité de Lannate, qui a eu 23 contacts téléphoniques avec le Français Matthieu Blondeau, qui avait été appréhendé le 30 mars 2011 avec 9 984 tablettes de Subutex. Au terme d’un accord bilatéral, le Français avait été rapatrié le 11 décembre 2014. Un autre volet du rapport de l’investigating team de la commission d’enquête porte sur l’utilisation de prête-noms, en particulier des travailleurs étrangers venant du Bangladesh, pour cacher l’identité des parrains lors de l’acquisition de cartes SIM. En parallèle au coup de filet de l’ICAC avec l’arrestation de Laval Pitchee, alias Duke, l’enquête de l’escouade, menée par l’ASP Tuyau, pointe du doigt deux détaillants, nommément Jalil Ur Rahman Baccar et Indira Ramiah.
L’astuce exploitée par les détaillants d’Orange, Emtel et MTML est que le formulaire d’application pour une SIM (registration form) permet de vendre onze cartes SIM avec une seule signature. Aucun client ne semble être au courant de ce détail. Ainsi, pour chaque client, notamment chaque Bangladais, faisant l’acquisition d’une carte SIM, dix autres sont réservées à des trafiquants de drogue. Évidemment, ces cartes de téléphone sont revendues avec une prime aux “jockeys” opérant dans le réseau de trafic de drogue avec la complicité des revendeurs. Un détail, qui n’aura pas échappé à l’attention de l’investigating team est qu’une des cartes SIM en question était au nom d’un attaché affecté à une mission diplomatique étrangère à Maurice. Ce numéro de téléphone avait été utilisé pour entrer en contact avec Jimmy Marthe, alias Colloso, dont le nom est cité dans plusieurs enquêtes de trafic de drogue. Cet aspect des travaux de la commission d’enquête est toujours live car l’agence internationale Interpol a été approchée pour des compléments d’informations sur les contacts à l’étranger identifiés jusqu’ici. À ce jour, seules les autorités au Botswana ont répondu positivement aux sollicitations de Maurice. En guise de conclusion et en attendant le rapport de la commission d’enquête, l’ASP Tuyau note que « la mafia a été partiellement démantelée, et ce, par le biais des enquêtes menées sous la férule de la commission d’enquête sur la drogue. Il reste d’autres réseaux qui sont toujours en activité. »