On comprend maintenant pourquoi, à la surprise générale, le ministre des Finances n’a pas augmenté les taxes sur les produits alcoolisés dans son dernier budget. Ce n’était pas pour faire un cadeau aux amateurs de la bouteille, mais une prémesure pour une stratégie qu’on a vendue au gouvernement comme étant géniale et pouvant rapporter gros : l’instauration de la zéro tolérance, soit l’interdiction de prendre le volant avec une seule goutte d’alcool dans le corps du conducteur.
Pourquoi en effet taxer un produit dont on vise à ralentir la consommation ? À moins que l’on ait — plus vicieusement — misé sur le fait que cette nouvelle loi ne serait pas respectée et que les contraventions, aux montants considérablement augmentés, allaient remporter un jackpot aux caisses de l’État.
Dans la tête des stratèges, ce que le gouvernement pourrait perdre en rentrées de taxes sur l’alcool devait être compensé par ce que le Premier ministre allait gagner en termes d’image du chef qui n’a pas peur de prendre les décisions difficiles. Et en plus, qui oserait s’opposer à un gouvernement vertueux ayant décidé de réduire le nombre d’accidents mortels de la route à Maurice ? Mais le problème dans cette démarche c’est que ces stratèges se sont arrêtés aux dividendes que l’opération était censée rapporter. Ils n’ont pas envisagé ses conséquences négatives, l’impossibilité de l’appliquer et surtout les réactions négatives argumentées.
En effet, une fois le choc de la mesure annoncée passé, les questions et les réactions négatives se sont multipliées. En commençant par la plus importante : est-ce que TOUS les accidents de la route mortels sont dus à l’abus d’alcool ou est-ce que la plupart d’entre eux ne sont pas causés par le non-respect du code de la route et des limites de vitesse ? Une lectrice de notre confrère Le Mauricien a bien résumé le problème dans un courrier dont voici un extrait : « Nous avons un gros souci de mentalité à Maurice. Les gens sont indisciplinés et n’ont aucune considération pour les autres à partir du moment où ils prennent la route avec n’importe quel moyen de transport.
Ils ne savent pas conduire et font n’importe quoi. Ajouté à cela un problème d’infrastructure routière énorme, surtout au niveau des petites routes dans les villes et les villages. Constructions en bordure de route, arrêts d’autobus mal placés, voitures garées n’importe où, pas de trottoirs, nids de poule qu’il faut éviter, et j’en passe. »
Est-ce qu’une partie de ces accidents n’a pas également pour cause la consommation d’autres produits — naturels et synthétiques — qui provoquent l’ivresse ? Comment appliquer cette mesure de zéro tolérance alors que, comme l’a écrit un médecin, le corps humain fabrique naturellement de l’alcool et qu’une cuite de la veille garde longtemps, plus d’une journée, des traces dans l’organisme humain ? Il y a eu aussi comme témoignage celui du vicaire de Port-Louis qui a expliqué que, pour célébrer la messe, les prêtres catholiques doivent boire une gorgée de vin.
Or, trois messes de suite vont donner au prêtre un taux d’alcoolémie prohibé. Faudrait-il pour respecter la loi de zéro tolérance proposer que les prêtres arrêtent de célébrer leur office ? Ne parlons pas des touristes, des restaurants, ni des mariages et autres réceptions — dont certaines données par le gouvernement — où les boissons alcoolisées sont de rigueur.
Face aux réactions qui se multiplient, la mesure choc, qui semblait si géniale dans le discours, est devenue un embarras supplémentaire pour le gouvernement. L’idée de sanctionner la conduite en état d’ivresse est juste, mais il aurait fallu faire campagne pour convaincre au lieu d’essayer de l’imposer de force, comme une menace. Cette question aurait dû faire l’objet d’un débat national dans lequel toutes les parties auraient présenté leurs arguments avant de déboucher sur un consensus. Mais encore une fois, le gouvernement a fait le contraire en annonçant la mesure avant que le débat ne soit lancé.
Encore une fois, les stratèges du gouvernement ont confondu vitesse et précipitation, et ils ont été obligés d’amener la mesure annoncée avant même qu’elle ne soit discutée, en toute première lecture, au niveau du Parlement. Autrement dit, le gouvernement a été obligé de mettre de l’eau dans son vin.