Les habitants des cités EDC ont dû descendre dans la rue une fois encore, vendredi, pour lancer un nouvel appel à l’aide pour résoudre leur problème une fois pour toutes. Cela fait 15 ans que le rapport Addison commandité par le gouvernement d’alors avait fait ses recommandations pour que les maisons construites avec de l’amiante soient démolies et leurs occupants relogés. Pendant que ces pauvres gens survivent dans des logements dangereux pour leur santé et dont les proches sont décédés de maladies liées à la présence de cette substance extrêmement dangereuse, les priorités des décideurs publics semblent ailleurs. S’il est vrai que cette affaire n’a que trop duré et que le précédent gouvernement n’a pas fait grand-chose, celui qui est aux affaires a, lui, décidé de s’embarquer dans des projets qui n’ont rien d’urgent ni d’indispensable. Le Metro Express étant en chantier, il vaut mieux ne plus s’y attarder en attendant qu’il révèle tout ce qu’on a bien voulu nous cacher jusqu’à présent. Oublions aussi pour un moment le Heritage City, enterré avec ses Rs 40 millions qui auraient pu servir à financer une alternative décente aux habitants des maisons amiantées.
Et ce complexe sportif à Côte d’Or ? La seule raison d’être de cette folie est qu’il fallait créer quelque chose de clinquant et de gros dans la circonscription du Premier ministre. L’extravagance va coûter plus de Rs 3 milliards. Alors que les infrastructures existantes auraient pu être remises à niveau, comme cela avait été le cas en 2003 lors des derniers Jeux des îles de l’océan Indien organisés sur notre sol. Et c’est ce qu’ils sont d’ailleurs en train de faire pour pallier le retard du chantier de Côte d’Or qui peine à sortir de terre, lorsqu’il n’est pas le théâtre de tristes accidents et de nouvelles découvertes, comme l’inadéquation des vols par endroit. Le privé étant toujours partant pour ce type de rendez-vos de la jeunesse et du sport, le complexe sportif Sparc à Cascavelle a déjà offert ses bassins au gouvernement pour les compétitions de natation et pour les autres disciplines, il n’y a pas de problème puisque les stades sont là et les autres lieux d’accueil prêts.
Le plus paradoxal dans cette affaire de complexe à plus de Rs 3 milliards, c’est que le sport roi, lui, est laissé pour compte. Abandonné. Et ce sera un recul considérable, une honte nationale si, pour les troisièmes jeux que nous organisons, nous ne décrochions pas une médaille d’or en football comme en 1985 et en 2003. Or, le football, ici, se meurt. La ligue professionnelle qui aurait dû bénéficier du soutien financier du gouvernement n’a vécu qu’une saison, celle des sponsors qui n’ont pas voulu pérenniser l’aventure, faute d’un soutien franc de la fédération et des autorités. Pendant ce temps, nos voisins malgaches et comoriens franchissent un nouveau palier: ils font jeu égal avec des terreurs du continent comme le Sénégal. Pendant que l’on enrichit la circonscription de Pravind Jugnauth d’un complexe où il pourra avoir son nom incrusté dans le marbre, le gouvernement continue de lancer des avis publics pour louer des immeubles en vue d’abriter ses services. S’il mettait seulement le dixième de ce qui va aller à la concrétisation du complexe sportif de Côte d’Or à la construction d’immeubles pour les ministères, ce serait autant de budget de location économisé.
Le contribuable, qui est ces jours-ci harcelé par la Mauritius Revenue Authority, lui-même locataire du privé, l’a peut-être oublié, le montant de dépenses publiques en loyer payé aux bailleurs privés a dépassé le milliard de roupies annuel. C’est le système qui permet à Ritesh Ramful de louer sa maison à Quatre-Bornes au vice-président de la République alors que, quelques mètres plus loin, ce qui devait être la résidence du Speaker a été démoli parce que c’était devenu un danger public et que le gouvernement accorde une allocation loyer au titulaire pour habiter sa propre maison. Il permet aussi au frère du ministre Mahen Jhugroo de louer son bâtiment à Vacoas au ministère de l’Éducation et c’est le même système qui, hier, avait permis de gonfler la caisse du MSM, les bureaux du Sun Trust étant loués à ce même ministère au début des années 1990.
Qu’est-ce qui peut expliquer que le gouvernement loue toujours le bâtiment d’un opérateur privé du transport pour les activités de la National Transport Authority dans un lieu aussi névralgique que Plaine Lauzun? Ce lieu est complètement dépassé et il est de moins en moins fréquenté, les usagers préférant se rendre ailleurs pour les déclarations de véhicules et pour les contrôles techniques. C’est tout cela qui donne à penser que l’absence de toute priorité aux projets qui permettent d’économiser l’argent public, ce qui aurait permis de faire toujours un peu mieux pour le social et la pauvreté, est délibérée. Ce ne sont pas les terrains qui manquent. À Ébène, à part l’achat de deux immeubles du groupe Seeyave par la Sécurité sociale, il y a peu d’infrastructures aménagées pour les services publics. À La Vigie, où il était question de reloger certains services de la police, on a entreposé les rails du futur Metro Express déjà rouillés par le climat humide.
Et lorsqu’on parle de priorité, comment après l’échec programmé de la «réforme» électorale ne pas s’attarder un peu sur la démocratie régionale. Les municipalités, d’une médiocrité encore plus criante que ce que l’on voit à l’Assemblée nationale, sont des antimodèles de gestion, les rues des villes, mal entretenues, sont des sentiers cahoteux, la culture inexistante et le sport en berne. Et on parle des villageoises, qui seront renvoyées comme hier les municipales. Jusqu’à quand ce folklore va-t-il continuer ? Jusqu’à ce qu’on fasse semblant de découvrir que les petits chefs régionaux se comportent comme des ministres et comme de vrais potentats qui s’en vont faire le zougader dans la voiture officielle ? Avant de voir grand là où ce n’est pas nécessaire, il vaut mieux commencer par la base.