Certes, c’était prévisible, inévitable, que l’Alliance Morisien de Sir Anerood Jugnauth, de son fils Pravind et d’Ivan Collendavelloo viennent, à la veille des élections générales, claironner que c’est elle qui a tout fait pour récupérer l’archipel des Chagos à travers des démarches auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies et de la Cour internationale de Justice de La Haye.
Après que Pravind Jugnauth ait passé son temps, cette semaine, à vociférer dans les congrès de son alliance que “c’est nou ki fine gagn Chagos après 50 ans lalit”, que “Navin Ramgoolam n’a rien entrepris dans ce sens”, son père ministre-mentor est redescendu dans l’arène, vendredi soir, pour lui aussi vanter son audace personnelle d’avoir acculé l’Angleterre sur la scène internationale pour obtenir la décolonisation totale de notre pays. Et immanquablement, Sir Anerood et son fils sont allés encore plus loin en mettant sérieusement en doute la capacité de leur ennemi mortel, Navin Ramgoolam, à faire plier Londres pour qu’il nous retourne l’archipel qu’elle a volé parce que le leader des travaillistes locaux est trop “british style” et que SSR son père, de son vivant, avait dit: “Chagos inn fini vandé, sa!”
Évidemment, l’ensemble de la presse doit faire son devoir de rapporter fidèlement les propos tenus sur les caisses de savon durant cette présente campagne électorale. De s’en faire l’écho. Toutefois, à se rendre complice de la récupération, voire de la manipulation des faits, nul ne devrait, à notre avis, être obligé.
Plus que jamais, sur la question des Chagos, tout comme, d’ailleurs, sur d’autres sujets au centre de la campagne électorale, il faut un nécessaire recadrage pour empêcher qu’un camp, qu’un clan ne puisse s’approprier à lui seul les lauriers d’un combat qui, depuis la fatidique Conférence constitutionnelle de 1965, est devenu national et a engagé la résilience, l’énergie et la détermination de tout un chacun conscient dans ce pays de l’enjeu d’une décolonisation complète.
Nous sommes ici de ceux qui contestent et qui continueront à contester, vaille que vaille, la prétention de Sir Anerood, de Pravind Jugnauth – et, le cas échéant, de Navin Ramgoolam, également – que la bataille engagée contre la Grande Bretagne et son acolyte, les États-Unis, pour regagner la souveraineté sur les Chagos est leur chose à eux seuls. Olivier Bancoult et son Groupe Réfugiés Chagos aussi ne devraient jamais se laisser gagner à cette tentation de dire que “c’est nous”, surtout eux qui, jusqu’à la veille de se rendre aux Nations Unies et à La Haye, ont longtemps mené double jeu. Pendant des années depuis leurs deux premiers succès devant la Cour de Londres (en 1999 et le 2 novembre 2000), prenant notre République à contre-pied, ils soutenaient que les Chagos sont des territoires britanniques outremers où ils veulent retourner vivre. Jusqu’à ce qu’ils perdent tous leurs procès subséquents contre Londres, même jusque devant la Cour européenne des Droits de l’Homme et qu’ils aient, contre mauvaise fortune bon cœur, à finalement se réfugier sous le quadricolore mauricien.
“Nou, MSM-ML ki finn regagn Chagos!”, martèle Sir Anerood, repris en cœur par Pravind Jugnauth et Ivan Collendavelloo. Il n’y a rien de plus réducteur dans une confrontation qui demeure, à ce jour encore, des plus épiques dans l’Histoire moderne des Nations. Seuls ceux de nos concitoyens qui ne se sont jamais réellement intéressés au dossier peuvent prendre les paroles de SAJ et consorts pour vérité absolue. Essayer, pour un camp comme pour l’autre, de tirer vers soi toute la gloriole d’un combat consensuel auquel de nombreux mouvements sociaux et individus militants (MMM, Parti Lalit, Les Verts Fraternels, pour ne citer qu’eux) ont contribué à leur niveau est très opportuniste.
Remettons donc sans frayeur, ni faveur, Sir Anerood Jugnauth, son fils et Ivan Collendavelloo, en les rappelant quelques faits qui ne leur feront pas plaisir. Dans le cas de Sir Anerood, il faut remonter à juillet 1965 pour lui rappeler que, alors que toute l’île Maurice était au courant que la Grande-Bretagne allait exciser l’archipel des Chagos du territoire national mauricien pour le mettre à la disposition des Américains pour leur base militaire à Diégo Garcia, l’Independant Forward Block (IFB), parti dont il était leader-adjoint à l’époque, avait pris une position très ambigue qui n’avait rien de patriotique.
Sir Anerood, malgré son âge canonique, a encore trop bonne mémoire pour ne pas se souvenir que quelques jours avant que sa délégation ne se rende à Londres pour discuter de l’avenir constitutionnel de Maurice, l’IFB avait tenu un point de presse pour déclarer ce qui suit à propos des intentions britanniques sur les Chagos:
“Nous savons que l’Angleterre et les Américains veulent créer une base dans les Chagos. Nous, nous ne sommes pas contre. Mais s’ils installent une base nucléaire là-bas pour attaquer l’Inde, ils auront des problèmes avec nous quand Maurice deviendra membre des Nations Unies.”
À l’époque, donc, pour l’IFB, ce n’était pas nécessairement l’intégrité terriroriale de Maurice, futur pays indépendant, qui était une préoccupation première, mais c’était la sécurité de l’Inde, pays alors officiellement non aligné, mais assez en bons termes avec l’Union soviétique, l’ennemi no.1 des États-unis dans le contexte de la guerre froide.
Le positionnement de l’IFB à l’époque fut tellement suprenant pour un parti qui, sous la direction de Sookdeo Bissoondoyal, était connu pour son nationalisme, que lorsque Sir Anerood devint Premier ministre en 1982, devant le Select Committee de l’Assemblée législative mis en place par son gouvernement pour enquêter sur les circonstances de l’excision des Chagos et qu’il eut à en témoigner, Sir Anerood plaida l’amenésie. Jean-Claude de l’ Estrac, qui présidait le comité en tant que ministre des Affaires étrangères, fut bien forcé d’écrire dans son rapport final qu’il ne croyait pas que Sir Anerood avait tout dit de ce qu’il savait réellement
Sir Anerood ne devrait pas essayer, non plus, de faire oublier à une Nation entière que c’était bien lui, sans doute encouragé par Sir Gaëtan Duval, qui, après sa rupture avec le MMM en 1983, s’empressa de mettre fin à la politique de non-collaboration des mauves avec la base de Diégo Garcia. C’est SAJ Premier ministre qui permit en à la main-d’œuvre mauricienne de s’y faire employer et qui, également, autorisa l’exportation d’agrégats vers l’archipel, aidant ainsi à une inplantation durable, probablement définitive, des militaires américains à Diégo.
Il est injuste que l’Alliance Morisien s’approprie seule tout le progrès que la République de Maurice a fait dans le dossier des Chagos à ce jour. Après ce qui a été démontré jusqu’ici sur le contenu de ses coffres-forts, sans aucun doute, Navin Ramgoolam, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas un ange. Mais de là à affirmer qu’il n’a rien fait pour confronter la Grande-Bretagne sur la question de la souveraineté des Chagos est profondément malhonnête. Affirmer cela ne fera jamais de nous un de ses supporters. C’est tout simplement, comme dirait l’anglais, “’to give the devil his due.”
Recadrons encore les Jugnauth, père et fils. Ils sont revenus confortablement au pouvoir entre 2000 et 2005, et ils n’avaient rien fait de décisif sur le dossier à ce moment-là. Il a bien fallu attendre que Navin Ramgoolam revienne à l’Hôtel du Gouvernement en 2010 et qu’il aille l’année suivante faire barrage au projet au Chagos d’un Parc marin exclusivement britannique devant le Tribunal de la Mer des Nations Unies (l’Uncloss). L’Alliance Lepep des Jugnauth – Collendavelloo (aujourd’hui l’Alliance Moricien) n’a fait que de s’engouffrer dans la porte entr’ouverte d’un procès contre la Grande-Bretagne initié par les Nations Unies en vertu du Droit international. C’est alors que Maurice a gagné. C’était, en fait, ce qu’il restait absolument à faire.
“C’est nous MSM-ML qui finn regagn Chagos!” Non, mille fois non, Sir Anerood. Permettez que nous parodions le bon vieux Johnny Halliday: “Pas cette chanson! Ne jouez pas à ce jeu-là!” Faites l’effort de reconnaître aussi la contribution de tous. Celle du MMM qui, dès sa naissance en 1969, a lancé le slogan “Rann nou Diégo” quand tous les gens de votre génération faisaient courbette devant l’Occident, celle des chanteurs engagés, celle des matraqués lors de manifestations d’îloises, celle de la presse – particulièrement notre groupe – qui a publié d’innombrables articles pour conscientiser la population de sa décolonisation partielle contraire au Droit international