Black Friday

Black Friday ! Non, pas cette chose outrancièrement commerciale, encore une, importée des Etats-Unis et qui provoque une inexplicable frénésie et une fièvre acheteuse incontrôlable chez certains. Encore heureux qu’ailleurs des organisations citoyennes et écologiques aient pris l’initiative d’un Green Friday. C’est bien mieux pour nous réconcilier avec l’essentiel, avec la planète.

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Mais, il y a eu bel et bien eu, ici à Maurice, un Black Friday, un vendredi noir pour la démocratie avec le renvoi des élections villageoises pour 2020, alors que le dernier scrutin remonte au 2 décembre 2012. Huit longues années sans un rappel des villageois aux urnes. C’est le temps des deux mandats d’un Barack Obama à la Maison-Blanche.

Un vendredi sombre parce que le projet de reporter les élections villageoises s’est fait dans des officines, loin des regards. On a, pendant toute une semaine, tenté de nous balader en nous envoyant ailleurs, avec l’annonce de textes sur la réforme électorale et la déclaration de patrimoine, tandis que se tramait tranquillement l’immonde, un texte pour un report des consultations villageoises. On n’a pas vu venir la triste manoeuvre.

On essaye de faire passer ce renvoi aussi inexpliqué que honteux au second plan. Les grands stratèges du gouvernement avaient un temps pensé qu’il suffi sait de demander à leur nominé à la State House de signer d’un trait de plume un petit décret reportant cette échéance. Mais la loi c’est la loi. D’où la panique et le secret.

C’est d’ailleurs probablement la première fois qu’un texte est proposé à l’Assemblée nationale sans qu’il en soit fait mention dans le communiqué des délibérations du Conseil des ministres du vendredi précédent. Il faut croire que c’était fait exprès, parce qu’il y a de tout, et surtout de rien, dans ce communiqué du 23 novembre. Et, surprise, la première décision fait bien mention de la présentation d’un projet de loi, mais elle porte sur la création du poste d’Ombudsperson for Financial Services. Pourquoi ce texte est-il mentionné bien qu’il ne sera présenté qu’en première lecture seulement et que le Local Government (Amendment No 2) Bill est passée sous silence ? Alors qu’il sera, lui, considéré sur toutes les étapes le même jour, ce mardi 27 novembre : présentation en première lecture, en deuxième lecture, examen en comité et adoption en troisième lecture et probablement signé le lendemain même par le président de la République, question de parer à toute éventualité, à toute contestation et à prolonger le mandat des 1, 170 conseillers des 130 villages élus le 2 décembre 2012.

Et ce n’est certainement ni un hasard ni une coïncidence que le point de presse de la Sun Trust Team ait eu lieu vendredi, à l’heure où seuls quelques-uns étaient dans le secret de l’entorse à venir à la démocratie. Imaginez le barrage de questions aux porte-parole du gouvernement un samedi matin, lorsque tout le pays aura appris le renvoi du scrutin des villages. Comme quoi, tout a été parfaitement orchestré.

Bien sûr, ce n’est pas le premier renvoi. On en a vu d’autres. Mais renvoyer une échéance électorale est un acte grave en démocratie qui impose un justificatif solide. De 2000 à 2005, il était question de municipalisation de toute l’île, avec 12 mairies, question d’uniformiser la démocratie, d’en finir avec un certain folklore et de donner aux éventuels élus la possibilité d’introduire des impôts locaux pour les plus riches qui vivent dans leurs palais barricadés et qui bénéficient, tout autant que les contribuables des villes, des services comme l’éclairage, l’entretien des routes et un service de voirie.

Des élections villageoises se sont tenues en décembre 2005. Elles ont, comme les municipales, été renvoyées à plusieurs reprises ensuite, le temps pour le ministre des Administrations régionales d’alors, Hervé Aimée, de revoir le mode de scrutin et de fonctionnement de ces conseils. Après des menaces de recours à la Cour Suprême pour la tenue effective des municipales, par deux fois reportées, ce scrutin avait bien eu lieu le 9 décembre 2012, une semaine après les villageoises.

Et devinez qui avait représenté le Front commun des travailleurs sociaux pour saisir la Cour suprême contre le report des municipales en septembre 2012 ? Les avocats Ravi Rutnah et Kaviraj Bhokoree. C’est dire qu’on a hâte d’entendre le député orange mardi sur les amendements de la Local Government Act qui renvoient les villageoises à 2020. D’autant que, cette fois, il n’y a strictement rien pour expliquer ce renvoi, même si le Premier ministre avait, le 25 juin 2018, assuré Rajesh Bhagwan, qui l’interrogeait, que les élections villageoises auront lieu cette année et qu’un item dans le budget fait provision pour la tenue de ce scrutin. Mais nous savons tous quelles sont les véritables raisons de ce qui n’est ni plus ni moins qu’une fuite en avant.

Ce gouvernement n’aime pas les élections. C’est évident. Il en a, apparemment, une frousse maladive. Lorsqu’il a perdu un de ses députés, Roshi Bhadain, il s’est dérobé, il a déclaré forfait. Lorsque ses nombreux ministres et députés, indélicats, n’ont plus leur place à l’Assemblée nationale, le Premier ministre leur demande gentiment de se tenir à carreau et de ne, surtout, pas démissionner et provoquer des partielles. Lorsqu’ils se font menaçants, ils peuvent même décrocher un jackpot de Rs 15 millions de l’Etat.

Avec de telles dispositions, avec une MBC et une police aux ordres, le renforcement des lois sur les réseaux sociaux, il y a lieu de craindre le pire. Fort heureusement que le gouvernement MMM/PSM du premier 60/0 de 1982, avait, dans une de ses toutes premières décisions, amendé la Constitution pour que jamais personne puisse renvoyer des élections générales à Maurice. Sinon, les couards qui font tout pour éviter le jugement du peuple auraient pu reporter ces élections-là aussi. Il est peut-être temps d’étendre cette disposition aux élections régionales, parce que la démocratie, c’est un tout

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