Les salles de cinéma à Maurice se remplissent d’histoire depuis le mercredi 18 septembre avec la sortie du film Ni Chaînes, Ni Maîtres de Simon Moutaïrou avec, entre autres, une centaine de figurants mauriciens.
Nous le savons, l’esclavage est un épisode dramatique de l’histoire mauricienne et, de nos jours, beaucoup d’entre nous, surtout les plus jeunes, ne connaissent pas suffisamment ce pan de notre passé. Mais un passé fait de blessures, de souffrance, d’humiliation et d’injustice, et avec autant de victimes, doit être rappelé et mis en avant sans dissimulation.
Ni Chaînes, Ni Maîtres — que chaque Mauricien devrait voir — montre de manière intense et crue la réalité que vivaient les esclaves sur le sol mauricien. L’histoire nous touche profondément et nous émeut, nous bouleverse, car nous sommes, d’une manière ou d’une autre, tous concernés par cette histoire, si ce n’est par nos racines, elle l’est par celles de nos voisins ou de nos amis.
L’arrogance des maîtres et la soumission contrainte sous laquelle les esclaves vivaient sont écœurantes et révoltantes. Les images nous donnent à voir l’horreur qu’ont vécue les “nègres”, jusqu’à être obligés, entre autres ignominies, de baisser les yeux en signe de respect, alors même qu’ils étaient traités de bêtes. Meurtris dans leur âme, meurtris dans tout leur être.
Meurtris dans leur chair à vif, en sang, ils étaient laissés-pour-compte, comme des animaux, traités comme un bien de consommation. Insupportables étaient les actes de torture et de fouettage. Leurs cœurs déchirés criaient intérieurement la révolte ou espéraient, éperdument, l’affranchissement.
Humiliés, ils étaient privés d’humanité. Humanité volée, violée, détruite. Déshumanisés, réduits à rien, rabaissés comme des choses vulgaires, sans cœur, sans sentiments, sans émotions, sans pensées, sans âme…
Venus là comme esclaves pour enrichir les maîtres, ils côtoyaient la souffrance sous le doux soleil de Maurice, à l’ombre des feuilles d’un vert tendre de la canne à sucre.
Jetés là, à la merci de la servitude, mendiant désespérément la liberté au plus profond d’eux, la seule richesse que, sans doute, ils réclamaient.
Alors que les uns faisaient leur chapelet sans actes d’amour à l’abri de leurs origines blanches et de croyances perverties, sûrs d’avoir la bénédiction de Dieu (vraiment ?), l’amour liait ceux-là même qui ne vivaient qu’en mode de survie.
La rage au ventre, l’obéissance au bout du fouet, l’espérance de pouvoir se sauver, s’échapper, fuir. Oui, fuir pour pouvoir vivre. Vivre même s’il s’agissait de se jeter du haut de la montagne du Morne. Se jeter corps et âme pour sentir la liberté dans ce vide mortel, plutôt que de subir le dénigrement ainsi que l’étouffante et insupportable oppression. Mourir librement pour pouvoir vivre autrement, plutôt que vivre comme des bêtes et mourir en soi en vivant l’enfer.
Sans nul doute qu’il y ait eu des esclavagistes qui se sont battus pour que cesse cette atrocité, mais l’histoire est là, si abominable qu’elle soit. L’histoire du vécu de ces hommes et femmes abîmés, presque anéantis, a été transmise de génération en génération. La peine a traversé des familles jusqu’à rejoindre notre présent.
Alors que nous devrions courir voir ce film de manière recueillie, soyons conscients que des Mauriciens ne veulent, ne peuvent pas, le voir, encore révoltés, écorchés, au plus profond de leur âme. La mémoire de ce passé ignoble est présente en eux. Ils ne veulent pas oublier. Ils ne le doivent pas non plus.
Est-ce utile de souligner ici que le sentiment d’injustice est toujours sensible, voire perceptible pour certains, même à ce jour ?
Nombreux sont les Mauriciens à encore se sentir dominés ; plus rares, mais présents aussi sont ceux qui se positionnent en maîtres absolus.
Jusqu’à présent, Ni Chaînes, Ni Maîtres a ému plus d’un dans les salles restées dans un silence pesant et bouleversant à la fin du film. Il faut quelques bonnes secondes, voire quelques minutes pour sortir de cette union ressentie, cette compassion et ce rappel identitaire, à la mémoire des ancêtres de notre île.
Le temps est, peut-être, à la mémoire, à la reconnaissance, au pardon et surtout à la réparation pour l’île Maurice, afin que l’amertume du passé laisse place à plus de douceur et de respect dans notre présent.