— « Je condamne les actes terroristes commis par le Hamas le 7 octobre, mais je ne qualifie pas le Hamas de groupe terroriste »
— « On fait subir aujourd’hui aux Palestiniens le même sort que les juifs chassés de partout pendant la Seconde Guerre mondiale ! »
Notre invité de ce dimanche est l’ancien ministre des Affaires étrangères Arvin Boolell. Dans cette interview réalisée jeudi, il partage son analyse sur la guerre entre Israël et le Hamas qui est en train de détruire la bande de Gaza en tuant des civils par centaines. Pour Arvin Boolell, la seule issue à ce conflit, qui risque d’embraser le Moyen-Orient avec des répercussions sur le monde, est le retour à la solution des deux États ratifiée aux accords d’Oslo de 1993. Accords rejetés par l’actuel Premier ministre israélien.
O Commençons par un rappel historique. En novembre 1947, l’assemblée générale des Nations Unies adopte une résolution pour un plan de partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe, résolution qui est rejetée par les pays arabes de la région. Le 14 mai de l’année suivante, l’État d’Israël est créé et se développe, notamment en agrandissant son territoire au fil des guerres israélo-arabes qui vont suivre. Ces terres vont être attribuées aux colons qui vont créer des kibboutz pour les exploiter. En 1967, l’Organisation de Libération de la Palestine accepte le partage en deux du territoire de l’ex-Palestine et une résolution est adoptée à l’ONU octroyant 22% du territoire à la Palestine et le reste à Israël. Quelle a été la position de l’île Maurice, qui devient un État indépendant une année plus tard, sur cette résolution ?
— Permettez-moi également de faire un rappel des faits. En 1968, à peine sorti du joug colonial et dépendant au niveau économique des traitements préférentiels, sir Seewoosagur Ramgoolam, le premier Premier ministre mauricien, a osé, malgré les pressions des Britanniques et des Américains, reconnaître la République de Chine et se prononcer en faveur de la résolution de 1967 instituant deux États sur le territoire de la Palestine. Il fait rappeler que SSR et le PTr faisaient partie de l’Internationale Socialiste et du Mouvement des Non-Alignés qui ont soutenu la politique de décolonisation de l’Afrique. Dans ce contexte, Maurice a toujours milité pour une solution juste et équitable, c’est-à-dire la two-state solution de la Palestine. La position de l’île Maurice sur ce sujet a toujours été claire et nette. La dernière étape du processus de décolonisation avec la fin de l’apartheid en Afrique du Sud a donné une nouvelle dimension au combat pour l’instauration de deux États en Palestine. Tout en reconnaissant les droits des Palestiniens, il ne faut pas oublier ce que les juifs ont subi pendant la Seconde Guerre mondiale de la part de l’Allemagne nazie.
O Donc, Maurice fait partie des 139 pays qui ont voté en 1993 pour la résolution des Nations Unies recommandant la création de deux États en Palestine ?
— Mais bien sûr, puisque sur cette question, il y a toujours eu permanence de l’État mauricien depuis l’indépendance.
O Mais Maurice n’a jamais autorisé l’ouverture d’une ambassade, d’un consulat ou d’un bureau de l’OLP à Maurice ?
— Non, parce que la Palestine n’est pas un État indépendant. Il a un statut de membre observateur à l’ONU, où il ne peut pas proposer de résolution et n’a pas le droit de vote. Je vous rappelle que nous sommes tenus d’agir de manière collective et ordonnée avec les organisations internationales dont nous sommes membres. Le seul pays non arabe qui a autorisé l’ouverture d’un bureau de l’OLP sur son territoire est la France. Mais depuis ces dernières années, les données géopolitiques ont fondamentalement changé : il y a, par exemple, aujourd’hui, plus de pays alignés que non-alignés ; des institutions internationales comme l’OMC, le G7 et le G20 ont été créées ainsi que les BRIC. Le paysage géopolitique est en train d’être redessiné, des pays émergents sont en train de devenir de grandes puissances, les anciennes grandes puissances n’ont plus le rôle, l’importance qu’elles avaient autrefois sur la marche du monde.
O Vous dites qu’il faut agir collectivement. Mais comment expliquer, justifier que la communauté internationale a accepté que plus de deux millions d’êtres humains aient été enfermés dans la bande de Gaza depuis des années, ce qui a fini par provoquer l’explosion actuellement en cours ?
— Parce qu’en 1997, les Israéliens ont choisi comme Premier ministre un réactionnaire, je parle de Benjamin Netanyahu, qui, dès qu’il a été élu, a rejeté les accords d’Oslo de 1993, et mené une politique décrétant que la Palestine est la propriété des juifs. En ce faisant, pour soutenir la droite et l’extrême droite israélienne, il a volontairement oublié que la population israélienne comprend plus de 20% d’Arabes, de chrétiens, etc. ! Parce que les États-Unis, superpower à l’époque, n’ont pas compris une réalité : que ceux qu’on appelle aujourd’hui terroristes peuvent devenir demain des dirigeants. Il y a eu également des attitudes et des décisions provocatrices — Trump décidant de transférer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem ; ville qui fait l’objet d’un contentieux entre juifs et Palestiniens, et rejette les positions prises par son prédécesseur Barack Obama. L’implantation des colonies juives dans les terres reprises aux Palestiniens relève de l’apartheid. Les États-Unis ont eu, vis-à-vis d’Israël, un seuil de tolérance excédentaire.
O Et quid du seuil de tolérance excédentaire des pays arabes voisins ? Ils ont eux aussi laissé faire Israël…
— Pour d’autres raisons. Ils ont peur de donner asile aux Palestiniens, de crainte que cela ne vienne perturber les équilibres politiques dans leurs pays. Ils ont laissé faire en pensant à leurs propres intérêts politiques. Ils ont eu peur du fait que les Frères Musulmans qui avaient pris le pouvoir en Égypte étaient soutenus par pas mal de Palestiniens réfugiés en Égypte. Ils ont eu peur de ce qui s’est passé en Cisjordanie avec les réfugiés palestiniens. Et puis, il y a le fait que l’Iran est perçu comme encourageant les mouvements comme le Hamas…
O On dit même que l’Iran finance ces mouvements…
—Ce qui reste à être prouvé. Mais la situation dans cette région du monde est beaucoup plus compliquée et complexe qu’on l’imagine. Pour contrer l’OPL, quand Netanyahu arrive au pouvoir, non seulement il rejette les accords d’Oslo, mais utilise le Qatar pour financer le Hamas. Et du coup, le Hamas a obtenu 44% des suffrages aux élections qui ont eu lieu à Gaza et a un nombre conséquent de députés au Parlement. Du coup, les terroristes d’hier sont arrivés au pouvoir aux élections… grâce au soutien d’Israël !
O En fin de compte, tous les blocs de pays et les pays de la région se sont servis des Palestiniens pour leurs propres objectifs politiques…
— Vous avez raison. On a parqué les Palestiniens, on les a enclavés dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. On leur fait subir aujourd’hui le même sort que les juifs chassés de partout pendant la Seconde Guerre mondiale ! Le problème c’est que les Israéliens ont oublié les souffrances de leurs aînés et ne pensent qu’à une chose : la vengeance. Ils sont en train de faire subir aux civils de Gaza exactement ce que les juifs ont subi pendant la Seconde Guerre mondiale.
O Je vais maintenant vous poser la question qui fait débat dans les instances et la presse internationale. Après ce qu’il a fait le 7 octobre dans certains kibboutz en Israël, faut-il désigner le Hamas comme un groupe terroriste ?
— Je condamne les actes terroristes commis par le Hamas le 7 octobre, mais je ne qualifie pas le Hamas de groupe terroriste. Remontons dans l’histoire : c’est grâce à l’OAS que l’Algérie a obtenu son indépendance. C’est à travers l’IRA que l’Irlande a mis fin à la guerre qui le ravageait. N’oubliez pas que Nelson Mandela a été longtemps considéré comme un terroriste aux États-Unis avant de mettre fin à la politique d’apartheid en Afrique du Sud…
O Vous êtes en train de comparer le leader du Hamas à Nelson Mandela ? !
— Je rappelle simplement qu’à un moment de leur histoire, ils ont été qualifiés tous les deux de terroristes ! Menahem Begin a, lui aussi, été qualifié de terroriste et Ariel Sharon de bourreau d’Israël, ce qui n’a pas empêché l’un et l’autre d’occuper les fonctions de Premier ministre d’Israël. Je rappelle que le Hamas détient le pouvoir dans la bande de Gaza grâce à Israël, qui a voulu se servir de lui pour mettre hors jeu l’OLP. Ce sont des faits qu’on oublie de mentionner dans les débats autour de la question. On a laissé faire et les organisations internationales ont failli à leur tâche. Heureusement que le secrétaire général des Nations Unies continue à élever la voix et qu’il est soutenu par la communauté internationale
O C’est vrai qu’il prend la parole. Mais à quoi sert cette prise de parole, dans la mesure où ça ne change rien du tout ? Dire que Gaza est devenu un cimetière d’enfants n’empêche pas Israël de continuer ses bombardements et les pays occidentaux à appeler à un cessez-le-feu alors que la guerre continue…
— Les États ne réagissent peut-être pas suffisamment, mais leurs populations descendent dans la rue. Et je ne parle pas seulement des populations des pays arabes ou musulmans, mais des manifestations qui ont lieu tous les jours en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Et là il faut souligner que le Commissaire de police britannique a autorisé une manifestation en faveur des Palestiniens en dépit du fait que le gouvernement voulait l’interdire. Ce qui donne une idée de la manière dont fonctionne un vrai commissaire de police dans une démocratie ! Il faut aussi dire et redire que ce qui se passe à Gaza ne concerne pas que les musulmans, mais que c’est un crime contre l’humanité, une violation quotidienne par Israël des lois internationales. Le problème est que si on continue à laisser faire, les lois ne seront plus respectées et chacun se sentira libre de faire ce qu’il veut, d’annexer les territoires qu’il veut et de les bombarder quand ça lui chante. Il ne fait pas oublier que la bande de Gaza et la Cisjordanie ont tous les éléments nécessaires pour devenir une poudrière qui peut éclater à la face du monde si on n’éteint pas la mèche qui y mène.
O Quand les pays occidentaux, en commençant par les États-Unis, disent qu’Israël a le droit de répliquer à l’attaque du Hamas au nom de la loi du talion, n’ont-il pas donné un chèque en blanc à Israël ?
— Ce sont ces prises de position juste après le 7 octobre qui ont fait beaucoup de pays du Sud affirmer que l’Occident soutient Israël. C’est vrai qu’il y a une contradiction entre le fait que ces pays disent qu’Israël a le droit de riposter par les armes et font, dans le même temps, appel à une attitude humanitaire et à un cessez-le-feu.
O Il y a, dans la situation actuelle, un élément dont on ne parle pas : ce qui se passe à Gaza — et en Ukraine — est tout à fait productif pour les pays où sont fabriqués les armes qui y sont utilisées…
— C’est une question fondamentale, posée depuis longtemps, à laquelle personne ne répond. Ne veut répondre.
O Existe-t-il une solution au conflit armé israélo-Hamas dans la bande de Gaza ?
— Il n’en existe qu’une : que chaque pays utilise sa voix au sein des Nations Unies pour obliger à un cessez-le-feu immédiat puis à la mise en application des accords d’Oslo. Il faut que les pays assument leurs responsabilités. Il faut revenir aux accords d’Oslo, qui avaient défini en termes clairs le partage de la Palestine en deux pays. On ne peut pas accepter que 2,2 millions d’habitants soient casés dans un goulag, un « overcrowded barracoon » pour reprendre une expression célèbre, une enclave qui est aujourd’hui sans eau, sans électricité, sans produits pétroliers pour faire fonctionner les hôpitaux, sans vivres pour nourrir ses habitants.
O Comment ne pas être cynique quand on constate qu’une majorité de pays votent des résolutions pour mettre fin à la guerre et que ces résolutions ne sont pas mises en pratique ? Face à cette situation, comment ne pas penser que les Nations Unies ne servent pas à grand-chose, en dehors des prises de parole de son secrétaire général. Est-ce qu’un système où cinq pays peuvent opposer un veto à tout vote de la majorité des pays membres —veto souvent utilisé — correspond à la réalité du monde d’aujourd’hui ?
— Le système est dépassé, sclérosé, cela ne fait aucun doute. Des pays et des blocs ont émergé et ils doivent être équitablement représentés dans les instances des Nations Unies, dont le conseil de sécurité. Sans aller jusqu’à dire que les institutions comme les Nations Unies ne servent plus à rien, il faut les réformer comme les autres institutions, par exemple le FMI et la Banque mondiale, qui sont copiés sur le même modèle.
O Après l’invasion russe en Ukraine, avec la guerre que mène Israël contre le Hamas, détruisant Gaza, est-ce que le fossé entre les pays occidentaux et le reste du monde n’est pas en train de se creuser davantage ?
— Ce clivage ne peut pas, ne doit pas s’étendre parce que ce n’est l’intérêt de personne. Le monde est aujourd’hui interconnecté par la politique, l’économie, la technologie et les institutions ne peuvent pas rester statiques, mais évoluer avec le nouveau paysage géopolitique et social. Aucun pays ne peut avancer, évoluer en isolation des autres et nous l’avons vu récemment avec le Covid, le changement climatique, la lutte contre le terrorisme, la pauvreté. La solution à ce conflit et à tous les autres d’ailleurs passe obligatoirement par la paix. Dans le cas de Gaza, la solution passe par la paix, mais à travers la solution des deux États adopté à Oslo et ratifié par une majorité des pays membres des Nations Unies.
O Comment faire pour imposer cette solution à Israël, dont le Premier ministre a dénoncé cet accord !
— Il faut que tous les pays, en commençant par ceux que l’on dit les plus puissants de la planète, œuvrent pour la paix en évitant de provoquer des étincelles. L’Occident doit faire comprendre à Israël que son soutien n’est pas inconditionnel, mais sujet au respect de certaines conditions. L’Occident doit arrêter de donner l’impression qu’il est pro-israélien et tout faire pour éviter l’étincelle qui peut devenir une poudrière et embraser le Moyen-Orient et du coup le monde entier. La solution passe obligatoirement par la négociation.
O Vous pensez sérieusement que des représentants du gouvernement israélien et du Hamas pourraient un jour s’asseoir à la même table et négocier ?
— Qui aurait imaginé avant 1993 que Menahem Begin et Yasser Arafat pourraient se serrer la main à Oslo en présence de Bill Clinton ? Qui aurait imaginé qu’un jour Nelson Mandela et Frederik de Klerk puissent s’asseoir ensemble et mettre fin à l’apartheid ?
O Vous n’êtes pas choqué que le terroriste d’hier et d’aujourd’hui puisse devenir le libérateur de demain ?
— Que je sois choqué ou pas, c’est la réalité de l’histoire. Le Hamas est une organisation condamnée par la communauté internationale, mais en même temps, il a une légitimité à Gaza, qui lui a été conférée par des élections qu’il a gagnées avec le soutien d’Israël à travers le Qatar !
O Finalement, le Hamas a piégé Israël, les pays voisins et la communauté internationale et a réussi à mettre sur la table un sujet dont on ne voulait pas trop ou pas du tout parler : le problème palestinien. Quel devrait être la position de Maurice aujourd’hui ?
— Continuer sur la ligne politique définie par SSR et appliquée depuis : soutenir les institutions internationales, comme les Nations Unies, pour la two-state solutions en Palestine.
O Qu’avez-vous à dire sur les incidents qui ont eu lieu à La Citadelle ?
— Personne à Maurice et sous n’importe quel prétexte que ce soit ne doit et ne peut déranger la paix publique, et tous ceux qui l’ont fait et le font doivent être condamnés.
O C’est exactement ce que dit le Premier ministre. Donc, vous le soutenez ?
— Je ne soutiens pas le Premier ministre, mais tous ceux qui militent pour la paix et l’harmonie dans notre pays. Puisque vous parlez du Premier ministre, je dis qu’il ne faudrait pas qu’il crée des étincelles par son langage et les mots qu’il utilise. Il doit tenir le langage d’un chef d’État, pas celui d’un chef de parti, ce qui lui arrive souvent.
O Une question sur l’actualité locale : que pensez-vous du dernier sondage qui révèle, qui confirme même, qu’un nombre important de Mauriciens réclame de nouveaux partis et de nouveaux politiciens ? Votre réaction ?
— What new Pussy cat ! Un sondage, c’est la photographie d’un moment, mais il y a des leçons à tirer de ce que cette photographie indique sur le mood des sondés. Au PTr, on ne peut pas vivre avec le statu quo, mais il faut réinventer le parti en tenant compte de tous les changements survenus, dont le changement démographique. Nous devons évoluer avec le temps. Je plaide pour une transition, une transformation et une transmission des valeurs qui reflètent en général le sentiment général exprimé dans le sondage
O Ce sondage dit que le MSM est le principal parti politique du pays…
— Mais avec quel pourcentage ?
O Dois-je vous rappeler que c’est avec un faible pourcentage que le MSM et ses alliés ont remporté les dernières élections ?!
— C’est pour cette raison que ce que nous appelons les main political parties du pays ont conclu une alliance, pour que la situation de 2019 ne se répète pas. Je souligne que cette alliance n’a pas été conclue juste pour prendre le pouvoir — je vous rappelle que le sondage dit que l’alliance de l’opposition remporterait les élections —, mais aussi et surtout pour reconstruire le pays. Pour lutter contre la mentalité de rentier qui est en train de s’imposer dans le pays par le gouvernement qui se contente de gérer au lieu de prendre des initiatives, d’encourager de nouveaux projets pour préparer l’avenir. Nous devons transformer le brain drain en brain gain en offrant des incentives à nos jeunes pour qu’ils restent ici et travaillent à l’avancement du pays. Nous travaillons sur notre programme gouvernemental en tenant compte des suggestions du public que nous avons demandées et obtenues. On peut faire de Maurice un great little country et avec l’aide de tous les Mauriciens, l’alliance de l’opposition va le faire.
Jean-Claude Antoine