Et si on s’attelait de toute urgence à réformer la mère de toutes les institutions ? Question saugrenue ? Non. On ne peut pas, on ne peut plus laisser l’Assemblée nationale s’enfoncer, mandat après mandat, dans une telle médiocrité. Dans ce qui, au fil des années, est devenu une véritable caricature de la démocratie. Tout est à refaire. En attendant la réforme électorale qui ne viendra pas au cours de cette présente mandature, il faut s’attaquer en priorité au fonctionnement de ce qui est considéré comme le temple de la démocratie: le Parlement.
Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont intérêt à y réfléchir parce que, s’ils profitent aujourd’hui de leur position dominante et qu’ils décident de tout et surtout de ce qui les arrange, ils se retrouveront demain, inévitablement, dans l’opposition. De l’autre côté. Et ils vont regretter amèrement de n’avoir rien fait pour améliorer le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Pour la rendre plus transparente et plus conforme à une démocratie moderne.
Les Standing Orders d’abord, la bible qui régit les procédures internes. La dernière révision, datant de 1995, qui visait à mettre un peu d’ordre dans un Question Time qui pouvait durer plus de quatre heures, a, dans un certain sens, été poussée dans un autre extrême qui privilégie clairement l’exécutif au détriment du législatif. Il y a aussi dès lors tout ou presque à revoir. À commencer par la fréquence des séances. Aujourd’hui, c’est souvent sept mois travaillés et cinq mois chômés, ce qui explique les interminables courses contre la montre et les séances de nuit, les énervements et les walk-outs. On peut envisager qu’à l’avenir un calendrier de dix mois dans l’année avec deux séances par semaine soit fixé. Cela favoriserait un débat démocratique beaucoup plus sain que le spectacle affligeant qu’il nous est donné de voir.
Comme dans d’autres démocraties, on pourrait aussi, à défaut d’un conseil constitutionnel ou d’un sénat, qui agissent comme des garde-fous aux dérives d’un législatif aveugle et entêté, avoir un système de commissions mixtes sur des projets de loi fondamentaux afin que le texte abouti reflète le consensus. Ces commissions pourraient aussi avoir pour attribution de nommer les directeurs d’organismes publics trop souvent des agents corrompus qui servent à amasser les prébendes pour leurs patrons.
Aujourd’hui, le gouvernement vient avec un texte, souvent mal ficelé et l’attitude invariablement adoptée est que c’est à prendre ou à laisser. On n’a aucun souvenir récent que des amendements, souvent de bon sens et valables, proposés par l’opposition ou même un backbencher de la majorité, qui aient été acceptés par le gouvernement. Le fameux adage westminsterien selon lequel « government has its way and the opposition has its say » a longtemps été battu en brèche. Tout le monde le voit en direct aujourd’hui, c’est plutôt « all way » pour les uns et « no say » pour les autres. Or, un Parlement sur mode revisité devrait être une source de plus grande sérénité, non seulement dans l’hémicycle, mais dans le pays tout entier. Les Mauriciens en ont vraiment marre de ces incidents à répétition suivis de points de presse des partis adverses s’accusant mutuellement d’avoir fauté. Dans le contenu, il y a d’abord les langues autorisées, l’anglais et le français, auxquelles aurait dû avoir aussi été ajouté le mauricien.
Que dire du comportement dans l’hémicycle ? Des ministres ridicules qui ne maîtrisent pas leurs dossiers et qui balancent n’importe quoi. Un peu comme ce que Prem Koonjoo nous a offert comme prestation vendredi dernier. Aujourd’hui, tablettes ou pas, les députés et les ministres peuvent, pendant un débat, lire, de bout en bout, un discours qu’ils n’ont ni écrit ni lu avant de venir au Parlement. Ce qui donne lieu à des tâtonnements évidents et insupportables.
Mais pour avoir une Assemblée nationale digne de ce nom, il faut avant tout que celui ou celle qui la préside se fasse un point d’honneur d’élever le niveau et de faire briller la démocratie. Or, c’est exactement ce que nous n’avons pas depuis quelques années. Regardons ce qui s’est passé cette semaine. Une Speaker, rescapée de son naufrage électoral au N°14, est vite repêchée pour aller s’installer sur le perchoir. C’est une première dans les annales politiques mauriciennes, dans la mesure où il n’y a jamais eu un candidat fraîchement battu qui ait été imposé par la majorité pour occuper un poste aussi sensible que le speakership. Et c’est probablement ce qui explique la lente dégradation de l’ambiance en général dans l’hémicycle. Les faits qui se sont déroulés cette semaine sont venus, une nouvelle fois, confirmer que ça ne vole pas très haut au niveau de la présidence.
En voulant protéger son carré clanique, surtout lorsqu’il s’agit du mentor et de son junior, Maya Hanoomanjee en fait toujours un peu trop. Les conseillers tardent à fournir des réponses à un Premier ministre embarrassé, elle n’hésite pas à les traiter de « gopias ». Ce qu’ils sont peut-être, mais la Speaker peut-elle se permettre de tels jugements de valeur quasi publics, le micro étant ouvert et le propos adressé à son staff ? Et comme si tout cela n’était pas assez déplorable, voilà que madame la Speaker se fait l’écho de bruits de couloirs pour dire, mercredi, qu’elle a eu vent que des députés de l’opposition avaient ourdi un complot et orchestré une manœuvre devant se conclure par un walk-out. Allons, cela ne se fait pas de rapporter des palabres de coulisses de la part d’une Speaker. Où allons-nous ? Et si chaque député se mettait à rapporter les petites piques échangées dans la salle à manger et les toilettes ?
Avec ce que l’on a vu ces derniers temps, on ne peut que souhaiter que, la politique politicienne mise à part, ceux qui décident se réveillent et entreprennent, au nom de la démocratie et de l’histoire, de faire rayonner la législature mauricienne. Ça urge !