On n’est jamais à l’abri d’un coup fourré. La conception de la démocratie du Premier ministre est en tout cas bien curieuse. Il a le temps d’aller vaquer à ses petites occupations pour obtenir son long temps d’antenne au journal télévisé, mais le temps lui manque pour se pencher sur les propositions de réforme électorale soumises, depuis plus d’un mois, par le comité ministériel présidé par son mentor de père, alors même que l’affaire portée devant les tribunaux par Rezistans ek Alternativ depuis trois ans, et que les échéances ne sont pas si loin, décembre 2019 marquant la fin du quinquennat de l’actuelle mandature. Cela ne fait pas sérieux et c’est surtout très affligeant.
Le Premier ministre et ses ministres sont trop fatigués. Ils ferment le Parlement pendant 20 jours, pour cause de présentation du Budget comme si c’était le premier exercice du genre et un baptême inédit pour Pravind Jugnauth, alors que ce sera son cinquième grand oral. Le congé a, en fait, d’autres raisons : faire l’impasse sur le Question Time et les coups de boutoir de l’opposition et, comme l’ont bien souligné, hier, toutes les oppositions : repousser le plus longtemps possible les débats sur la motion d’annulation des prix du carburant de Xavier Duval.
L’objectif inavoué, mais limpide est que, devant la levée de boucliers qu’ont provoquée ces augmentations, il faut à tout prix trouver une parade pour calmer les mécontents. Cette motion sera débattue après le Budget, après que le Premier ministre, qui a, mardi dernier, refilé la patate chaude, voire flambée, de la Private Notice Question à Ashit Gungah, aura probablement annoncé la suppression de quelques taxes qui plombent les prix à la pompe, ce qui atténuera sans doute les effets de la motion d’annulation et la rendre même caduque.
Malgré ses préoccupations budgétaires prenantes, le Premier ministre n’oublie toutefois jamais sa politique de “putting family first”. Après le texte de Week-End la semaine dernière sur “après madame, monsieur”, voilà que c’est maintenant “après madame, monsieur, c’est re-madame”. En effet, après que l’époux a été promu Directeur de santé, c’est au tour de madame d’obtenir un nouveau “boute”.
Shamila Sonah-Ori, parente et avouée personnelle de Pravind Jugnauth, nommée en 2015 Commissaire pour la protection des emprunteurs, avait été l’avocate dépêchée — en même temps que l’agent électoral de Raouf Gulbul, Samad Goolamally — pour saborder le travail de Mes Desiré Basset et André Robert sur le comité disciplinaire qui devait se pencher sur le cas de Mike Seetaramadoo après le limogeage de Megh Pillay d’Air Mauritius. Le comité mourut de sa belle mort quand les deux professionnels ont démissionné du comité, devenu une structure foireuse.
Elle vient d’être renommée par le président de la République par intérim, Barlen Vyapooree, dont on a avait pu penser que son passé au MSM ne parasiterait pas les décisions cruciales qu’il aurait à prendre à la l’Electoral Boundary Commission, une de ces institutions fondamentales qui décident de ce qui constitue le coeur de la démocratie : la délimitation des circonscriptions. On ne sait pas s’il s’agit d’un pied de nez voulu, mais Madame Sonah-Ori va retrouver Mes Basset et Robert à cette commission.
Xavier Duval, dont l’assentiment en tant que leader de l’opposition était requis pour avaliser cette nomination Madame Sonah-Ori en tant que Commissaire a eu raison de s’y opposer vigoureusement, d’autant que les consultations ont déjà été engagées depuis avril dernier par l’EBC pour la rédaction du prochain rapport de 2019, celui de 2009 ayant été rejeté. Mais comme le président peut quand même le faire sans l’aval du chef de l’opposition, la proche du Premier ministre pourra prendre ses fonctions.
Les nominations du MSM méritent, d’ailleurs, tout un livre. Un vrai roman du népotisme et du favoritisme. Mais le Premier ministre et ses ministres sont des “modèles” non ? Alors ceux qui leur sont proches doivent l’être aussi. Ce Premier ministre très occupé avec son budget se fiche de l’événement planétaire qu’est la Coupe du monde. C’est son droit. Il ne doit probablement pas aimer le foot. Mais le problème avec lui, c’est que, justement, on ne sait pas ce qu’il aime. C’est ce qui fait tout le mystère de cet héritier imposé.
Sir Anerood Jugnauth, pourtant d’une autre génération, était, lui, une sorte de livre ouvert. On savait à peu près tout de lui, qu’il est toujours près de ses sous, ce qu’il aime manger et le football qui le passionne. Tant et si bien qu’il avait pu, par exemple, retarder ou avancer l’heure d’une séance parlementaire en 2002, en pleins débats budgétaires, pour pouvoir voir un match que disputait son équipe, l’Angleterre, le créneau horaire avec les deux pays organisateurs, le Japon et la Corée du Sud étant assez incompatible avec les heures de séance habituelles.
Mais du garçon, on ne sait rien. Que l’on soit pudique et réservé n’empêche pas un Premier ministre d’afficher ses préférences. Pour le moment, le seul sujet de prédilection reste le socioculturel et le besoin de se montrer à toutes les activités qu’il organise. Il a probablement des convictions, mais il ne les exprime que rarement.
A part de se poser en modèle et en moralisateur, on ne sait pas ce qu’il pense personnellement de la dépénalisation du cannabis, ne serait-ce qu’à usage thérapeutique. Il y a beaucoup de choses sur lesquelles il ne se prononce jamais, hors de s’emparer de temps en temps des thèmes d’un autre siècle, comme la peine de mort.
Pour prendre un des sujets d’actualité, on peut ainsi comprendre que AKNL s’étonne que le Premier ministre n’ait rien eu à dire sur le projet Pomponette, ou sur la révoltante poudre d’escampette prise par un présumé trafiquant de drogue détenu à Vacoas. C’est l’homme de la fugacité et du flou. Comme le dicton veut que le flou cache toujours un loup, il y a des raisons de craindre de ses véritables intentions.