Certaines batailles ne sont jamais terminées. Certaines avancées jamais acquises.
On le voit encore avec l’organisation de la Gay Pride, donc un groupuscule religieux a tenté de faire interdire hier la tenue à Maurice. On aurait pu penser être arrivé au-delà de cela.
Ces dernières années, la tenue de la Gay Pride à Rose Hill avait donné lieu à un défilé coloré et joyeux, suivi avec bienveillance ou curiosité par un public bon enfant. Mais Port Louis est apparemment une autre histoire. Et certains habitants de la capitale n’auraient manifestement pas apprécié que la «débauche et la dépravation» prenne leurs quartiers chez eux.
D’où des pressions sur la police qui, dans un premier temps, cède et interdit le défilé pour des raisons de «sécurité», avant de finir, face à la levée adverse de boucliers, par l’autoriser.
Il faut le reconnaître, même parmi les défenseurs ou sympathisants de la cause LGBT (Lesbian, Gay, Bisexual and Transexual), il y a parfois eu des personnes qui se sont interrogées sur l’utilité, ou l’opportunité, de tenir une Gay Pride. Certains se demandant si cette expression souvent débridée, voire pour certains délibérément outrancière dans le costume et le maquillage, ne contribuait pas à donner une version inutilement excentrique, en tout cas tronquée, de ce qu’est la réalité homosexuelle au quotidien.
Pour tenter de le comprendre, il faut sans doute remonter aux origines du mouvement.
Soit aux États-Unis en juin 1969, lorsque la police fait une descente au Stonewall Inn, un bar de New York, lieu de rendez-vous de la communauté gay. Excédés d’être régulièrement pris pour cible par la police, ceux visés vont se rebeller, et les affrontements vont durer plusieurs jours. Un an plus tard, pour commémorer les émeutes de Stonewall, est organisée la première Gay Pride sur Christopher Avenue. Celle-ci deviendra un événement annuel, qui s’étendra graduellement au reste du monde, en tout cas là où c’était jugé possible.
Le terme «Marche des fiertés» est lui apparu en France en 2001, après un litige survenu entre deux associations: l’historique Sogyfed, qui avait déposé l’appellation Lesbian and Gay Pride, et la nouvelle association désireuse d’organiser le défilé, l’Inter-LGBT. Pour éviter un conflit juridique, celle-ci choisit donc un nouveau nom pour l’événement parisien: ce sera la «Marche des Fiertés». Un terme soumis à critique par certains qui se demandent pourquoi il faudrait être fier d’être gay…
D’autres soulignant que l’essentiel reste de revendiquer une égalité de droits.
Il est en effet important de garder en considération que les premières Gay Pride ont été organisées aux États-Unis et en Europe de l’Est à une époque où, dans ces pays, l’homosexualité était encore un délit ou considérée comme une maladie mentale. Le but des défilés était alors de faire entendre la voix d’une minorité qui se sentait oppressée. Un premier objectif a donc été d’obtenir la dépénalisation de l’homosexualité. Une fois
cela atteint, la suite du mouvement a consisté à revendiquer l’égalité de droits entre homosexuels et hétérosexuels, et à lutter contre l’homophobie. Et ce combat-là, on s’en rend bien compte, est plus que jamais d’actualité. En témoigne aujourd’hui chez nous la déposition faite à la police au cours de la semaine écoulée par Pauline Werner, consultante du Comité Arc en Ciel qui organise l’édition locale de la Marche des Fiertés. Déposition suite à la réception de pas moins de 140 menaces de mort et de «mutilation», qu’on devine être un terme poli pour éviter de désigner d’autres «gracieusetés»…
Sur internet circule en ce sens moment une vidéo de celui qui fut le Haut commissaire en poste à Maurice de 2013 à 2016, Jonathan Drew. Celui-ci, officiellement marié à un homme, y raconte notamment son expérience à Maurice. Comment lui et son mari avaient fait chez nous la une des journaux avant même leur arrivée, le gouvernement mauricien ayant été mis sous pression pour avoir accepté d’autoriser un «same-sex couple» à venir officier comme diplomates. Et quand il a présenté ses lettres de créance «at the then President», raconte Jonathan Drew, son mari ne fut pas autorisé à l’accompagner alors que les conjoint(e)s sont en principe toujours conviés…
A Maurice, un homosexuel est toujours susceptible d’être arrêté dans la mesure où la sodomie est illégale et passible d’emprisonnement. Ce que cette loi dénote, c’est l’idée que l’Etat a le droit d’intervenir dans la sexualité privée consentie entre deux personnes. Elle dénote aussi, plus largement, la focalisation sexuelle qui est faite sur les relations homosexuelles. Ignorant la relation affective, faisant une fixation sur la seule pratique sexuelle.
Il faut le reconnaître: notre société fait qu’aujourd’hui, il est très difficile d’être «simplement homosexuel». Ceux qui sont dans ce cas sont soit obligés de le cacher. Soit, souvent, quand ils l’assument ouvertement, obligés d’être des «militants» de la cause.
On ne vit pas au monde aujourd’hui de la même façon si on est hétérosexuel ou homosexuel. Être homosexuel demeure, pour beaucoup, un combat. Et c’est sans doute pour cela que la Gay Pride ou Marche des Fiertés est importante. Parce qu’elle permet à ceux pour qui c’est une affaire de liberté personnelle, voire de vie ou de mort, de dire leur droit d’exister et de vivre selon leur vérité. Et d’interpeller plus largement sur la nécessité d’être non-binaire au niveau du genre, d’aller au-delà des stéréotypes du genre, en étant conscient de ce qu’on appelle la «gender fluidity».
Le Pape François semble en tout cas y être ouvert. Le 22 mai dernier, Juan Carlos Ruiz, jeune homosexuel, disait à quel point les propos que lui a récemment tenus le souverain pontife l’avaient marqué: «que vous soyez gay importe peu. Dieu vous a fait ainsi et vous aime ainsi. Vous devez être heureux de ce que vous êtes». A méditer pour ceux qui croient à divers dieux. Et même pour ceux qui n’y croient pas.
Shenaz Patel