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50 ans et des poussières…

Les Chagossiens ont commémoré, le week-end dernier, le 50e anniversaire de leur déportation hors de leur archipel par les Britanniques, vers Maurice et les Seychelles. C’est, en effet, par un après-midi de 1973 que les derniers habitants originaires de l’archipel du nord-nord-est des Mascareignes ont été informés qu’ils avaient à peine une poignée de minutes pour rassembler quelques effets, avant d’être embarqués de force sur un bateau, sans comprendre ce qui leur arrivait, le sort qui leur était réservé. 50 ans qu’ils furent arrachés à leur patrie par la main faucheuse de la Grande Bretagne, qui les a débarqués en vrac aux Seychelles et à Maurice pour livrer les lieux aux Américains. Qui s’empressèrent d’y aménager sur l’île principale de Diego Garcia l’une des plus importantes bases militaires de leur dispositif international.

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Cette date fatidique de 1973 venait ainsi clore un processus enclenché en 1967, visant à retrancher l’archipel du territoire de Maurice, et à le vider totalement de ses habitants, cyniquement décrits comme « quelques Tarzan et Vendredis » dans les rapports britanniques…

Malgré la musique, les chants, les danses et le festival culinaire organisé le week-end dernier par le Groupement Réfugiés Chagos (GRC), ce n’est donc pas une célébration mais la commémoration solennelle d’une terrible exaction humaine qui a eu lieu au centre communautaire Marie Charlesia Alexis à Baie du Tombeau. Charlesia, du nom de cette femme puissante qui, aux côtés de Lisette Talatte ou Rita Bancoult, a mené manifestations, grèves de la faim, affrontements avec la police, guerre sans relâche pour faire reconnaître, condamner et compenser le préjudice inhumain qui avait été infligé au peuple chagossien. Avant de s’éteindre, épuisée, en décembre 2012, sans avoir pu retrouver son île natale à laquelle elle était si attachée.

Le week-end dernier, le président du GRC, Olivier Bancoult a, une nouvelle fois, condamné la Grande Bretagne et les États-Unis pour les crimes commis à l’encontre des Chagossiens. Crimes maintenant reconnus par les Nations Unies et par l’influente organisation Human Rights Watch (HRW) qui, dans un rapport rendu en février dernier, a déclaré que l’occupation de l’archipel par les armées américaines et britanniques constitue rien de moins qu’un « crime contre l’humanité ». Le rapport de 106 pages de HRW accuse explicitement le Royaume-Uni de trois crimes contre l’humanité. À savoir “L’expulsion forcée de citoyens chagossiens, l’empêchement de retourner chez eux et la persécution en raison de leur race et de leur appartenance ethnique.”

De toutes parts, la pression augmente aujourd’hui pour contraindre la Grande-Bretagne de restituer les Chagos à la République de Maurice. Présent lors de la commémoration du week-end dernier, le Premier ministre mauricien a évoqué les discussions en cours avec les Britanniques concernant la rétrocession à Maurice de la souveraineté sur les Chagos, conformément à ce qui a été demandé par les Nations Unies. Et s’il s’est contenté de dire qu’il ne pouvait à ce stade entrer dans les détails à ce sujet, le PM a donné l’assurance à la population et aux Chagossiens qu’il n’y aura pas de compromis sur « certains points fondamentaux ».

Parmi ces points fondamentaux, il y aurait la ré-installation des Chagossiens dans leurs îles, conformément à la volonté exprimée par les derniers natifs et par un certain nombre de descendants. Le PM a, à cet effet, évoqué le prochain voyage qui devrait être organisé sur l’archipel, visant à permettre d’évaluer les besoins et moyens à être déployés pour assurer le retour et le relogement des Chagossiens.

Dans son allocution, le PM mauricien a aussi fait une virulente sortie contre les États-Unis, « qui se présentent comme le shérif du monde » et qui appliquent les principes des droits humains de façon sélective.

Il fut un temps où de tels propos, venant de pays tel le nôtre, étaient carrément inimaginables. Dépendance économique et realpolitik obligent.

Mais les données ont changé. Et Maurice se retrouve manifestement à jouer dans un camp beaucoup plus grand que la petitesse de son territoire.

Pour comprendre cela, il faut être attentif aux enjeux géo-stratégiques mondiaux, et à tout ce qui se joue en ce moment non seulement autour de l’océan Indien, mais aussi plus largement entre les grandes puissances en termes de positionnement stratégique pour le contrôle du monde.

Ainsi, la visite officielle du Président indien Modi aux États Unis, cette semaine, dit beaucoup de ces nouveaux « réalignements ». S’il était question de renforcer les liens commerciaux, technologiques et militaires entre les deux pays, il est clair que les États Unis visaient surtout là à trouver un allié en Asie pour contrer l’influence de la Chine dans la région et au-delà.

Au-delà de la démonstration de yoga orchestrée mercredi dernier au siège des Nations Unies à New York, il est évident qu’il s’agissait là de flex bigger muscles. Entre Washington qui veut faire de l’Inde un allié comme contrepoids stratégique face à la Chine. Alors que New Delhi ambitionne d’accroître son influence sur la scène internationale.

Cette visite d’État avait été précédée, début juin, par la signature d’une nouvelle feuille de route de coopération militaro-industrielle, à l’occasion d’une visite à New Delhi du secrétaire américain à la Défense. Les analystes rattachent ce rapprochement avec les États Unis au fait que l’Inde cherche à mettre fin à sa dépendance militaire engagée avec Moscou depuis le traité « d’amitié et de coopération » de 1971. Ce, en élargissant ses sources d’importations d’armes et en augmentant sa propre production. Ainsi, même s’il lui était reproché de ne pas s’être prononcé directement sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, et d’avoir contribué à réduire l’impact des sanctions occidentales en accroissant ses achats d’hydrocarbures russes à prix cassés, le Président indien s’était signalé, en septembre dernier, en disant au Président russe Vladimir Poutine que l’ère actuelle n’était pas « une ère de guerre »

L’opportunisme est plus que jamais au centre des relations internationales, comme l’exprime clairement une formule du ministre des Affaires étrangères indien, Subrahmanyam Jaishankar. Celui-ci a, en effet, mis en avant le concept d’un monde multipolaire de « frenemies », alliage de friend et enemy. Résumant parfaitement la position de l’Inde qui, au lieu de s’inscrire dans un camp, cherche plutôt à construire sa propre autonomie stratégique, pour servir d’abord et avant tout ses intérêts propres. Ce que font aussi les États Unis et autres pays occidentaux.

Cette visite officielle de Narendra Modi aux États Unis intervient à un moment où son bilan en termes d’atteintes aux droits humains dans son pays est plus lourd que jamais. Ainsi, ce qui est considéré comme la politique fasciste et répressive de son parti, le BJP, est allègement balayé par tous ceux qui courtisent le pays le plus peuplé du monde. Fin avril 2023, l’Inde a atteint 1 milliard 417 millions d’habitants, contre 1 milliard 412 millions pour la Chine. Soit, au total, plus d’habitants que l’Europe entière.

Les États Unis ne sont pas les seuls à courtiser l’Inde et, par là-même, à légitimer la politique du BJP, à la veille de la tenue des élections générales indiennes en 2024. Le 14 juillet prochain, Narendra Modi sera l’invité d’honneur du défilé militaire de la fête nationale française à Paris.

Et Maurice dans tout ça ?

À l’heure où « la zone indianocéanique s’annonce comme une des arènes stratégiques décisives du XXIe siècle », pour reprendre les termes de Geoffroy Géraud-Legros dans la revue Conflits, ce nouvel alignement entre les États Unis et l’Inde, ainsi que la position de plus en plus importante que cette dernière occupe dans notre pays, laisse présager que les discussions sur les Chagos ne seront pas simples.

Raison de plus pour rester vigilants et s’assurer que ne soient pas réduites en poussière les aspirations légitimes du peuple chagossien de retrouver pleinement voix au chapitre de cette histoire qui les a déjà tant écrasés…

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