Kick-Boxing — Fabrice Bauluck : Pas logique de classer les sportifs par catégorie

Week-End donne la parole à cette fin d’année à Fabrice Bauluck, double champion du monde juniors et seniors et récemment médaillé de bronze aux Championnats du monde en Italie. Sans langue de bois, l’adepte du kick-boxing nous livre ses impressions sur plusieurs sujets d’actualités dont la Covid-19, mais également sur le fonctionnement du sport en général. Il nous dresse même un tableau pas très reluisant du ministère de l’Autonomisation de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, notamment pour ce qui est de l’encadrement des sportifs, indistinctement de leurs catégories. Ce qui le pousse à dire que les autorités ne reconnaissent pas vraiment ce que le sport peut apporter au pays. Aussi, estime-t-il que le ministre des Sports, Stephan Toussaint, pouvait mieux faire, tout comme il trouve injuste que les sportifs soient classés par catégorie, alors que tous s’entraînent très durs avec pour objectif de briller et faire honneur au pays.

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2021 tire à sa fin dans quelques jours, quelle lecture faites-vous de la situation sportive ?
— Il faut dire qu’avec la Covid, la situation n’est actuellement pas séduisante. Elle est alarmante d’autant, qu’au niveau du gouvernement, l’allocation financière des sportifs a diminué. Sans oublier que beaucoup de sportifs n’ont pu se déplacer pour participer à des compétitions internationales. 2021 a été une année difficile, mais au niveau du kickboxing, nous avons essayé de faire le maximum, afin de mettre toutes les chances de notre côté.

Satisfait ou déçu de vos performances sans, notamment, le titre de champion du monde ?
— Revenir avec une médaille de bronze des championnats du monde est un échec pour moi. Lorsque je participe à une compétition, je vise toujours la plus haute marche du podium. Lorsqu’on perd en demi-finale, face à un jeune russe, c’est plus qu’évident que je n’ai pu atteindre mon objectif. Notre objectif était de décrocher quatre médailles d’or, mais revenir avec trois de bronze et une d’argent n’est tout de même pas mauvais.

Qu’est-ce qui n’a pas marché lors de votre combat ?
— Mon adversaire était beaucoup plus calme que moi. Sur le ring, il n’y avait pas une grande différence entre lui et moi. C’est au niveau du pointage qu’on a pu voir l’écart de niveau. Je dirai aussi que j’ai été trop vite dans la précipitation et cela m’a coûté cher.

Vous parlez de « précipitation », mais avec votre expérience, comment se fait-il que vous ayez pu perdre le fil du combat ?
— C’est ce qui m’a le plus déçu. Car, lors de mes précédents combats, j’ai toujours fait preuve d’une bonne gestion. Sauf que, cette fois, je suis tombé sur plus fort. Mon adversaire est certes jeune, mais j’avoue que c’est l’un des meilleurs tireurs que j’ai eu à combattre au cours de ma carrière.

Le monde est actuellement frappé par une crise sanitaire compliquée. Comment vivez vous cela en tant que sportif de haut niveau ?
— C’est une situation très particulière. Ce n’est définitivement pas l’environnement propice à la progression d’un sportif de haut niveau. On doit s’adapter et trouver des formules qui nous permettront d’être performants. Par contre, il y a certains pays d’Europe qui sont restés actifs. À aucun moment, ces sportifs ont été en confinement contrairement à nous. Forcément, cela à jouer en notre défaveur. On ne peut pas changer le passé et c’est comme ça. Il nous faut désormais penser à l’avenir. On a une bonne équipe et d’ici deux ans, si tout se passe bien, la situation sera très différente.

N’avez-vous jamais été gagné par le doute en restant éloigner des compétitions internationales pendant deux ans ?
— Inconsciemment le doute était présent, car nous n’étions pas en situation de compétition. Avec le groupe, on se posait beaucoup de questions notamment pour ce qui est des automatismes. Faute de compétitions, on perd nos repères. C’est pour cette raison que nous avons tout fait pour participer d’abord à la Coupe du Monde, avant d’aller ensuite aux championnats du monde.

Comment fait-on pour rester motiver en traversant une période aussi difficile que cela ?
— J’essaie toujours de rester concentrer sur mon objectif et peu importe la situation. C’est très difficile, mais en même temps c’est le seul moyen de me tenir éveiller.
En juillet dernier, le kick-boxing est devenu officiellement une discipline olympique à la suite de la 138e session du Comité international olympique à Tokyo.

Qu’avez ressenti en apprenant cette nouvelle ?
— Soulager d’être enfin reconnu à ce niveau. Je suis aussi conscient que, désormais, il va falloir travailler encore plus dur, pour atteindre un autre niveau. En tant que sportif, je trouve que c’est une très bonne chose, dans notre quête de perfection.

Il n’empêche que, malgré ce développement important, votre discipline tarde à se faire reconnaître à Maurice, en tant que tel. Vos commentaires…
— À Maurice, on s’obstine à faire la différence, voire à travers une ligne de démarcation, entre discipline olympique et non-olympique. Ce que je trouve injuste. Il n’y a aucune logique de classer les sportifs par catégorie, d’autant que les athlètes ne s’épargnent aucun effort pour essayer d’atteindre l’excellence et briller au plus haut niveau. C’est malheureusement une réalité très mauricienne.

En quoi les tireurs sont-ils pénalisés par rapport à d’autres disciplines dites olympiques ?
— Déjà au niveau des allocations et des cash prizes, on touche moins que les disciplines olympiques. De plus, nous ne bénéficions pas de bourse, auprès du Comité olympique mauricien (COM). Sans compter que le budget de la fédération est inférieur à d’autres fédérations olympiques. Qu’on le veuille ou pas, ces manquements ralentissent la progression du kick-boxing, alors qu’avec plus de moyens, on pourrait réaliser encore plus de belles choses.

Étant désormais reconnu, pensez-vous que l’attitude des autorités changera ?
— C’est tout ce que je peux espérer. À notre niveau, on continuera à donner le maximum d’information au ministère des Sports. Reste que la balle n’est pas dans notre camp. Il faut que les gens sachent que, plus on nous donnera les moyens de progresser, plus les résultats seront importants.

Pourrait-on un jour voir Fabrice Bauluck siéger au sein du COM ?
— Pas du tout. Je n’aime pas la politique. Je pense que je suis un pur technicien. Je préfère être aux côtés des tireurs, en leur offrant ce que le sport m’a donné.

L’après carrière cela vous dit quelque chose ? Être DTN ou entraîneur national, cela vous intéresse-t-il ?
— J’ai dédié quasiment toute ma vie au sport. Il est quasi-certain qu’après ma carrière, je serai toujours investi dans le sport. Pour arriver à être DTN ou entraîneur national, il y a un long chemin à parcourir et je veux procéder étape, par étape. Mais ce qui est sûr, c’est que je serai toujours dans l’univers du kickboxing, après ma carrière.

D’ici 2028 ou 2032, existe-t-il de fortes probabilités que le kick-boxing soit représenté aux JO. Pensez-vous y êtes, malgré votre âge ?
— J’aurais plus de 40 ans et, malheureusement, je n’aurais pas le droit de boxer. Ce que je veux surtout dire, c’est que le kick n’est pas centré autour d’une seule et même personne. Personne n’est irremplaçable et à un moment donné, il faut savoir s’arrêter. Ma mission aura été de tracer une route, afin de permettre aux jeunes de la suivre et d’aller encore plus loin. C’est mon objectif et ma responsabilité.

N’est-ce donc pas beaucoup de regret et d’amertume de n’avoir pas pu participer aux JO ?
— Pas du tout. Les JO n’ont jamais été une priorité, faute d’être reconnus par le Comité olympique international jusqu’à récemment. Par contre, si je visais les JO de 2028 et que je ne me qualifierai pas, alors là, j’aurai beaucoup de regrets.

Au plus haut niveau pendant 20 ans, vous avez débuté en 51 kg et ensuite, pendant de très longues années, en 54 kg. Est-ce si évident que cela de demeurer aussi constant et régulier pendant tout ce temps ?
— La gestion est un élément compliqué dans les sports de combat. C’est un aspect auquel on aurait bien aimé, s’en passer. Pour répondre à votre question, je dirai tout simplement que la discipline est primordiale. Pour ma part, j’évite tant que possible de tomber dans des excès. Je suis jusqu’ici parvenu à maintenir le poids de mes 17 ans et je ne peux qu’être content.

Vous êtes issu d’un milieu modeste, issu de la cité de Beau-Vallon. Racontez-nous comme cela s’est passé avant que vous ne sortez de l’ombre en 2004 avec ce premier titre de champion du monde junior ?
— L’enfant que j’étais est toujours présent en 2021. À 16 ans, je voulais m’imposer dans le kickboxing. Il y a des choses qui n’ont pas changé depuis. Je suis toujours introverti et malgré avoir décrocher ce titre, je ne me suis jamais enflammé. Je venais aux entraînements avec les mêmes ambitions, sans penser que j’étais champion du monde. Il faut vivre l’instant présent et surtout se fixer des objectifs régulièrement.

Que signifie la famille pour vous ?
— La famille c’est le pilier de toute une vie, de toute une carrière. Je suis père de famille et j’ai deux enfants à faire grandir. Je me bats dans la vie pour qu’ils puissent avoir un bon avenir et surtout grandir avec les valeurs et des principes qui m’ont toujours guidé. J’ai donc plusieurs raisons pour ne pas abandonner ce combat, même si parfois les circonstances de la vie sont très compliquées.

Cette notoriété a-t-elle été difficile à gérer, pour le jeune et l’étudiant que vous étiez à l’époque ?
— Pas du tout. Je suis resté moi-même et j’ai continué à faire les choses de la même façon. Si je suis toujours là aujourd’hui, c’est parce que j’ai pu garder les pieds sur terre. J’ai toujours conservé les valeurs qu’on m’a transmises. Ce qui explique ma longévité dans le kickboxing. C’est aussi vrai que j’aurais pu dévier de la ligne directrice et prendre la grosse tête. Mais j’ai aussi appris, très tôt dans ma carrière, qu’il fallait que je reste le même. J’ai toujours attaché beaucoup d’importance à ces valeurs et à ces principes qui sont pour moi une fierté. Judex Jeannot m’a aussi transmis certaines de ses valeurs et à mon tour, j’essaie de les transmettre à la jeune génération.

Pensez-vous que la jeune génération est assez lucide pour en faire de même ?
— Pour ma part, j’essaie d’apporter au maximum ma contribution, afin de les guider dans la bonne direction. Le but est de rester soi-même, tout en appliquant les valeurs de la vie quotidienne. J’ajoute que chacun est responsable de l’adulte qu’il deviendra à l’avenir.

On parle beaucoup de dopage dans le sport moderne. Vous en pensez quoi ?
— Je condamne la tricherie. Je trouve aussi que beaucoup d’athlètes se retrouvent, malgré eux, liés aux scandales de dopage. C’est peut-être par manque d’information et d’éducation que certains se laissent prendre au piège et finissent par prendre n’importe quoi.

Pensez-vous que le kick-boxing y est aussi concerné ?
— Le dopage est pratiquement partout. Je ne pense cependant pas que ce fléau influence énormément, contrairement à d’autres disciplines souvent pointées du doigt. Ce qui est très important, c’est que le sportif doit être intègre. Il doit avoir une échelle de valeur pour la bonne gestion de sa carrière. S’il n’est pas capable de le faire, alors il doit assumer pleinement ses responsabilités. .

Personnellement, vous êtes vous déjà retrouvé devant une telle éventualité de se
doper ?
— Cela ne m’a jamais traversé l’esprit et je n’ai jamais eu le besoin de le faire. La philosophie de Judex Jeannot, notre entraîneur national, c’est de travailler pour décrocher une médaille. Et j’ai grandi dans ce monde auprès de Judex, que je considère comme mon mentor.

Vous en a-t-on déjà fait la proposition ?
— Jamais. Je suis assez sélectif par rapport à mon entourage, ce qui fait que je diminue le risque de rencontrer ce genre de personne qui pourrait utiliser la ruse, pour me convaincre à consommer un produit dopant. En tant que sportif de haut niveau, j’ai la responsabilité de m’éduquer sur ce sujet et d’être un top model pour les plus jeunes.

Que pensez-vous de l’état de santé du sport local ?
Déjà avant la COVID, le sport était malade. En terme de performance au niveau africain d’ailleurs, nombreuses sont les disciplines qui n’arrivent pas à se démarquer. Si nous ne sommes pas capables d’être au-dessus des pays africains, comment alors viser plus haut ? Aussi, selon moi, ce qui nous fait le plus de mal, c’est que les autorités ne reconnaissent pas vraiment ce que le sport peut apporter au pays. Maurice est une île touristique et souvent grâce au sport, elle a beaucoup de visibilité au niveau international. Malheureusement, le sportif n’a pas la reconnaissance voulue. On manque beaucoup de moyens. Certes, nous percevons des allocations pour nous préparer, mais ce n’est pas suffisant pour encourager un jeune à se donner à 110 %. D’ailleurs, nous voyons très souvent des jeunes de 17-18 ans arrêter le sport pour se concentrer sur leurs études. Les autorités doivent trouver des solutions pour y remédier.

Vous n’êtes pas sans savoir que certaines disciplines sont en proie de problèmes internes et fonctionnent très souvent dans l’opacité. Pourquoi une telle situation ?
— C’est à travers la presse que je prends connaissance de ces problèmes. Pour qu’une discipline soit performante, l’athlète doit avant tout, se sentir en confiance et évoluer dans un environnement sain. Mais s’il commence à se méfier de certains dirigeants, il aura alors beaucoup de mal à progresser.

Pensez-vous que l’athlète d’aujourd’hui est considéré comme il se doit, au sein des différentes fédérations ?
— Je n’ai aucune idée de ce qu’il en est au sein des autres fédérations, mais pour ce qui est du kickboxing, les dirigeants font leur maximum pour que les tireurs puissent se sentir bien. De plus, nous avons une commission technique pleinement consciente qu’un bon environnement est propice à leur progression. D’ailleurs, un sportif malheureux ne pourra pas être performant. Si la structure d’une fédération n’est pas fiable, les mauvais résultats suivront. Ce qui est malheureux, c’est que certains dirigeants n’arrivent pas à instaurer ce climat de confiance. Cela complique le bon fonctionnement d’une fédération. Les dirigeants gagneraient aussi à se mettre dans la tête que sans sportif, les fédérations n’existeraient même pas !

Pensez-vous être capable de faire un bref bilan du ministre des Sports, Stephan Toussaint ?
— Le ministre a une façon différente de fonctionner, contrairement à ses prédécesseurs. Très souvent, il nous donne l’impression qu’il délègue ses responsabilités à ces seniors officers. Son ministère a essayé d’implémenter des projets, mais il n’y a pas eu de gros changement dans le sport mauricien. On ne voit du reste pas de grosse différence par rapport aux performances comparativement aux années précédentes. Je pense qu’il stagne en ce moment. Les mesures qu’il a apporté au niveau de son ministère ne sont pas payantes. Pour côtoyer l’élite, les sportifs ont besoin de moyens, mais pour le moment, ce n’est pas vraiment le cas.

En cinq ans de mandat, vous lui attribuerez une note de combien sur 10 ?
— Je ne vais pas faire le procès du ministère des Sports et de son ministre encore moins. C’est pas mon rôle de l’évaluer. Toutefois, je pense que Stephan Toussaint peut mieux faire pour aider les fédérations et les sportifs surtout.

Changeons de sujet et arrêtons nous un peu sur l’actualité de moment. En tant que Mauricien, comment vivez-vous au quotidien, cette crise sanitaire nationale et mondiale ?
— Compliqué et je n’ai pas l’impression qu’on est sorti de l’auberge. En tant qu’individu, on essaie de s’adapter. Au niveau financier et économique, la situation est très compliquée pour la majorité des Mauriciens et c’est très triste.
Cela vous fait quoi de voir autant de morts au quotidien ?
L’émotion la plus forte demeure la peur. On redoute qu’un membre de notre famille soit touché. Pour ma part, j’essaie de relativiser. On est dans l’obligation de s’adapter, sauf qu’il y a des choses qu’on peut contrôler et d’autres pas. Il faut essayer de garder notre lucidité et apprendre à vivre avec ce virus.

Pensez-vous sincèrement que cette crise est bien gérée par les autorités locales ?
— Je pense qu’il y a des lacunes. Dans la communication, par exemple, il devrait y avoir plus de transparence. Il y a un sentiment de dépit et d’abandon des mauriciens par rapport au gouvernement !

Et que pensez-vous du vaccin ?
— Il y a trop d’information qui se termine souvent en désinformation. Les autorités vantent les bienfaits du vaccin et il y a également les anti-vaccins. De mon côté, je ne connais pas vraiment l’impact des vaccins sur la santé, mais en tant que sportif, je l’ai fait par obligation, afin de participer à des compétitions à l’étranger.

Et si vous aviez le choix, auriez-vous accepter de vous faire injecter un vaccin en phase d’essai et dont les effets sont loin d’être confirmés et qui ne font pas l’unanimité ?
— Si j’avais le choix, jamais je me serai fait vacciner.

2022 et un assainissement de la crise sanitaire, vous y croyez ?
— J’ai l’impression qu’on file encore vers une année compliquée. Lorsqu’on plonge dans l’histoire et des pandémies qui ont touché l’humanité, on constate qu’il a fallu plus de trois ans, pour les maîtriser. D’autres épidémies ont duré plus de cinq ans. Avec l’avancée de la technologie, on espère que cela ne va pas durer si longtemps que cela. J’espère me tromper, mais je pense que la situation sanitaire prendra encore du temps pour se rétablir, voire en 2023 ou 2024.

Un vœu pour terminer ?
J’espère que la pandémie fera très vite partie du passé et que les activités sportives reprennent normalement. Je souhaite aussi que l’encadrement autour des sportifs s’améliore, qu’il soit beaucoup plus professionnel, afin de nous aider à atteindre d’autres paliers encore plus importants.

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