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Portrait : Nora Harrison, pop artiste du ghetto

L'artiste de Cité-Chebel se fait un nom dans le milieu à travers des fresques et tableaux réalisés selon un style de la rue. Une "zanfan site" qui affirme son identité à travers ses peintures. Texte et photos : Joël Achille

Il y a chez elle une manière d’être profondément et fièrement koltar. Un désir d’accomplir qui illumine son regard, une conviction ferme dans la voix. Des rues de Chebel à Camp-Levieux, Nora Harrison inspire le respect. À 24 ans, elle dirige d’une main de fer Assaulting Squad, formation musicale de Cité-Barkly. « Mwa mo enn zafan site », répète-t-elle au cours du périple.

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Pour bien paraître devant l’objectif, elle arbore ce jour un jean et une élégante chemise blanche et a dompté sa chevelure noire qui lui donnerait presque qu’une allure corporate. Généralement, confie-t-elle, « on ne me voit jamais comme ça ». En effet, les cliquetis des bombes de peinture rangées dans son large sac dénotent avec ce style coquet qu’elle souhaite afficher. Pour cause, il n’est pas rare de la voir se trimballer les cheveux en pagailles et barbouiller de peinture.

La culture ghetto transpire à travers ses acryliques. Un style cultivé par ses propres moyens. De la pop art qui a germé de la Rue Raoul Rivet, à Cité-Chebel, où elle a grandi. Les corrections reçues durant son enfance pour avoir dessiné sur les murs ont pu étouffer cette âme rebelle. « Mo ti bien gagn bate akoz sa », se rappelle la jeune mère. L’expérience a mû en des fresques murales géantes, réalisées en intérieur et en extérieur.

Nora Harrison se souvient des « dessins de Looney Tunes » reproduits à l’âge de 4 ans. La passion et « le talent » pour l’art se veulent « ancrés » en sa personne, et ce, qu’importe ce qu’auront pu penser ses enseignants. Rien ne l’éloignera de ce sentier. Ainsi, les années de primaire à l’école Philippe Rivalland, à Beau-Bassin, mais surtout la série de collèges qu’elle a fréquentés nourrissent son rêve de « vivre de mon art ».

Au terme d’une scolarisation écourtée, la professionnalisation débute en 2016 lors d’un évènement organisé par l’animateur Patrice d’Avrincourt, à l’Aventure du Sucre. « Un premier gros travail », c’est-à-dire, une fresque réalisée « en live ». S’enchainent des collaborations qui dissipent le « trac » de s’exercer devant « dimounn ki mo pa kone ». Puis viennent des commandes pour des peintures sur tableaux, ou encore pour sublimer des lieux. Toutefois, sa carrière montante connût un arrêt en attendant qu’elle ne mette son enfant au monde.

Son retour en 2020 se veut sous le signe de « eklat partou », qu’elle grave d’ailleurs sur un mur de Camp-Levieux. « Des gens étaient venus en grand nombre quand je faisais cette fresque », se rappelle-t-elle en se tenant devant sa réalisation ayant pali avec le temps. Pour rester concentrer dans ces conditions, l’artiste se livre à un exercice méditatif : « Quand je dessine, je me mets dans une bulle avec de la bonne musique. Une fois que j’ai visualisé le travail, je m’exécute. Kan met mwa dan lapo artis, mo enn lot dimounn ».

Alors que résonnent le brouhaha de la télévision que regarde son père et le sifflet du tempo mis sur le feu par sa mère, Nora Harrison s’installe paisiblement. Écouteurs aux oreilles, elle ne prête même plus attention aux ingrédients qui s’amoncellent sur la table de la cuisine. Un client lui a commandé un tableau de ces chiens. Véritable défi pour l’artiste, habituée à « feel » les portraits d’hommes, de femmes et de Dieux qu’elle réalisent selon un style propre à elle.

Sa sensibilité lui permet de comprendre les hommes de tout milieu. Distinguer non seulement leurs forces, mais discerner également leurs démons. Pour par la suite tenter de les guider. Comme « enn mama », décrit-elle. Aussi est-elle profondément fière de présenter les œuvres créées par ces « zanfan site ». Ceux-là même qui vivent la réalité du « koltar », perdus entre un Etat qui les a oubliés et des barons élevés au rang de bienfaiteurs.

Consciente de ces vérités, Nora Harrison vit malgré tout d’après ses convictions, qui lui demandent de porter la voix du ghetto par-delà les frontières des cités. « Isi ousi nou ena talan », affirme-t-elle, avant de présenter la composition poignante de ce chanteur repenti de Barkly qui « inn al kraze » récemment pour « bann zafer ki li’nn fer lontan ».

Cette sensibilité lui ouvre la voie des non-dits, à travers laquelle elle perçoit l’homme et ses désirs. Pour ensuite les retranscrire dans ses oeuvres. Sa prochaine création souhaite adresser une simple question aux dirigeants : « Zot gagn nou traka zot? » A Cité-Chebel couve une pépite encore que peu exploitée, qui ne demande qu’à être mieux considérée.

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